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Kenya : referendum...et après ?

D 8 octobre 2010     H 04:07     A Paul Martial     C 0 messages


Le changement de la Constitution au Kenya vient de loin. Il a
été porté dans les années 80 par les militant-e-s de la
société civile, engagé-e-s dans la lutte pour la défense des
droits humains et pour le multipartisme, contre le gouvernement
de Daniel Arap Moi et du parti unique la KANU. En 1997, se
constitue la 4Cs « coalition des citoyens pour le changement
constitutionnel » qui en fit un préalable avant les élections de
1997. La nouvelle Constitution adoptée lors du suffrage universel
du 4 août par 67,25 % des votant-e-s serait, pour beaucoup
d’observateurs, la plus progressiste après celle de l’Afrique du
Sud.
A certains égards, ce n’est pas faux, car cette nouvelle
Constitution réaffirme les libertés fondamentales du droit
d’association, d’expression, de manifestation, de la presse etc. Si
elle s’inscrit dans le cadre d’un régime présidentiel, elle en
restreint cependant le pouvoir : en premier lieu par la limitation du
nombre de mandats à deux ; ensuite par la possibilité pour
l’Assemblée Nationale de destituer le président ; enfin l’Assemblée
a par ailleurs un droit de veto sur la nomination des hauts
fonctionnaires tels les procureurs, gouverneurs régionaux etc.
Cette Constitution prévoit la création d’un Sénat représentant
d’une part les contés du pays et d’autre part, les partis politiques
représentés à la proportionnelle et la création d’une Cours
Suprême.
Des nouveaux droits apparaissent : la transmission de la mère
à l’enfant de la nationalité, la possibilité d’un droit à l’avortement
s’il existe un risque de santé pour la mère. Cette disposition, et
cette autre prévoyant le maintien des tribunaux de Cadis (tribunal
musulman pour les affaires de la vie quotidienne) ont déclenché
l’ire des églises chrétiennes, qui ont mené une campagne
virulente contre l’adoption de la nouvelle Constitution tout comme
l’ancien dictateur Arap Moi.
Mais si le résultat du référendum a été salué par l’ensemble
des chancelleries occidentales, il ne règle aucunement les
problèmes fondamentaux des kenyan-e-s. En effet, cette
Constitution s’inscrit dans le cadre politique capitaliste et se
refuse à garantir la satisfaction des besoins sociaux des
populations. Le référendum a surtout servi à légitimer une classe
politique qui en 2007, lors des élections présidentielles, n’avait
pas hésité une seconde à susciter les haines ethniques entre la
population pour tenter de conquérir le pouvoir, ce qui vaut
d’ailleurs une ouverture d’enquête de la Cour Pénale
Internationale.
La nouvelle Constitution soulève aussi des interrogations
concernant la question de la terre qui est un sujet de la plus
grande importance pour un pays où plus de 70 % de la
population est rurale. Les régimes de propriété de la terre sont
d’une extrême complexité avec les anciennes « crown land » qui
sont maintenant des terres gouvernementales, les « trust land »,
sur lesquelles sont les différentes communautés mais qui sont
gérées par les administrations provinciales et enfin, les terres
privées. En 2004 le rapport Ndungu a fait le point sur les
problèmes fonciers. Il a mis en évidence, le trafic de titres de
propriété, la corruption, l’injustice et la politisation dans la
distribution des terres sous les régimes de Kenyatta, après
l’indépendance, et sous celui de son successeur Arap Moi. Le
rapport relate aussi des expulsions de terre de certaines
communautés au profit d’autres.
La Constitution, qui entrera en vigueur en 2012, doit instaurer
une commission nationale de la terre, indépendante, qui devrait
répondre aux problèmes fonciers qui sont sources de multiples
disputes parfois violentes entre ethnies, et ont été
instrumentalisées par les dirigeants des différents partis
bourgeois qui se disputent le pouvoir. La méfiance est donc
grande parmi la population sur la capacité de cet Etat
bureaucratique et corrompu, plus prompt à créer des problèmes
qu’à les résoudre de manière justes, en offrant des solutions
acceptables pour tous.
Les solutions aux problèmes sociaux et fonciers passeront par
une mobilisation des populations, pour imposer une autre
répartition des richesses, en s’affranchissant des réflexes de replis
ethniques qui ne servent que les cliques des factions bourgeoises.

Paul Martial