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SOUDAN DU SUD : Désarmement et rébellion dans le Jonglei

D 10 octobre 2012     H 05:30     A IRIN     C 0 messages


JUBA - Des milliers d’armes ont été saisies lors d’une opération de désarmement de grande envergure dans l’État sud-soudanais du Jonglei. Pourtant, la sécurité dans cet État, qui est l’un des plus marginalisés du pays, se voit maintenant menacée par un chef rebelle et sa campagne de recrutement.

L’opération a été lancée à la suite de la mort d’au moins 600 personnes dans une attaque menée en janvier par des combattants Nuer contre leurs rivaux de l’ethnie Murle dans le comté de Pibor, dans le Jonglei.
[ http://www.irinnews.org/fr/Report/94849/SOUDAN-DU-SUD-Rapport-sur-les-violences-dans-le-Jonglei ]

Depuis, les violences se sont calmées entre ces deux communautés, qui se rendaient coup sur coup depuis longtemps en pratiquant des razzias de bétail.

Désormais, selon Philip Aguer, porte-parole de l’armée, l’une des principales menaces contre la sécurité dans le Jonglei vient d’un groupe rebelle qui prévoit de « prendre Pibor comme lieu pour défier le gouvernement du Soudan du Sud ».

Comme de nombreux opposants du gouvernement du Soudan du Sud, le chef du groupe, David Yau Yau, un Murle, avait bénéficié d’une amnistie présidentielle et s’était vu offert un emploi - de général - au sein de l’armée. Mais il a abandonné cette fonction et est à nouveau entré en rébellion en avril.

M. Aguer l’a accusé de « pousser les jeunes Murle à refuser le désarmement » et d’être l’instigateur de l’embuscade du 23 août qui s’est conclue par 24 soldats morts, 12 blessés graves et 17 disparus.

Quelques jours après cette embuscade, des soldats ont encore essuyé des tirs à Likuangole, une ville Murle à 60 km de là, qui avait été presque entièrement détruite en janvier. Les civils ont alors dû fuir vers les villages voisins et la Mission des Nations Unies au Soudan du Sud (MINUSS) a été contrainte de déployer davantage de Casques bleus.

L’unique dispensaire de Likuangole, dirigé par Médecins Sans Frontières (MSF), avait été mis à sac et pillé lors de l’attaque de janvier et a de nouveau été pris pour cible.

« Un certain nombre de bâtiments de Likuangole, dont les locaux de MSF, ont été vidés de leurs équipements ces dernières semaines », a dit Liam McDowall, directeur des communications de la MINUSS, sans désigner de coupables.

Un travailleur humanitaire qui a demandé à garder l’anonymat a accusé les soldats du gouvernement participant à l’opération de désarmement d’avoir « volé de la nourriture et d’autres dons humanitaires destinés aux civils. Ils prennent ce qu’ils veulent à qui ils veulent ».

« Compte tenu du fait que la plupart des communautés sont toujours en train d’essayer de se remettre des violences de janvier, l’aide humanitaire représente une part essentielle de leurs moyens de subsistance et les populations civiles se retrouvent désormais sans nourriture et sans abris », a-t-il ajouté.

Les organisations d’aide humanitaire sont rares dans le comté de Pibor et seulement deux interviennent dans la ville de Pibor. En raison des récentes inondations, on ne peut accéder à de nombreuses zones du comté qu’en bateau ou en hélicoptère.

Réaction hostile au désarmement

« Le soutien dont bénéficie M. Yau Yau est dû à la violence du processus de désarmement », a dit un autre travailleur humanitaire qui a demandé à garder l’anonymat par peur des représailles.

Cette opinion est partagée par les aînés et autres chefs Murles, qui ont demandé au ministre délégué à la Défense, Majak D’Agoot, dans une lettre datée du premier septembre, de mettre un terme à l’opération de désarmement afin « de dissuader les jeunes de rejoindre les forces de David Yau Yau, car c’est la principale raison pour laquelle ils ont intégré son groupe. »

Selon certains rapports, la rébellion de M. Yau Yau recrute aussi bien des jeunes Nuer que des jeunes Murle.

Si les Murle sont peu nombreux au sein du gouvernement de l’État, ce n’est pas « le seul groupe à se sentir marginalisé dans le Jonglei », a dit Judy McCallum, ancienne responsable de la section construction de la paix de l’organisation non gouvernementale Pact au Soudan du Sud. Mme McCallum rédige actuellement une thèse de doctorat sur les Murle.

« J’hésite à dire que seuls de jeunes Murle sont recrutés, mais je mettrais davantage l’accent sur le fait que ce sont des jeunes gens privés de leurs droits, qui sont peu représentés et ont peu d’espoir de voir leurs revendications prises en compte, qui sont attirés au sein des milices », a-t-elle dit à IRIN dans un courriel.

Le Soudan du Sud a lancé sa campagne de désarmement dans tout l’État du Jonglei en mars et a annoncé la semaine dernière avoir collecté 12 000 armes.

L’État a été le théâtre de violents combats durant la guerre civile qui a divisé le nord et le sud du pays entre 1983 et 2005. La plupart de ses habitants Nuer et Dinka se sont battus aux côtés de l’Armée de libération du Soudan (SLA), qui est maintenant l’armée nationale du Soudan du Sud, tandis que Khartoum fournissait des armes aux milices Murle pour l’affaiblir.

« Les Murle ont longtemps considéré le désarmement comme une autre façon de les punir et un prétexte commode pour le faire », a ajouté le travailleur humanitaire.

MSF a remarqué un niveau sans précédent d’« extrême violence » lors des attaques menées cette année. Les personnes âgées, les femmes et les enfants, ont notamment été pris pour cible avec une brutalité exceptionnelle.

Les groupes de défense des droits de l’homme et de pression ont averti à plusieurs reprises des dangers de l’opération de désarmement dans le Jonglei, soulignant l’absence de zone tampon entre les communautés rivales, l’échec des pourparlers de paix auxquels ont participé les chefs des mouvements de jeunes et la violence qui avait accompagné les précédentes initiatives de désarmement avortées.
[ http://www.irinnews.org/fr/Report/94990/Analyse-Des-avis-mitig%C3%A9s-sur-la-campagne-de-d%C3%A9sarmement-de-l-%C3%89tat-du-Jonglei ]

Allégations de violences

En avril, la MINUSS a dit être « très préoccupée par ces rapports [faisant état] de violations des droits de l’homme au cours du désarmement », mais a ajouté être « réconfortée » par les mesures prises pour traduire les coupables en justice.

En mai, Navi Pillay, Haute Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, a exhorté le gouvernement de mettre fin à « l’impunité qui perdure depuis longtemps » et d’enquêter sur les « crimes graves » qui ont été commis après le passage de l’opération de désarmement d’une phase volontaire à une phase forcée.

Elle a également appelé le gouvernement à honorer sa promesse de mettre sur pied une commission du Jonglei pour enquêter sur les violences. À l’heure actuelle, cet organe n’est toujours pas fonctionnel.

Parmi les violences, un récent rapport de Human Rights Watch citait notamment des « soldats tirant sur des civils et les maltraitant en les frappant, en les attachant avec une corde et en leur plongeant la tête dans l’eau pour leur soutirer des informations sur les endroits où se trouvent les armes ». Il signalait également des « viols, passages à tabac et autres actes de torture ».
[ http://www.hrw.org/news/2012/08/23/south-sudan-end-abuses-disarmament-forces-jonglei ]

« Les cas constatés ne représentent probablement qu’une petite partie du nombre total d’incidents, car nombre de victimes et de témoins ne signalent pas ces crimes aux autorités du comté », est-il précisé dans le rapport.

Si la MINUSS estime que la sécurité dans le Jonglei s’est « nettement améliorée », elle signalait cependant fin août « des allégations de violences, dont un meurtre, 27 allégations de torture et de mauvais traitements tels que des passages à tabac et des simulacres de noyade dans certains cas, 12 viols, six tentatives de viol et huit enlèvements », entre le 15 et le 20 août.

« La majorité des victimes sont des femmes et, dans certains cas, des enfants », a remarqué la MINUSS.

« [Les soldats ont] violé ma mère et ma sour et torturé un enfant de huit ans. Comment peut-on faire ça à un enfant et pourquoi personne ne s’intéresse à ce que les Murle les arrêtent ? » a dit à IRIN un habitant du comté de Pibor qui s’est réfugié à Juba.

Entre le mois de mars et le 20 août, dans son dispensaire de Pibor, MSF a soigné 90 personnes qui souffraient de « violents traumatismes », notamment des victimes de viol. Trois d’entre elles ont succombé à leurs blessures.

Le gouvernement et l’armée ont rejeté les rapports de nombreux cas de violences sous prétexte qu’ils seraient « partiaux », « provocateurs » et basés sur des « rumeurs » et des exagérations véhiculées par des « groupes politisés ».

Malgré les inondations qui font obstacle au transport, de nouvelles troupes sont envoyées dans le comté de Pibor pour affronter M. Yau Yau et ceux qui ont refusé de rendre les armes.

« Le processus de désarmement sera poursuivi », a dit M. Aguer, le porte-parole de l’armée.

Cycles de violence

Selon Jok Madut Jok, universitaire et sous-secrétaire à la Culture, les annonces publiques saluant le déclin des affrontements interethniques sont prématurées.

« Le problème, c’est que l’accalmie que connaît ce conflit et d’autres qui lui sont similaires n’est pas due à un programme concerté de réforme du secteur de la sécurité, à une réconciliation entre les différents groupes ethniques ou à une résolution des causes et problèmes qui sous-tendent le conflit », a écrit M. Jok dans un article du nouveau Sudd Institute.
[ http://suddinstitute.org/images/stories/downloads/issuespaper1.pdf ]

« L’accalmie est simplement une caractéristique commune des conflits : les jeunes sont simplement fatigués de se battre et font une pause pour reprendre les armes lorsque l’un des problèmes non résolus déclenchera de nouveaux combats », a-t-il averti.

Même si la menace de M. Yau Yau n’est plus aussi virulente, des craintes subsistent concernant d’éventuelles représailles lancées lorsque les pluies cesseront, ces prochaines semaines.

Source : http://www.irinnews.org