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KENYA : Les PDIP deviennent des pions sur l’échiquier politique

D 14 juin 2011     H 04:35     A IRIN     C 0 messages


NAIROBI/NAKURU - Son appartenance au « mauvais » groupe ethnique a coûté à Milka Wanjiru sa maison, sa ferme et son magasin dans la province de la vallée du Rift, au Kenya. À la suite des élections de 1992, cette mère de onze enfants à tout perdu à cause des pilleurs et des incendiaires.

« Cela fait maintenant vingt ans que j’ai été déplacée et je n’ai pas connu la paix depuis », a dit Mme Wanjiru à IRIN à Nakuru, la principale ville de la vallée du Rift où la famille vit dans une maison qu’elle loue. « Deux ans après avoir été déplacés, nous avons essayé de rentrer chez nous pour reconstruire nos vies, mais nous avons eu la surprise de trouver un message sur la porte calcinée de notre cuisine disant : " Nous avons tout brûlé et maintenant nous voulons la tête de votre mari ". Nous sommes partis et nous ne sommes jamais revenus ».

Afin de survivre, Mme Wanjiru et ses enfants ont commencé à faire des petits travaux dans les fermes de Mutukanio, le district nord de Nakuru. Sa famille fait partie des 2 700 familles regroupées dans la zone étendue de Subukia où sont installées les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (PDIP) qui ont été arrachées à leur foyer de la vallée du Rift lors des années électorales 1992 et 1997.

Comme des milliers de familles, celle de Mme Wanjiru ne sait toujours pas si elle pourra revenir chez elle, car les difficultés politiques, règlementaires et techniques persistent et pèsent sur le traitement du cas des PDIP dans le pays.

La Commission nationale kényane des droits humains (KHRC), une ONG, s’occupe de 50 000 PDIP, dont le déplacement est antérieur aux violences qui ont éclaté après les élections de 2008 et remonte souvent à deux décennies.

Selon le Centre de surveillance des déplacements internes (IDMC) [ http://www.internal-displacement.org/ ] , affilié au Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC), les conflits qui ont affecté le Kenya ont provoqué le déplacement de 200 000 à 250 000 personnes.

Période antérieure à 2007

Muthoni Wanyeki, directrice exécutive du KHRC, a indiqué à IRIN que le sort des personnes déplacées avant les élections de 2007, dont les résultats ont été contestés et ont déclenché des violences au cours desquelles quelque 600 000 personnes ont fui leur foyer, n’avait pas été suffisamment pris en compte.

« Le KHRC n’est qu’une organisation. Des rapports ont été rédigés sur les conflits qui ont conduit aux déplacements en 1997 et 1992, mais aucune action n’a été mise en ouvre », a-t-elle dit.

« Fondamentalement, les causes sous-jacentes aux déplacements existent toujours. Le ministère des terres [ http://www.irinnews.org/fr/ReportFrench.aspx?ReportID=90043 ] devrait engager une réflexion sur la manière et les moyens de statuer sur les revendications [concurrentes] sur les terres des provinces de la vallée du Rift et de la Côte », a-t-elle dit.

Mme Wanyeki a également contesté un programme de réinstallation conçu par le gouvernement en 2008 et intitulé Operation Rudi Nyumbani (« Retour à la maison » en kiswahili), indiquant qu’il ne prenait pas en compte la diversité socio-économique des personnes déplacées cette année-là et les considérait comme si « elles étaient des petits exploitants agricoles qui possédaient leurs propres terres ».

« Certaines des PDIP vivaient dans des zones urbaines et périurbaines et louaient une maison ; d’autres avaient une maison et des terres ; d’autres encore ne possédaient pas de terres », a dit Mme Wanyeki. « Rien n’était prévu pour ces PDIP dans la mise en ouvre des programmes de réinstallation.

« Deuxièmement, la réinstallation était marquée par la corruption au niveau local - au niveau des districts - en ce qui concerne le versement de la compensation allouée aux PDIP qui ont perdu leurs biens. Troisièmement, on a noté une corruption à grande échelle en ce qui concerne l’achat de terres et la construction de maisons pour les PDIP ».

Nuur Mohamud Sheekh, un analyste pays de l’IDMC pour la Corne de l’Afrique, a dit que la situation de plusieurs catégories de PDIP demeurait alarmante au Kenya.

« Nous avons les personnes déplacées au cours de l’époque coloniale qui ont dû quitter leurs terres des provinces du Centre et de la vallée du Rift ; les personnes déplacées suite aux violations des droits de l’homme, comme celles du massacre de Wagalla [ http://www.irinnews.org/fr/ReportFrench.aspx?ReportID=92808 ] et, plus récemment, du mont Elgon [ouest du Kenya] ; les personnes déplacées suite aux violences politiques de 1992 et 1997 ; les personnes déplacées après les élections de 2007-2008 ; les personnes expulsées de la forêt de Mau [ http://www.irinnews.org/Report.aspx?ReportID=90950 ] ; les personnes déplacées dans le contexte de catastrophes naturelles ; les personnes déplacées suite à la violation des territoires kenyans et ; pour finir, les personnes fréquemment déplacées dans le contexte des conflits fonciers et des conflits sur les ressources des pâturages ».

Ingérence politique

Malheureusement, a dit M. Sheekh, la question des PDIP est devenue politique. « On constate que les responsables politiques évoquent toujours les PDIP, mais traitent rarement la question de manière globale », a-t-il dit. « Les élites politiques sont tellement préoccupées par les élections de 2012 que le sort des PDIP a été relégué au second plan pour l’instant. Les priorités politiques sont désormais la CPI [Cour pénale internationale, qui a engagé une procédure à l’encontre de six éminents Kényans présumés responsables des violences post-électorales de 2007-2008] et les élections de 2012.

« Pour être honnête, le gouvernement a pris des mesures positives pour trouver des solutions durables pour les PDIP », a dit M. Sheekh. « Parmi les solutions durables figurent le retour, la réinstallation dans une autre région du pays et l’intégration locale. Ces mesures n’ont toutefois pas été prises dans l’esprit des Principes directeurs des Nations Unies [ http://www.idpguidingprinciples.org/ ] ou de la Convention de l’Union africaine sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées [ http://www.irinnews.org/fr/ReportFrench.aspx?ReportID=86786 ] .

« Plus important encore, [en 2008] le gouvernement s’est principalement occupé des PDIP kikuyus et a ignoré les besoins des autres franges de la population des personnes déplacées, comme les pasteurs somaliens, les Turkana, etc. », a-t-il indiqué.

M. Sheekh a ajouté que l’opération Rudi Nyumbani portait atteinte au droit des PDIP de ne pas être rapatriés de force dans des régions où leur vie, leur sécurité et leur liberté sont menacées, et qu’il s’agit d’un droit inscrit dans les Principes directeurs. « Le gouvernement a lancé le programme dans la précipitation et installé les PDIP dans des camps de transit en dépit des protestations exprimées par des fractions de la population des PDIP.

« La surveillance et l’analyse de ce programme a montré qu’il n’y avait pas eu beaucoup de concertation et que le programme avait été mis en ouvre en l’absence d’une véritable réconciliation entre les communautés », a dit M. Sheekh.

Tensions persistantes

David Tebelewa a fui son domicile situé dans le district de Njoro, dans la vallée du Rift, en 1998 à la suite d’une attaque menée par une communauté rivale et au cours de laquelle sa mère et ses deux frères ont trouvé la mort. Avant d’être contraint à la fuite, il possédait une exploitation de pommes de terre de 0,8 hectare ; il effectue aujourd’hui des petits travaux dans les environs de Nakuru.

« Ceux d’entre nous qui ont été déplacés se sont vus allouer des terres dans un [autre] district, mais les terres ont également été données aux personnes qui ont soudoyé des représentants du gouvernement. Finalement, seuls ceux qui sont proches du pouvoir ont obtenu des terres ; nous n’avons rien et nous souffrons ».

Patrick Githinji, président de l’ONG National Network of IDPs, a dit : « Les populations locales n’ont pas encore fait la paix ; elles [les différentes communautés] coexistent dans un climat de méfiance et de suspicion ».

Concernant les PDIP déplacées avant le scrutin de 2007, M. Githinji a indiqué que les dizaines de milliers de familles déplacées entre 1992 et 2006 et qui se sont depuis intégrées aux communautés locales des environs de Nakuru constituent le groupe le plus important.

« Ce groupe comprend un grand nombre de colporteurs, de travailleurs du secteur informel, de prostituées et de familles vivant dans les rues de la ville de Nakuru », a-t-il ajouté.

M. Githinji a évoqué la nécessité de sensibiliser les PDIP contre l’instrumentalisation à des fins électoralistes. Il a exprimé sa crainte de ne pas voir les PDIP réinstallées cette année pour que les responsables politiques puissent les utiliser au cours de la campagne pour les élections de 2012.

Les efforts d’IRIN pour obtenir un commentaire du ministère d’État chargé des programmes spéciaux, qui est responsable de la réinstallation des PDIP, sont restés vains.

M. Sheekh, de l’IMDC, a dit à IRIN : « Si le Kenya veut trouver une solution durable au problème chronique des PDIP, il est crucial qu’il adopte le projet de politique nationale sur les PDIP qui est toujours entre les mains du ministère d’État chargé des programmes spéciaux. Il est également important que le gouvernement ratifie la Convention de l’Union africaine sur l’assistance et la protection aux personnes déplacées en Afrique.

« Ces instruments offrent un cadre pour la protection des PDIP. Cela étant dit, la mise en ouvre de la nouvelle Constitution devrait traiter les questions qui sont à l’origine des griefs et réparer ces injustices ».

Source : http://www.irinnews.org/reportfrench.aspx?reportID=92842