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Sud Soudan : Hollywood n’avait pas prévu ce scenario là

D 2 janvier 2014     H 12:53     A Colette Braeckman     C 0 messages


Deux ans après l’indépendance, le Sud Soudan au seuil de la guerre civile

C’est un scénario que les stars d’Hollywood, Don Cheadle, Matt Dillon et surtout Georges Clooney, qui avaient passionnément milité en faveur de l’indépendance du Sud Soudan, n’avaient pas prévu : une « armée blanche » composée de 25.000 hommes armés de bâtons et de machettes, le visage couvert de cendres pour se protéger des insectes et effrayer les ennemis, marche sur Bor, la capitale de l’Etat de Jonglei, soutenant le vice président Riek Machar, en rupture avec le chef de l’Etat Salva Kiir.

Cette attaque sur Bor est le dernier épisode du conflit entre les deux principales ethnies du Sud Soudan, les Dinka, représentés par le chef de l’Etat Salva Kiir et les Nuer qu soutiennent Riek Machar.

A la veille de l’indépendance du plus jeune Etat d’Afrique, les deux hommes n’avaient conclu qu’un mariage de raison : Machar était un autonomiste de longue date, tandis que Salva Kiir était l’ancien lieutenant de John Garang, le « père de la nation ». Ce dernier, dont l’avion fut victime d’un accident ou abattu au lendemain d’un accord de paix conclu en 2005 avec Khartoum, n’avait pas combattu pour conquérir l’indépendance du Sud, mais pour aboutir à un Soudan démocratique, dans lequel le Sud, négligé depuis l’époque coloniale, aurait retrouvé une égalité de traitement avec le Nord.

Même si tous s’inclinent devant le mémorial édifié à la mémoire de John Garang à Juba, sa veuve ne craint pas d’affirmer « mon mari est sans doute mort en vain, sa vision a été dévoyée . » Deux ans après l’indépendance en effet, les rivalités ethniques et politiques l’ont emporté et le fragile Etat se trouve au bord de la guerre civile : à Juba, des témoins rapportent que des militaires appartenant à l’ethnie dinka –celle du président- font du porte à porte pour interpeller, frapper et parfois exécuter des civils d’une autre ethnie et que 250 soldats appartenant à l’ethnie Nuer auraient été assassinés. Deux charniers auraient été découverts dans la ville.

En dehors de la capitale, l’armée a éclaté suivant des fractures ethniques et des Nuers, soutenant le vice président Riek Machar, auraient pris le contrôle des Etats de Jonglei et de l’Unité, perpétrant à leur tour des massacres contre les Dinkas.
Appelant à un renforcement rapide de ses effectifs, qui devraient passer à 12.500 hommes l’ONU reconnaît qu’elle est débordée sur le plan humanitaire : fuyant les massacres, 45.000 civils se sont réfugiés dans ses bases situées dans la moitié des dix Etats du Sud Soudan et au total, plus de 100.000 personnes sont déplacées dans les Etats de Jonglei, de l’Unité, du Haut Nil, de l’Equateur central et oriental. A Bentiu, dans l’Etat de l’Unité, où se trouvent les principaux champs pétroliers, l’armée s’est divisée en factions rivales.

Très inquiets, les pays de la région (Ethiopie, Ouganda, Kenya) qui exerçaient une tutelle de fait, politique comme économique, sur le jeune Etat, multiplient les pressions et ont fixé au 31 décembre un ultimatum devant marquer la fin des combats.
Pour comprendre intellectuellement et saisir, de visu, les difficultés de l’indépendance du Sud Soudan, il faut parcourir le très beau livre du photographe belge Cedric Gerbehaye et du journaliste américain Jon Lee Anderson « Land of Cush ».(1)
(1)Les photos du premier montrent des paysages quasi bibliques où d’immenses troupeaux errent au milieu d’armes abandonnées, d’ abris couverts de bâches bleues. Le texte du second rappelle que si le nouvel Etat produit 350.000 barils de pétrole par jour, il ne comptait voici deux ans que 50 km de routes asphaltées et que sept de ses habitants sur dix sont analphabètes. Le Sud Soudan, négligé par le colonisateur britannique puis ignoré par Khartoum, est un pays façonné par la violence :de 1955 à 1972 un premier conflit fit 500.000 victimes et lorsque le Nord musulman décida d’étendre la charia au sud animiste ou chrétien, John Garang créa en 1983 l’Armée populaire de libération du Sud Soudan, entamant une guerre qui devait entraîner deux millions de morts et quatre millions de réfugiés. A la tête d’un pays enfin indépendant, nantis de ressources pétrolières très convoitées, les héritiers de Garang se sont révélés incapables de surmonter les clivages ethniques et, sur ce champ de ruines, de jeter les bases d’une véritable nation.

(1) Land of Cush, Cedric Gerbehaye et Jon Lee Anderson, éditions « le bec en l’air », 2013

Source : http://blog.lesoir.be/colette-braeckman