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Etre pirate en Somalie : une alternative à l’oubli

D 16 juin 2009     H 21:23     A Isabel Ferreira     C 0 messages


Questions : l’état avancé de délabrement de la Somalie ne
serait-il pas la conséquence d’une certaine forme de nonconformité
avec le modèle occidental ? Les méchants
pirates somaliens qui sèment la terreur et menacent une des
artères vitales du commerce mondial dans le golf d’Aden, ne
représenteraient-ils pas une compensation au pillage de leurs
ressources, à l’abandon de la communauté internationale, à la
seule logique de répression violente et intéressée du reste du
monde ? Quand et comment les puissances industrielles vontelles
comprendre que la solution manichéenne consistant soit à
distribuer du riz, soit à intervenir militairement, ou par le biais de
l’ingérence dans un pays souverain, est vouée à l’échec ou plus
encore à la destruction pure et simple de l’Etat concerné (Irak,
Afghanistan, Pakistan, Somalie…) ? Car, bien sûr, les politiques
bien connues de pompiers et de lutte contre le crime font florès
dans ces régions dévastées du monde…
Après la chute du dictateur Siad Barre en 1991, l’ONU multiplie
les opérations humanitaires en Somalie où la première
intervention au nom du droit international d’ingérence humanitaire
est menée. De 1992 à 1995, toutes les tentatives « humanomilitaires
 » tournent au fiasco et sont incapables de normaliser la
situation. Pendant une décennie, l’Occident ignore cette zone du
globe et le pays, majoritairement musulman, livré au chaos
impliquant des clans régionaux et aux mains de « seigneurs de la
guerre », assiste à un renouveau islamique. C’est ainsi qu’en juin
2006, des affrontements entre l’ARPCT (Alliance pour la
Restauration de la Paix et Contre le Terrorisme) et les
Nouvelles du continent
fondamentalistes musulmans de l’UTI
(Union des Tribunaux Islamiques) ont
conduit à la victoire de ces derniers pour le
contrôle de Mogadiscio. S’ensuit alors une
brève période de paix (6 mois) ou l’UTI, à
sa manière, acquiert la confiance de la
population et instaure une force politique
unifiée et un certain ordre.
Un ordre pas au goût de tout le monde.
Le mot « islamique » ayant été lâché, celui
de « terroriste » y est immédiatement associé. Le 11 Septembre
aidant, la Somalie est alors considérée par l’administration Bush
comme un fief des membres d’Al Qaïda. Craignant une
« talibanisation » de la région pouvant menacer l’accès aux
matières premières, les Etats-Unis donnent le feu vert à l’ennemi
de toujours, l’Ethiopie, pour envahir la Somalie. Au mépris de
toute légitimité de l’Etat et de sa population, et dans le but
d’imposer leur propre modèle démocratique, les Etats-Unis, par
le biais de l’Ethiopie, replongent le pays dans le chaos, réduisent
à néant la tentative de construction d’un Etat unifié par l’UTI et
impose de nouveau l’anarchie.
C’est à se demander si la misère et la piraterie
somaliennes ne sont pas plus acceptables pour la
communauté internationale qu’un régime hostile
aux valeurs occidentales ? Il est en effet moins
coûteux, plus rapide et beaucoup plus
spectaculaire de créer des forces navales, des
polices internationales des mers et de permettre
à des navires de guerre d’entrer dans les eaux
territoriales de la Somalie (au mépris de sa
souveraineté) que de chercher une véritable
stratégie internationale et une concertation pour
un volet de stabilisation de la Somalie. Les pirates ne sont que les
symptômes de ce pays à l’agonie et non les causes.
Au large d’un pays où la moitié de la population a faim et où
un enfant sur cinq souffre de malnutrition, des cargos transitent
avec des armes, des hydrocarbures, du poisson… Pour les uns, la
vie continue tout près de l’endroit où elle s’est arrêtée pour les
autres. Non, ces hommes n’ont rien à perdre, peut-être se
servent-ils une petite partie du gâteau dont ils ont été privés. La
prise d’otages comme seule alternative à l’oubli.

Isabel Ferreira