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De la démocratie en Afrique : les cas du Mali et du Sénégal

D 19 mai 2009     H 22:10     A Moulay     C 0 messages


Le Mali et le Sénégal, modèles de démocratie en Afrique de
l’ouest (avec le Bénin et le Ghana) ont eu pourtant des
parcours différents dans leur cheminement vers la
démocratie. Si le Mali a connu une longue période marquée par
la violente dictature de Moussa Traoré – de 1968 à 1991 – le
Sénégal a aussi connu une traversée du désert démocratique
marquée par un régime quasi-autoritaire de
Léopold Sédar Senghor – de 1960 à 1974 –
avant que ce dernier ne choisisse une ouverture
démocratique contrôlée, le nombre de partis
politiques reconnus étant alors limités à trois[1].
C’est seulement à partir de 1981 qu’Abdou Diouf,
le successeur désigné de L.S. Senghor, choisit
l’ouverture démocratique totale et sans
restriction de partis politiques, faisant du Sénégal
un des rares pays africains « démocratiques ».
Le pionnier dans l’alternance démocratique
en Afrique de l’Ouest n’est pourtant ni le Mali ni
le Sénégal mais le Bénin qui tente l’expérience
démocratique dès mars 1991, lorsque Nicéphore
Soglo bat Mathieu Kérékou (militaire arrivé au
pouvoir en 1972 par un coup d’Etat militaire) qui
crée ensuite un coup d’éclat en acceptant de
quitter le pouvoir après son échec aux élections
présidentielles. Il revient cependant au pouvoir
aux élections de 1996, posant ainsi la première
alternance démocratique en Afrique de l’ouest.
C’est pourtant l’alternance démocratique du 19 mars 2000 au
Sénégal qui est très médiatisée dans le monde et surtout en
France. D’abord parce que le Sénégal n’a jamais connu de coup
d’Etat militaire ; ensuite parce que ce pays est considéré un peu
comme le « bon élève » par la France qui ne peut se défaire de
son paternalisme. Le Mali a, quant à lui, suivi le parcours béninois
car le général Amadou Toumani Touré, arrivé au pouvoir par un
coup d’Etat militaire en 1991, restaure la démocratie et quitte le
pouvoir après la victoire d’Alpha Omar Konaré aux élections de
1992. Mais comme Mathieu Kérékou, il reviendra en 2002 avec
cette fois des habits civils et remporte les élections. Il est
d’ailleurs réélu en 2007.
Alors qu’en Afrique la démocratie est souvent suspecte
puisqu’il suffit d’échanger sa tenue de général putschiste en habit
civil pour devenir fréquentable, il est à noter dans ces derniers
pays que le déroulement des élections semble pourtant correct.
C’est en tout cas ce que révèle l’étude des élections au Sénégal
et au Mali. Au Sénégal, la courbe des voix du principal opposant
Abdoulaye Wade suit une courbe croissante entre 1983, date du
multipartisme total, et mars 2000 date de sa victoire historique
tandis que celle de son principal concurrent Abdou Diouf suit une
courbe inverse[2]. Abdoulaye Wade a donc accédé à la présidence
à l’usure, comme un véritable coureur de fond (au 2ème tour, il
obtient 58,1% contre 41,9% pour son adversaire A.Diouf). Il ne
doit cependant sa victoire au second tour que grâce à une
coalition hétéroclite (composée de son parti libéral le PDS et de
plusieurs autres partis de gauche[3]) regroupée au sein de la
coalition « Sopi » (« changement » en ouolof). Lors des élections
présidentielles de 2007, la tendance se confirme puisque Wade
remporte les élections au premier tour avec 55,86% des voix.
Entre temps, il s’était séparé de ses principaux alliés de 2000, qui
du coup se retrouvèrent pour la plupart dans l’opposition au sein
du Front « Siggil Sénégal » (front pour remettre le Sénégal
debout), avec le principal ennemi d’hier, le Parti Socialiste dirigé
après le départ de Diouf par Ousmane Tanor Dieng. Mais les
élections de 2007 sont un véritable Tsunami pour l’opposition qui
n’a pas réussi à proposer au peuple sénégalais un programme
commun. Elle est laminée[4]. Choquée, elle boycotte les élections
législatives, indexant le fichier électoral. Elle se console lors des
élections municipales de mars 2009 en remportant la plupart des
grandes villes sénégalaises (Dakar, Saint-Louis, Kaolack, Diourbel,
Louga…).

Au Mali, lors des premières élections libres depuis 1968,
Alpha Omar Konaré remporte les élections d’avril
1992 au second tour[5]. Il est réélu en 1997 face
à un seul candidat – Mamadou Diaby – avec
95,9% des voix. Cependant, les principaux partis
d’opposition ont boycotté le scrutin en
protestation contre l’annulation des élections
législatives quelques mois plus tôt. Konaré quitte
le pouvoir en respectant la limitation des mandats
présidentiels fixée à deux par la constitution
malienne. Son successeur n’est alors autre que
l’ancien « soldat de la démocratie » Amadou
Toumani Touré qui, ayant demandé sa mise en
retraite anticipée de l’armée, revient sur la scène
politique. Il remporte bien sûr les élections avec
64,35% des voix au second tour des élections
présidentielles de mai 2002[6]. Bien que sans parti
lors de sa première candidature, A.T.T. (Amadou
Toumani Touré), comme le surnomment les
Maliens, se présente de nouveau en 2007 mais
cette fois avec le soutien de nombreux partis
politiques dont l’ADEMA (Alliance pour la
démocratie au Mali), le parti créé par A. O.
Konaré, la société civile ainsi que plusieurs associations. Il est
réélu au premier tour avec 71,20% des votes[7].
La comparaison entre les élections présidentielles au Mali et
au Sénégal nous indique que si l’alternance au Sénégal s’est
jouée au second tour en 2000 – une première dans ce pays – au
Mali, toutes les élections se sont jouées au deuxième tour mais
les réélections se font toujours au premier tour. D’ailleurs, ceci
semble être une règle générale pour les deux pays puisque
Wade, élu au second tour lors des élections de 2000 est réélu dès
le premier tour sept ans plus tard. Il semble que le fait d’être
déjà président soit un atout majeur. Mais au fond, à quoi servent
la démocratie et l’alternance politique tant plébiscitées en Afrique
si elles ne permettent pas de changer le sort des milliers de
misérables, de laissés-pour-compte qui constituent la très grande
majorité de la population ? Ne sert-elle qu’à permettre aux
multinationales d’investir en toute sécurité en Afrique et surtout
d’exploiter encore et toujours plus les pays pauvres et ce en
toute bonne conscience « démocratique » ?
En tout cas, pour de nombreux jeunes africains, la politique
reste surtout un moyen comme un autre de s’enrichir. Les
hommes politiques ont des avantages énormes dès qu’ils
accèdent au pouvoir tandis que les jeunes africains voient tous
les jours leur situation se dégrader. Avec la mondialisation, les
télévisions satellites et autres, ils sont branchés en permanence
sur l’Occident riche, tandis que leurs rêves, à défaut de se
réaliser en Afrique-s, sont projetés vers l’Espagne, la France et
bien d’autres pays riches. Et les alternances peuvent continuer à
se réaliser dans leur pays, mais qu’est ce que ça change pour
leur quotidien ? Certes, la démocratie est le moins pire des
systèmes politiques, mais le pire de ce système est certainement
la fausse démocratie, le leurre-démocratique. Peut-on vraiment
parler de démocratie dans un pays pauvre où manger à sa faim
seulement est un combat de tous les jours ? Quelle démocratie
pour l’Afrique ? Certainement pas celle qui laisse la majorité sur
le trottoir mais une autre démocratie, plus juste, plus solidaire
aussi.

Moulaye

[1] Un parti de la mouvance socialiste représenté par le Parti
Socialiste de Senghor, un parti libéral représenté par le Parti
Démocratique Sénégalais d’Abdoulaye Wade et un parti communiste, le
Parti Africain de l’Indépendance dirigé par Mahjemout Diop .
[2] 17,38 % en 1978 contre 82,02 % pour Senghor ; 14,79% en
1983 contre 83,45 % pour Abdou Diouf ; 25,80 % en février 1988
contre 73,20 % pour Abdou Diouf, ; 32,03 % contre 58,40 pour Abdou
Diouf en 1993 ; 31% contre 41,3% au premier tour des élections de
2000. sources : http://fr.wikipedia.org/wiki/Élections_au_Sénégal
[3] PADS (Parti Africain pour la Démocratie et le Socialisme) de
Landing Savané de mouvance marxiste- maoïste ; le PIT (Parti de
L’indépendance et du Travail) de Amath Dansokho et la LD/MPT (Ligue
démocratique/Mouvement Pour les Travailleurs) de Abdoulaye Bathily,
communistes.
[4] Le PS arrive 3ème avec seulement 13,56% derrière l’ancien
premier ministre libéral de Wade entré en disgrâce mais qui obtient
14,92%.
[5] 69,01% contre 30,99% pour son adversaire Tiéoulé Mamadou
Konaté.
[6] Son image à l’extérieur est au beau fixe et Koffi Annan, le
Secrétaire Général des Nations Unies lui a déjà confié une mission pour
l’ONU en République Centrafricaine.
[7] Contre 19,15% pour son principal concurrent Boubacar Keïta.
Mais le Sadi a contesté le déroulement des dernières élections
présidentielles au Mali (validité du corps électoral, intimidations de
l’armée sur la population et les militants d’opposition).

Bibliographie
 Général Lamine Cissé, Carnets secrets d’une alternance, un soldat
au coeur de la démocratie, Editions Gideppe, Paris 2001.
 Mamadou Dia, Afrique, le prix de la liberté, L’Harmattan, Paris
2001.
 Rolland Colin, Sénégal notre Pirogue, au soleil de la liberté,
journal de bord 1955-1980, Présence Africaine, Paris 2007.
 Collectif, L’Afrique répond à Sarkozy, contre le discours de Dakar,
Editions Philippe Rey, Paris, 2008.