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SOUDAN DU SUD : Besoin urgent de soins de santé mentale

D 4 septembre 2012     H 13:21     A IRIN     C 0 messages


JUBA - La guerre civile qui a secoué le Soudan du Sud pendant des décennies a traumatisé la population. Le pays, qui souffre d’un manque chronique de développement, a également des difficultés à fournir des infrastructures, du personnel et des soins aux personnes qui ont besoin de soins psychiatriques.

Suite à la signature de l’accord de paix avec Khartoum en 2005, les agences d’aide humanitaire sont intervenues dans le sud du pays pour fournir des services de santé et d’éducation. Depuis qu’il a obtenu son indépendance en 2011, le jeune gouvernement du Soudan du Sud essaye de construire un État ; les services de santé dispensés sont généralement provisoires et les programmes de santé mentale inexistants.

« Les soins psychiatriques sont très rudimentaires, mais beaucoup de personnes souffrent de traumatismes liés à la guerre, ressentent de la frustration, et certaines prennent de la drogue », a indiqué Yatta Yori Lugor, sous-ministre de la Santé.

Selon le South Sudan Medical Journal, la dépression, l’état de stress post-traumatique (ESPT), l’anxiété et l’abus d’alcool ou d’autres drogues sont des problèmes de santé mentale majeurs au Soudan du Sud. Les données les plus récentes sur la prévalence proviennent d’une étude réalisée en 2007 sur 1 242 adultes vivant à Juba : 36 pour cent des personnes interrogées présentaient les symptômes de l’ESPT et 50 pour cent des personnes interrogées présentaient les symptômes de la dépression.
[ http://www.southsudanmedicaljournal.com/archive/may-2012/post-conflict-mental-health-in-south-sudan-overview-of-common-psychiatric-disorders-part-2-anxiety-and-substance-abuse.html ]
[ http://www.biomedcentral.com/1471-244X/9/7/abstract/ ]

Ni psychiatres, ni médicaments

« Un grand nombre de personnes souffrent de problèmes de santé mentale, et si vous vous déplacez dans [la capitale] Juba, vous en croiserez beaucoup dans les rues », a dit M. Lugor.

Il indique que les personnes souffrant de troubles mentaux, émotionnels et comportementaux sont plus souvent dirigées vers les guérisseurs traditionnels ou la police que vers les centres de santé. Il a ajouté que cette situation est liée au manque de compréhension face aux problèmes de santé mentale dans ce pays où le taux d’alphabétisation ne dépasse pas 27 pour cent, les infrastructures de communication sont médiocres et les routes peu nombreuses.
[ http://www.unicef.org/southsudan/10928_Education_issue.html ]

George Wani est le directeur de l’hôpital universitaire de Juba, le seul établissement médical public du pays qui soigne les personnes souffrant de maladies mentales. Le service de santé mentale ne dispose que de 12 lits. Selon M. Wani, le Soudan du Sud n’a plus de psychiatre, le dernier étant parti en Tanzanie.

Le service de santé mentale, qui prend en charge les cas les plus sévères, n’emploie que quelques infirmiers à peine formés. Il ne dispose pas des médicaments utilisés dans le traitement des maladies mentales, et a même du mal à obtenir des sédatifs.

« Tous les kits médicaux d’urgence comprennent un ou deux tranquillisants. Nous les récupérons pour les utiliser dans le service de psychiatrie qui ne dispose pas des médicaments nécessaires », a-t-il dit.

Selon les dossiers médicaux, les patients reçoivent des doses régulières de diazépam, qui est un sédatif et un anti-anxiolytique.

Certains patients, comme Matthew, qui a été emmené à l’hôpital par sa mère, ont été menottés à leur lit.

« Regardez-moi, on m’a attaché, attaché », a-t-il dit en tirant son lit doté d’un cadre métallique dans les couloirs. Fatigués, les infirmiers indiquent qu’ils ne peuvent panser la blessure profonde qu’il porte au poignet, car ils ne disposent ni de gaze, ni de coton.

Sédation ou emprisonnement

M. Wani explique que les patients difficiles à traiter reçoivent des sédatifs ou sont conduits en prison.

« Le sanatorium de Juba se trouve à l’intérieur de la prison. Nous n’avons pas d’alternative », a-t-il dit. « Un patient placé dans un espace ouvert aurait un comportement très destructeur, il représenterait une menace pour les autres, il serait très violent, agressif, et les personnes à l’extérieur ne peuvent rien y faire ».

En juin, Human Rights Watch a dénoncé « les conditions dures et inacceptables dans lesquelles vivent les prisonniers », et les cas de détention arbitraires, et a souligné que bon nombre de prisonniers étaient incarcérés « parce qu’ils présentaient des signes de déficience mentale ».
[ http://www.hrw.org/fr/news/2012/06/21/soudan-du-sud-des-cas-de-d-tention-arbitraire-et-des-conditions-de-vie-effroyables-e ]

M. Wani, qui se rend à la prison régulièrement, reconnait que la situation est très difficile et que certains patients sont enchaînés au sol. Cependant, indique-t-il, les quelque 50 patients qui souffrent de déficiences mentales et sont accueillis à la prison de Juba n’ont nulle part d’autre où aller.

« La seule solution est de construire un sanatorium à l’extérieur de la prison... car l’hôpital n’a pas les capacités nécessaires pour accueillir toutes les personnes souffrant de maladies mentales », a-t-il dit.

Un problème insurmontable

Entretemps, les violences ont des conséquences sur la santé mentale des personnes qui les subissent. Les différends liés aux vols de bétail ont récemment dégénéré en conflit ethnique et plus de 140 000 personnes sont affectées. Les camps qui accueillent les réfugiés et les personnes déplacées à l’intérieur du pays offrent peu de soins de santé mentale.
[ http://www.irinnews.org/fr/Report/94718/SOUDAN-DU-SUD-Briser-le-cycle-de-la-violence-à-Jonglei ]

« Cette frustration quotidienne associée aux traumatismes passés génère davantage de traumatismes », et de violence, a dit un travailleur humanitaire international ayant souhaité garder l’anonymat.

« Je pense que les organisations d’aide humanitaire devraient changer la manière dont elles abordent les questions de santé au Soudan du Sud. Les questions de santé mentale sont incluses dans les programmes généraux de santé, mais elles ne sont tout simplement pas détectées ou les centres de santé s’occupent [uniquement] des symptômes physiques ».

Mais le gouvernement dit qu’il n’a pas les ressources nécessaires au financement de services psychiatriques.

« Le problème, c’est les ressources. Elles sont partagées afin de répondre à tous les besoins et, comme vous le savez, une grande partie des ressources est utilisée pour faire face aux urgences », a dit M. Lugor du ministère de la Santé.

Les soldats de l’Armée de libération du peuple soudanais (SPLA), qui sont engagés en première ligne dans la guerre qui se prolonge, souffrent terriblement de l’incapacité du système de santé à aborder les questions de santé mentale. Le directeur de l’hôpital militaire de Juba, Peter Ajak Bullen, dit que c’est un grave problème au sein de l’armée.

« Il y a tellement de soldats qui souffrent de traumatismes. Et on ne peut pas les ignorer, car les soldats de la SPLA sont importants pour le pays », a-t-il dit.

La SPLA compterait 140 000 soldats, selon le groupe de recherche Small Arms Survey.
[ http://www.smallarmssurveysudan.org/pdfs/HSBA-SWP-23-SPLA-Transformation-2006-10-and-Beyond.pdf ]

Bien qu’il dispose de meilleures infrastructures que les autres établissements, l’hôpital militaire n’a que trois employés qui ont une formation en psychologie et qui dispensent des soins de base.

« Nous n’avons pas d’hôpital psychiatrique, nous n’avons même pas un service psychiatrique bien établi, que ce soit à l’hôpital militaire de Juba ou à l’hôpital universitaire de Juba », a dit M. Bullen.

William a survécu à un bombardement aérien effectué alors que les troupes avançaient sur la région disputée de Heglig à l’occasion du conflit lié aux ressources pétrolières et à la terre qui a opposé le Soudan au Soudan du Sud. Il se trouve désormais à l’hôpital militaire de Juba.
[ http://www.irinnews.org/fr/Report/95299/SOUDAN-SOUDAN-DU-SUD-Heglig-et-la-frontière ]
[ http://www.irinnews.org/report/95196/Briefing-Sudans-border-clashes ]

« Il était confus. Il a perdu conscience pendant un moment, mais quand il est arrivé ici, il est revenu à lui. Il n’était pas blessé, il était simplement confus », a dit M. Bullen tandis que William avait le regard perdu.

Les médecins lui ont donné des sédatifs pendant quatre jours : William a pu s’assoir, manger et parler. « Mais plus tard, il a fait une rechute. Nous lui avons à nouveau prescrit des tranquillisants, les mêmes sédatifs. Nous n’avons rien d’autre. Nous avons des médicaments de base pour le traitement des maladies mentales, et nous proposons un soutien ».

Les patients les plus sévèrement atteints sont dirigés vers l’hôpital public, et lorsque les médecins ne peuvent rien pour eux, ils sont envoyés en Ouganda.

Si aucune solution n’est trouvée, indique M. Bullen, les patients comme William, qui a une femme et cinq enfants, continuent à recevoir leur salaire et bénéficient du programme des « héros blessés » qui propose des formations aux vétérans de l’armée handicapés.

Perpétuer le cycle de la violence

Les violences dues aux maladies mentales doivent également être prises en compte.

« Nous n’avons pas de statistiques, mais nous avons entendu parler de cas de suicide », a dit M. Lugor, citant l’exemple récent d’un mari qui a tué sa femme avant de retourner son arme contre lui.

« Ce sont des choses qui arrivent, et elles arrivent partout au Soudan du Sud. La situation ne concerne pas seulement les soldats, elle concerne toute la population », a-t-il ajouté.

Selon des responsables, des cas de suicides de soldats ou de meurtres perpétrés par des soldats sont signalés chaque semaine. « Il est courant que des civils se fassent tirer dessus ou se fassent agresser », a dit M. Bullen.

« Je suis chirurgien généraliste. Je ne suis pas psychiatre, mais je rencontre des cas de schizophrénie - très peu, peut-être une ou deux fois par an. La plupart des patients concernés sont dépressifs », a-t-il dit.

Renforcer la capacité

Afin de faire face au grave manque de personnels psychiatriques, un programme - auquel l’université d’Oslo, l’organisation non gouvernementale (ONG) norvégienne SINTEF Health, l’université Bahr El Ghazal du Soudan du Sud, et l’université Ahfad pour les femmes de Khartoum participent - forment des étudiants et des professionnels de santé aux questions de santé mentale.
[ http://www.sintef.no/Teknologi-og-samfunn/Helse/Global-helse-og-velferd/Helsetjenester/Capacity-building-in-the-field-of-mental-health-in-South-Sudan/ ]

« Il y a un grand écart entre les besoins et les services de santé disponibles, et une très mauvaise connaissance et compréhension des questions de santé mentale », a dit Lisbet Grut, scientifique pour SINTEF Health.

« Nous essayons d’atteindre un stade où les personnels de santé seront capables de reconnaitre les problèmes de santé mentale, de les diagnostiquer correctement et de diriger les patients vers des spécialistes qui pourront les soigner ».

Le programme, qui a été mis en place en 2007, rassemble pour l’instant neuf diplômés universitaires - des étudiants en master et en doctorat en santé mentale à l’université Bahr El Ghazal - et propose des formations en santé mentale courtes à 72 travailleurs de la santé.

Le gouvernement prévoit également de développer une stratégie de santé mentale « qui portera sur la défense des droits, la législation et les droits humains, la planification, le financement et l’organisation des services, la qualité et l’utilisation des psychotropes ».
[ http://ghiqc.usaid.gov/tasc3/docs/650-09-313/annex_a.pdf ]

source : http://www.irinnews.org