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Kenya : Les violations des droits humains des réfugiés somaliens par les forces de sécurité doivent faire l’objet d’enquêtes

D 22 mai 2012     H 05:41     A Human Rights Watch     C 0 messages


L’armée et la police ont commis des viols, des agressions et des pillages dans la province du Nord-Est
4 mai 2012

Les forces de sécurité kenyanes ont commis en toute impunité des violations généralisées des droits humains à l’encontre de personnes d’origine somalienne, a affirmé Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui. Entre novembre 2011 et mars 2012, les policiers et les soldats kenyans ont arrêté arbitrairement et maltraité des citoyens kenyans et des réfugiés somaliens dans la province du Nord-Est, en riposte à des attaques commises par des militants soupçonnés d’être liés au mouvement armé islamiste somalien al-Shabaab.

Ce rapport de 65 pages, intitulé « Criminal Reprisals : Kenyan Police and Military Abuses against Ethnic Somalis », (« Représailles criminelles : La police et l’armée kenyanes violent les droits des personnes d’origine somalienne »), décrit en détail des violations des droits humains commises par les Forces de défense du Kenya et la police kenyane, apparemment en guise de riposte à une série d’attentats à la grenade ou à la bombe artisanale qui avaient visé à la fois les forces de sécurité et la population civile, dans la province du Nord-Est. Au lieu d’ouvrir des enquêtes en vue d’identifier et d’arrêter les auteurs de ces attentats, la police et l’armée ont toutes deux réagi en se livrant à de violentes représailles contre des citoyens kenyans et des réfugiés somaliens.

« Les attentats perpétrés par des partisans présumés d’al-Shabaab sont odieux mais ils ne peuvent en aucun cas justifier ce genre de violation aveugle des droits humains », a déclaré Leslie Lefkow, directrice adjointe de la division Afrique à Human Rights Watch. « Les policiers et les militaires kenyans devraient protéger les civils et non pas les agresser. »

Les violations commises par les membres des forces de sécurité que Human Rights Watch a documentées comprennent des viols et des tentatives de violence sexuelle ; des passages à tabac ; des détentions arbitraires ; des extorsions de fonds ; des pillages et des destructions de biens ; ainsi que diverses autres formes de mauvais traitement. Human Rights Watch a également découvert des cas de traitement dégradant et inhumain, tels que forcer les victimes à s’asseoir dans l’eau ou à se rouler sur le sol. Le gouvernement a promis d’enquêter sur ces violations mais aucun policier ou soldat n’a été inculpé, sanctionné ou tenu de rendre des comptes de quelque manière que ce soit.

Le rapport est basé sur des entretiens avec 55 victimes de violations de leurs droits par les forces de sécurité, dont 20 Somaliens du camp de réfugiés de Dadaab et 35 citoyens kenyans, pour la plupart d’origine somalienne, dans les villes de Garissa, Mandera et Wajir. Human Rights Watch a également interrogé des responsables de la police et de l’armée, des responsables administratifs locaux, des parlementaires, des représentants du Haut-Commissariat des Nations Unies aux réfugiés (UNHCR) et des militants de la société civile, dans la province du Nord-Est.

A Garissa, les abus par les Forces de défense du Kenya ont commencé juste après que des attentats à la grenade eurent été commis en novembre, a relevé Human Rights Watch. Fin novembre, des soldats ont pris pour cibles certaines habitations particulières, pénétrant dans les propriétés et frappant les personnes qui s’y trouvaient, dont un écolier de 16 ans qui a eu un bras fracturé dans une attaque par des soldats.

Entre novembre et janvier, des officiers du camp militaire de Garissa ont rassemblé de force plusieurs dizaines de civils, dont des chauffeurs qui garaient leurs véhicules près du camp, et les ont maltraités, les accusant d’appartenir à « al-Shabaab ». Les victimes ont été forcées à s’asseoir dans de l’eau souillée pendant qu’on les interrogeait, à se rouler au sol dans un champ à l’intérieur du camp, et à faire d’autres « exercices » humiliants, comme faire du saut-de-mouton dans le champ ou marcher en cercle avec un doigt planté au sol. Beaucoup de ces personnes ont été battues avant d’être libérées. Aucune n’a été inculpée de quelque crime que ce soit.

Un jeune gardien âgé de 17 ans qui a été battu par des soldats kenyans à Garissa a raconté à Human Rights Watch : « Ils ne nous ont posé aucune question, ils ont simplement commencé à nous frapper. Ils ne nous ont même pas demandé notre nom. Ils nous ont contraints à nous allonger et à nous rouler sur le sol. Nous nous sommes roulés par terre pendant environ une demi-heure, ici sur la route. Après ces ‘exercices’, ils sont partis, puis ils sont revenus et ont recommencé à nous tabasser. Ils nous ont frappés à coups de poing et à coups de botte. J’ai reçu des coups sur tout le corps. Ils n’en ont épargné aucune partie. »

À Mandera et à Wajir, des soldats ont agressé des civils juste après que des attentats à l’explosif eurent été commis en novembre et décembre. Les dignitaires locaux ont constaté qu’en novembre, des soldats kenyans, auxquels s’étaient joints des policiers kenyans et des soldats du Gouvernement fédéral de transition somalien (GFTS), ont passé à tabac au moins 115 personnes à Mandera, ville située à un kilomètre de la frontière somalienne. En décembre, des soldats kenyans ont arbitrairement rassemblé de force et maltraité environ 56 personnes à Wajir, battant certaines d’entre elles et les forçant toutes à se rouler sur un chemin de gravier en plein soleil.

Les soldats ont infligé des blessures permanentes à certains civils, dont une femme âgée épileptique qui est devenue grabataire à la suite de son agression, et un ouvrier qui ne peut plus travailler pour faire vivre sa famille, après avoir été battu si violemment à coups de crosse de fusil qu’il a perdu deux dents et n’a plus qu’une vision partielle à un œil.

Les violations les plus graves ont été commises par la police dans les camps de Dadaab, qui abritent plus de 460.000 réfugiés, des Somaliens pour la plupart. À la suite de plusieurs attentats à l’explosif qui ont causé la mort de deux membres de la Police administrative, la police a effectué une opération de représailles organisée contre des réfugiés. Les policiers sont allés de maison en maison, ont violé au moins une femme et tenté d’en agresser d’autres sexuellement, ont battu des enfants parfois âgés de pas plus de quatre ans, et ont volé de l’argent et pillé des biens d’une valeur de plusieurs millions de shillings (des centaines de milliers de dollars). Les policiers ont dit à au moins deux réfugiés, alors qu’ils les battaient, de « retourner en Somalie ».

Une femme qui a été violée par un policier à Dadaab a raconté à Human Rights Watch :

C’était au lendemain du jour où une explosion s’était produite au marché …. Trois policiers sont venus. Ils disaient : “Apportez-nous de l’argent” et “Où est votre mari ?” Tous les trois ont commencé à me frapper avec une barre métallique. Ils m’ont soulevée pour [me transporter] à l’intérieur de la maison. J’ai crié que j’étais une enseignante …. Deux d’entre eux sont sortis de la maison, laissant derrière eux le troisième, qui a immédiatement verrouillé la porte, ouvert la fermeture éclair [de son pantalon] tout en me tenant par le cou de la main droite. J’ai commencé à crier et je me suis débattue. A la longue, il est parvenu à m’enlever mon sous-vêtement, m’a attirée contre lui debout et au bout d’un moment, alors que je luttais, j’ai senti son sperme couler sur mes cuisses.

Les attentats à l’explosif semblent avoir constitué une riposte à l’intervention militaire du Kenya en Somalie, l’opération Linda Nchi (« Protéger le pays » en swahili), qui a débuté en octobre par le déploiement de plusieurs milliers de troupes kenyanes dans des zones contrôlées par al-Shabaab. En février, des troupes kenyanes se sont jointes à la Mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM), une force de maintien de la paix créée pour protéger le fragile Gouvernement fédéral de transition et contre laquelle al-Shabaab est en conflit.

Depuis février, il n’y a pas eu d’attaque d’envergure de la part des militants dans la province du Nord-Est. En corollaire, les violations des droits humains par les forces de sécurité ont diminué. Cependant, comme l’a dit un parlementaire kenyan à Human Rights Watch, « la guerre devrait se poursuivre et [les forces de sécurité] doivent éviter de réagir de nouveau de cette manière …. Elles ne peuvent pas corriger un mal en commettant un autre mal. »

Les ministères d’Etat pour la Défense et pour la Sécurité intérieure ont promis d’enquêter sur les violations des droits humains et de faire rendre des comptes aux officiers responsables. Le ministère de la défense a pris quelques mesures à cet égard, formant une commission d’enquête ad hoc qui a interrogé des victimes à Garissa, Mandera et Wajir, mais on ignore encore quelles mesures le ministère prendra si les informations sur les violations sont confirmées. Le ministère de la sécurité intérieure n’a jusqu’à présent pris aucune mesure concrète pour enquêter sur ces violations.

Les représailles à l’encontre des citoyens d’origine somalienne ont contribué à accroître la méfiance à l’égard des forces de sécurité des habitants de la province du Nord-Est, lesquels ont dit à Human Rights Watch qu’à plusieurs reprises depuis l’indépendance, les forces de sécurité kenyanes avaient violé en toute impunité les droits de citoyens d’origine somalienne.

« Le comportement abusif des policiers et des militaires kenyans a marginalisé encore davantage les citoyens d’origine somalienne dans la province du Nord-Est, à un moment où les autorités kenyanes ont le plus besoin de leur confiance et de leur coopération pour assurer la protection des civils », a conclu Leslie Lefkow. « Le gouvernement kenyan devrait affirmer clairement que les violations des droits humains des personnes d’origine somalienne ne seront plus tolérées et faire en sorte que les policiers et les soldats qui ont commis de telles violations soient traduits en justice. »