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Soudan : quand les policiers tirent dans les hôpitaux

D 9 février 2022     H 12:00     A Eliott Brachet     C 0 messages


Depuis le 25 octobre, le Soudan est le théâtre de manifestations massives à travers tout le pays. À chaque rassemblement, des centaines de blessés affluent dans les hôpitaux. Mais ces derniers sont régulièrement la cible des forces de sécurité.

Chaque semaine, à l’appel des comités de résistances et de diverses organisations de la société civile, des marches dites « du million » réunissent des milliers de personnes pour exiger pour la chute des généraux putschistes et l’avènement d’un pouvoir civil au Soudan. Elles sont violemment réprimées par les forces de l’ordre qui n’hésitent pas à tirer à balles réelles dans la foule. En trois mois, la répression a fait au moins 79 morts.

Dans le couloir d’un hôpital, des hommes en uniformes, d’autres en civils, armés de kalachnikovs, arrêtent un jeune homme et le traînent par les pieds jusqu’à la sortie. Ces scènes sont récurrentes depuis le 25 octobre, explique Aladdin Awad.

Ce représentant du Bureau unifié des docteurs soudanais fait défiler des vidéos de surveillance sur son ordinateur. « Ici on est au premier étage de l’hôpital al-Arbaein à Oumdurman. Vous voyez là une arrestation d’un révolutionnaire. Ils le frappent. Ils intimident le personnel et ont même lancé du gaz lacrymogène. Vous voyez les infirmières se couvrir le visage. Ils attaquent les hôpitaux à la recherche de certains manifestants qu’ils traquent pour leur activisme au sein des comités de résistance. Parfois, ils cherchent juste à empêcher les blessés d’être soignés ».

Asphyxiés par les gaz lacrymogènes, ces médecins doivent parfois soigner les patients à l’extérieur des bâtiments. Le 9 janvier, le collectif de docteurs a envoyé une lettre à destination du Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, dénonçant plus de 20 attaques dans les hôpitaux en trois mois.

« Il y a beaucoup de tension, surtout les jours de manifestations. Les médecins craignent de subir une attaque des forces de l’ordre à tout moment. Ils ne peuvent plus travailler correctement. Le gaz lacrymogène tiré dans les hôpitaux affecte aussi les autres patients, qui n’ont pas participé aux manifestations. Il n’y a aucun respect pour notre travail », dénonce le docteur Aladdin Awad.

« C’est la même répression »

Le médecin a fermé son bureau à double tour. Il lance de temps à autre des regards inquiets vers la porte. « Les services de renseignements sont partout », explique-t-il. La semaine dernière une équipe de Médecins sans Frontières a passé une nuit en détention pour avoir prêté main-forte au personnel d’un hôpital.

L’avocat Saleh Bushra rappelle que le général Abdel Fattah al-Burhane a octroyé des pouvoirs élargis aux différentes composantes de l’appareil sécuritaire. Elles bénéficient d’une totale immunité. « Ces attaques sont le fait de l’armée, mais aussi des miliciens des forces de soutien rapide, de la police, de la réserve centrale et des services de renseignements. Il y a pourtant des lois internationales qui protègent les médecins et qui sanctuarisent les hôpitaux et le travail du personnel hospitalier. Mais toutes les lois sont suspendues. C’est la même chose que le régime de Bachir. Juste la tête a changé. C’est la même répression ».

L’état d’urgence décrété au moment du coup d’État est toujours en vigueur. Dans le droit pénal soudanais, l’article 75 garantit pourtant une assistance médicale à toute personne blessée. Les forces de l’ordre, elles, se défendent de toute utilisation disproportionnée de la violence et nient toute implication dans les exactions commises au sein des hôpitaux.

Eliott Brachet (RFI)

Source : https://www.rfi.fr/