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Les femmes craignent pour leur sécurité dans les camps sud-soudanais

D 20 septembre 2014     H 05:18     A IRIN     C 0 messages


MALAKAL - Le couvre-feu que s’est imposé Julie Francis commence au coucher de soleil. Cette veuve, qui est également mère de quatre enfants, vit depuis décembre sur la base des Nations Unies située en périphérie de Malakal. Elle fait partie des plus de 17 000 personnes qui ont fui pour échapper aux affrontements sporadiques dans la capitale de l’État sud-soudanais du Nil supérieur. Le camp surpeuplé n’est cependant pas sans danger, en particulier pour les femmes et les filles.

Mme Francis peut entendre les adolescents ivres qui harcèlent les femmes alors que celles-ci se déplacent sur le site par les chemins plongés dans l’obscurité. Elle a vu les trous que les hommes ont faits dans les bâches qui servent de cloisons entre les douches pour pouvoir reluquer les femmes. Elle a réconforté des victimes de viol.

« C’est inacceptable », a-t-elle dit. « Ils nous attaquent quand nous allons aux toilettes ou quand nous allons chercher de l’eau le soir. » Selon une évaluation rendue publique à la fin du mois dernier par le Groupe sectoriel global chargé de la protection, un organe interagences, 28 cas d’agressions sexuelles ont été rapportés dans le camp de Malakal entre janvier et juin de cette année. Les travailleurs humanitaires estiment toutefois que la vaste majorité des attaques ne sont probablement pas signalées.

Mme Francis a donc décidé qu’il était préférable de placer un cadre de lit devant l’entrée de sa tente dès la tombée de la nuit. Ses filles et elle utilisent un sac au lieu de sortir pour aller aux toilettes.

Elle trouve cependant que cela n’est pas juste. « Les gens devraient prendre ce problème au sérieux. Ils devraient prendre des mesures sérieuses pour aider [à résoudre le problème]. Il y a encore des gens qui doivent apprendre que le viol n’est pas acceptable », a-t-elle dit.

Où sont les projecteurs qui pourraient dissuader les hommes de se cacher près des latrines ? Pourquoi n’y a-t-il pas de patrouilles régulières de la police des Nations Unies (UNPOL) pour protéger les femmes qui souhaiteraient rendent visite à des amis le soir ou simplement se rendre aux toilettes ? Pourquoi a-t-elle l’impression d’être la seule personne à prendre des mesures pour s’assurer de ne pas être violée ?

Le problème ne se limite pas au camp de Malakal. Depuis que les combats ont éclaté au Soudan du Sud, à la mi-décembre, près de 100 000 personnes se sont entassées dans les dix bases de la Mission des Nations Unies au Soudan du Sud (MINUSS) situées dans la moitié est du pays. Ces bases sont maintenant appelées « sites de protection des civils » (Protection of Civilians, PoC). Il n’y a pas de statistiques officielles, mais, selon les groupes humanitaires, les violences sexuelles et basées sur le genre (VSBG) - les viols, mais aussi les passages à tabac, le harcèlement et la violence domestique - existent à des degrés divers dans tous les grands camps et s’accompagnent généralement d’un ressentiment croissant. Les femmes et les filles estiment en effet que des efforts supplémentaires devraient être déployés pour assurer leur protection.

« Frustration croissante »

« Il est évident qu’il y a une frustration croissante », a dit Nana Ndeda, responsable du plaidoyer et des politiques pour Care International. Elle a discuté avec des femmes qui vivent dans les camps au sujet des expériences qu’elles y ont vécues depuis le début du conflit. « Elles sont de plus en plus frustrées par l’incapacité de la MINUSS à fournir le genre de sécurité qu’elles souhaiteraient avoir. »

Ce qui est le plus rageant, a-t-elle dit, c’est que l’on connaît déjà les stratégies qui devraient être mises en ouvre. Les Lignes directrices sur les interventions en réponse aux VSBG dans le contexte humanitaire, un document de 87 pages rédigé par un comité formé de représentants des agences des Nations Unies et de groupes humanitaires, offrent en effet des recommandations détaillées, notamment l’éclairage des parties communes, la création d’espaces sécuritaires où les femmes peuvent venir chercher de l’aide en toute confidentialité et la prise en compte systématique de l’avis des femmes et des filles quant à la manière d’améliorer la situation.

Or, dans les premiers jours du conflit, les employés de la MINUSS avaient du mal à offrir des services essentiels aux déplacés. Ils devaient en effet composer avec l’afflux d’un nombre sans précédent de civils cherchant à se réfugier dans les bases des Nations Unies et avec l’évacuation de plusieurs dizaines de travailleurs humanitaires.

« Nous recevions beaucoup plus de déplacés que nous ne pouvions en héberger et nous devions trouver le moyen de continuer à faire fonctionner la base », a dit Derk Segaar, qui dirige l’équipe de protection de la MINUSS. Au tout début du conflit, alors que les gens affluaient vers les bases situées un peu partout dans le pays, « l’idée était de leur faire juste un peu de place dans un endroit où ils pourraient rester pendant un certain temps ».

Des milliers de personnes vivent encore dans les abris qui ont été construits à la hâte dans les premiers jours des combats, lorsque les problèmes tels que les VSBG ont été relégués au second plan pour tenter de venir en aide au plus grand nombre de personnes possible.

Tidial Chany est un leader communautaire qui a été élu comme représentant pour les habitants de l’un des secteurs du camp de Malakal - PoC 2 - qui existe depuis le début. Il travaille en collaboration étroite avec les policiers des Nations Unies pour assurer la sécurité dans son secteur, mais il dit qu’il est presque impossible de surveiller toutes les allées sombres et boueuses. Il a fini par conclure : « La sécurité n’est pas bonne sur le site. »

Peu de temps après le début du conflit, les employés de la MINUSS, conscients de ces problèmes, ont commencé à déployer des efforts pour acquérir des terrains supplémentaires et aménager de nouveaux sites de manière plus stratégique, a dit M. Segaar, mais leurs efforts ont été ralentis par les exigences de la bureaucratie et la poursuite des affrontements.

De nouveaux camps ont finalement ouvert leurs portes en juin à Juba et à Malakal. Les lignes directrices ont été prises en compte au moment d’organiser les nouveaux espaces : par exemple, les latrines des femmes sont situées près d’artères bien éclairées et sont séparées de celles des hommes. L’ouverture d’un autre site est prévue à Bor, la capitale de l’État du Jonglei, plus tard ce mois-ci.

« Ce ne sont pas seulement quelques semaines ou quelques mois à la suite de quoi les gens seront heureux de rentrer chez eux », a dit M. Segaar. « Voilà pourquoi nous avons construit ces bases. Nous devons être capables de garder ces gens en sécurité et en santé pendant une période qui pourrait être beaucoup plus longue. »

Contraintes d’espace

Or, il n’y a pas suffisamment d’espace pour tous les déplacés, du moins sur le nouveau site de Malakal. Le mois dernier, les nouveaux déplacés qui ont afflué vers la base après avoir entendu des rumeurs faisant étant d’une nouvelle attaque ont dû trouver refuge dans des abris que d’autres personnes venaient tout juste d’abandonner. À Bentiu, où sont actuellement hébergées plus de 47 000 personnes - ce qui en fait le principal site d’accueil des déplacés -, les pluies continues n’ont pas permis de commencer les travaux de construction d’un nouveau site de protection des civils.

La priorité a dès lors été recentrée sur la mise en ouvre d’interventions plus basiques pour mettre un terme aux VSBG. Et bien que la Mission travaille en étroite collaboration avec les organisations d’aide humanitaire, selon M. Segaar, les questions telles que l’éclairage et l’emplacement des latrines « relèvent clairement de la responsabilité des humanitaires ».

Mme Ndeda a dit que les organisations d’aide humanitaire devaient composer avec les contraintes d’espace, en particulier à Bentiu, où « il est tout simplement impossible de caser une seule tente supplémentaire ». Cela signifie qu’elles ne peuvent pas créer des espaces sécuritaires permanents pour les femmes et qu’elles doivent plutôt se tourner vers des solutions temporaires. Elles utilisent par exemple les salles des cliniques de santé qui sont inutilisées pour tenir de manière temporaire des séances de counselling.

Elle reconnaît cependant aussi qu’il est difficile, d’après son expérience, de trouver les fonds nécessaires pour des interventions telles que l’amélioration des latrines et des blocs-douches. « Il y a très peu de personnes qui vous disent qu’ils souhaitent fournir du matériel d’éclairage », a-t-elle dit.

La situation commence cependant à changer au fur et à mesure que les gens prennent conscience des lacunes en matière sécuritaire. Oxfam a, par exemple, décidé de distribuer 6 400 lampes solaires aux habitants du camp de Malakal. Les femmes seront ainsi plus en sécurité pour se rendre aux toilettes pendant la nuit.

Mme Ndeda estime qu’il est plus que temps, près de neuf mois après le début du conflit, que la MINUSS, les organisations d’aide humanitaire et les leaders du camp trouvent le moyen d’intensifier leurs efforts de protection. Alors que les pourparlers de paix entre le gouvernement et les rebelles dirigés par l’ex-vice-président Riek Machar continuent de piétiner dans la capitale éthiopienne, Addis Abeba, elle a ajouté : « On n’entrevoit pas de sitôt la fin des sites de protection des civils ». Par ailleurs, même si tous les camps sont réorganisés, la sécurité demeurera un problème.

Manque de policiers

La MINUSS dispose d’environ 1 300 policiers pour l’ensemble des sites, ce qui inclut les membres des unités de police constituées (UPC), qui sont spécialement formés pour gérer les foules. Cela représente une amélioration par rapport aux 900 policiers des Nations Unies affectés à la Mission il y a trois ans. M. Segaar a cependant précisé qu’il ne restait plus qu’une poignée d’entre eux pour patrouiller une fois répartis dans les camps et divisés en équipes pour assumer les trois quarts de travail.

« Je dirais qu’il s’agit de la principale contrainte avec laquelle nous devons composer », a-t-il dit.

Les structures sociales qui auraient pu offrir aux femmes une certaine protection ont en outre été démantelées. « Nombre des mécanismes de protection qui existaient possiblement auparavant ne sont plus en place aujourd’hui », a dit Lea Krivchenia, une responsable de programme principale auprès de Nonviolent Peaceforce, une organisation à but non lucratif qui contribue à la protection et à l’implication des femmes dans certains camps et dans des régions rurales. On peut notamment citer, parmi ces mécanismes, les réunions communautaires et les systèmes de justice traditionnels, dont la réimplantation dans l’environnement surpeuplé des camps rencontre certaines difficultés.

Rachel Nayik vit sur la base de Malakal depuis le mois de février. Cette ancienne enseignante au niveau secondaire organise maintenant des réunions hebdomadaires pour les femmes vivant dans le camp. Elle estime que la majeure partie des VSBG sont le fait de jeunes hommes ayant été traumatisés par les affrontements qui ont débuté à la mi-décembre. Elle a dit que leurs expériences les avaient rendus agressifs et que cette agressivité était aggravée par l’alcool qu’ils consomment pour supporter l’oisiveté forcée de la vie dans les camps. « Nos traditions ne permettent pas le viol », a-t-elle dit. « C’est seulement à cause de la guerre que le problème est devenu endémique. »

Elle a dit à IRIN que les femmes, voyant que des VSBG continuaient d’être commises, craignaient que les attaques ne soient devenues partie intégrante du mode de vie des camps. Elle a ajouté qu’elles étaient prêtes à assumer elles-mêmes leur protection si des patrouilles supplémentaires de la police des Nations Unies n’étaient pas mises en place ou si des changements n’étaient pas apportés dans l’organisation des camps.

Elles veulent cependant disposer de meilleures options que de placer un cadre de lit devant l’entrée de leur tente ou d’utiliser un sac pour éviter de sortir quand il fait nuit pour aller aux toilettes.

Surendra Kumar Sharma a entendu le même discours pendant l’étude qu’il aidé à réaliser il y a quelques mois dans l’un des camps de Juba. M. Sharma, conseiller technique en chef pour le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), avait accès à des fonds pour la mise en place d’un projet pilote destiné à améliorer les conditions de vie dans le camp. Il a donc demandé aux communautés comment le PNUD pouvait leur venir en aide.

« La sécurité était définitivement l’un des principaux sujets de préoccupation pour toutes les personnes interrogées, et en particulier pour les femmes et les enfants », a-t-il dit. Les déplacés qui habitent la base ont déjà créé des groupes de surveillance communautaires, mais ils ont besoin d’aide pour patrouiller plus efficacement dans le camp et ainsi prévenir les crimes, en particulier les VSBG.

En collaboration avec la police des Nations Unies, le PNUD a mis sur pied une formation d’une semaine sur les principes de base pour surveiller efficacement le camp et lutter contre les VSBG. Des rondes ont lieu depuis près d’un mois. M. Sharma a dit qu’il était trop tôt pour dire si le nombre de crimes avait réellement diminué, mais qu’il était optimiste.

Les groupes de surveillance communautaires répondent au besoin de « trouver une solution au problème à l’intérieur des paramètres existants », a dit M. Sharma. Il a ajouté qu’ils seraient heureux d’exporter la formation à d’autres camps s’ils pouvaient obtenir les fonds pour le faire. « Je pense que les solutions qui viennent des populations elles-mêmes et qui bénéficient d’un soutien externe ont plus de chances de fonctionner à long terme. »