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Somalie : Le festival de musique de Mogadiscio vise Al-Shabab

D 2 mai 2013     H 05:06     A IRIN     C 0 messages


MOGADISCIO - Les organisateurs du festival de musique de Mogadiscio, une série de concerts qui ont eu lieu la semaine dernière dans la capitale somalienne, avaient pour objectif d’inaugurer une nouvelle ère d’ouverture et de développement dans un pays marqué par la guerre, et de détourner les jeunes influençables des extrémistes.

Le festival a été la première manifestation publique importante, avec de la musique, à Mogadiscio depuis que la guerre civile a éclaté, il y a 20 ans. Cette guerre avait atteint son paroxysme avec la montée d’Al-Shabab, un groupe de militants islamistes qui avait rendu la musique totalement illégale.

Malgré le retrait des insurgés d’Al-Shabab de Mogadiscio en 2011, ils représentent encore une menace tangible, car ils ont revendiqué de récents attentats à la bombe dans la capitale [ http://www.irinnews.org/fr/Report/97749/Briefing-La-paix-relative-qui-règne-en-Somalie-ne-laisse-rien-présager-des-difficultés-à-venir ].

« Al-Shabab incarne deux types de menaces : l’une est réelle, l’autre, psychologique », a précisé Farah Abdullahi, directeur général de Kau Media Corporation, qui a filmé l’un des concerts du festival pour la télévision nationale. « Parfois, ils ne font rien mais tout le monde a peur ».

Pour M. Abdullahi, diffuser l’évènement est un symbole important pour le pays : « Les gens vont enfin réaliser qu’ils ont peur de quelque chose qui n’existe pas. Après, ils auront assez confiance en eux pour leur résister. Je veux montrer à Al-Shabab et à ceux qui croient en ce mouvement qu’ils ont perdu ».

Promouvoir le développement

Le festival, créé par le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) et le département d’État américain, fait venir des musiciens de sept pays différents. D’après les organisateurs, environ 2 000 jeunes, garçons et filles, ont assisté à la manifestation, et la diffusion en direct du concert par M. Abdullahi a touché un public national et international de 300 000 personnes.

Les défis logistiques du festival consistaient en l’absence d’une industrie de la musique locale - tout le matériel a dû être apporté du Somaliland, la République autoproclamée du nord - et l’influence permanente d’Al-Shabab.

« Al-Shabab sait où ça se passe. Ils font encore partie du système, de la communauté », a ajouté Farah Abdullahi.

M. Abdullahi est l’un des nombreux hommes d’affaires somaliens revenus de l’étranger qui insufflent un nouvel élan à l’économie du pays. Il a vécu plusieurs années au Royaume-Uni, mais maintenant, il habite à Hargeisa [ http://www.irinnews.org/fr/Report/95492/SOMALIE-Mogadiscio-se-remet ].

M. Abdullahi espère que ce genre d’évènements aidera la Somalie à relancer son secteur privé anciennement prospère.

« C’était l’une des plus belles villes du monde », a-t-il déclaré au sujet de Mogadiscio dans les années 1960. « Pas chère, très calme, les meilleures discothèques du monde, les meilleures plages et les meilleures boissons ».

Sensibiliser les jeunes

« Si Al-Qaida et les réseaux de la terreur partout dans le monde trouvent les moyens d’unir des Somaliens, des Afghans, des Soudanais, des Tchétchènes, des Arabes et d’autres jeunes dans l’extrémisme, la tuerie et la haine, pourquoi ne ferions-nous pas mieux en rassemblant les jeunes autour de la mesure, la réconciliation et l’amour grâce à la musique et à l’art ? », demande Daniel Gerstle, fondateur de Humanitarian Bazaar, qui a coproduit le festival.

M. Gerstle ne croit pas dans les concerts « humanitaires », comme ceux universalisés par Bob Geldof Peter Gabriel dans les années 1980 et 1990, qui ne touchent finalement que le public occidental. Ce genre d’initiatives devrait plutôt cibler les jeunes gens les plus exposés à l’extrémisme violent, a-t-il expliqué.

« Qui s’assoit près d’eux, près de ces garçons du public qui sont susceptibles d’alimenter le conflit ? Les extrémistes », a ajouté M. Gerstle.

Le festival de musique de Mogadiscio a adressé directement son message à la jeunesse somalienne.

La tête d’affiche de l’évènement était le groupe de hip-hop somalien, Waayaha Cusub, connu pour ses chansons qui abordent de plein fouet les problèmes du pays. Un de leurs albums a pour titre « Non à Al-Shabab ».

« Nous sommes ici pour propager un message de paix », a dit Kombo Chokwe d’Afro-Simba, un groupe kényan présent au festival.

Dans le cadre de la manifestation, d’anciens combattants d’Al-Shabab et des enfants soldats ont participé à un « concert de réconciliation » organisé en partenariat avec le gouvernement fédéral.

« [Il y avait] 400 [personnes] dans le public présent composé d’anciens combattants qui ont déserté ou ont été capturés, et qui sont démobilisés avant d’être réinsérés », explique M. Gerstle.

Contribution pour la paix

L’un des responsables du festival, Bill Brookman, appelle ce genre d’initiatives artistiques « la contribution pour la paix ».

Ces programmes peuvent promouvoir une récupération post-conflit de plusieurs façons. Par exemple, en 2005, M. Brookman a favorisé la mise en place d’un théâtre de rue en Sierra Leone pour sensibiliser le public aux dangers des débris de guerre explosifs.

La même année, son organisation, la Fondation Bill Brookman, a créé Caravane de la Paix, une initiative dont l’objectif était de pouvoir s’introduire dans les quartiers violents de Port-au-Prince à Haïti [ http://www.billbrookman.co.uk/foundation/documents/armed_criminal_gangs/Rapport_Naratif_ILLUSTRE_CDLP_080508_general_audience_Eng_sans_annexe.pdf ].

« Trois véhicules de couleurs vives [transportant] des acteurs, des musiciens et des artistes sont entrés dans le quartier pauvre le plus vivement déconseillé, où les gangs faisaient la loi », indique un rapport de la fondation qui précise que la présence des artistes a permis d’amorcer des négociations avec les chefs de gangs.

Mais ces efforts comportent d’énormes risques.

Les organisateurs du festival de Mogadiscio surveillent maintenant de près la sécurité des fixeurs, des chauffeurs et des producteurs associés à la manifestation parce qu’ils risquent de devenir les cibles d’Al-Shabab. Un homme qui a reçu des menaces a déclaré qu’il se tenait prêt à quitter le pays si cela s’avérait nécessaire.

« J’ai pensé, ’un tel évènement n’est-il pas un peu prématuré ?’ », a déclaré un habitant de Mogadiscio qui a demandé à rester anonyme. « Ça passe ou ça casse. Soit ils font quelque chose qui permettra de sortir de l’impasse, soit ils nous ramènent cinq ans en arrière ».

Source : http://www.irinnews.org