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Bénin : On veut savoir ce qu’on mange !

Chronique d’une initiative d’économie locale et solidaire au Bénin

D 28 avril 2014     H 05:47     A Françoise Wasservogel     C 0 messages


En mai 2013, cinq femmes de la commune de Abomey, dans la zone péri-urbaine de Cotonou, sont venues voir Émilie Atchaka du Cercle d’autopromotion pour le développement durable (Cadd-Bénin) qui « soutient des groupements de femmes autour de micro-projets communautaires, identifiés par les femmes elles-mêmes, pour améliorer leurs conditions de vie ». Elles lui ont expliqué qu’elles en avaient assez de ne pas savoir d’où venaient les produits qu’elles mettaient dans la marmite. Elles avaient une idée !

Elles voulaient élever des lapins qu’elles nourriraient exclusivement de ce qu’elles cultiveraient. Elles utiliseraient les excréments de leurs lapins pour fertiliser la terre dans laquelle leurs légumes pousseraient. Finis les engrais, les pesticides qui empoisonnent le sol et les êtres humains !

Choisir d’élever des lapins assure des résultats très rapides. En effet, une lapine peut avoir 5 à 6 portées par an, à raison de 6 et 9 lapineaux à chaque fois. Émilie s’est rendue à l’université de Cotonou pour trouver toutes les informations possibles concernant la cuniculture, les soins quotidiens et le suivi vétérinaire des lapins.

En août 2013, grâce à Quinoa, une ONG belge qui se donne pour objectif « d’accompagner les citoyen(ne)s afin de renforcer leurs capacités à s’engager individuellement et collectivement dans des alternatives porteuses de changement social », le projet de ces femmes de Abomey a pu voir le jour.

Avec les 1000 € alloués, elles ont pu faire installer une citerne, construire des clapiers, acheter les premières graines de légumes et 8 gros lapins, 6 femelles et 2 mâles. Leur structure, Vinandou, était prête. Vinandou signifie « nos petits enfants profiteront de ce projet ».

Cela montre à quel point ces femmes sont conscientes qu’il ne faut pas seulement travailler au jour le jour pour survivre, mais qu’il est nécessaire de savoir se projeter sur le long terme pour participer au développement des peuples.

Vinandou fonctionne grâce à son conseil d’administration chargé de l’organisation du travail et du planning des tâches quotidiennes. Aujourd’hui, elles sont 20 femmes à travailler sur la structure. Le matin est consacré au maraîchage, à l’arrosage des légumes et à l’arrachage des mauvaises herbes.

Elles préparent les légumes récoltés et en nourrissent les lapins. Elles nettoient les clapiers, désinfectent les berceaux des lapineaux, et procèdent aux soins vétérinaires elles-mêmes, puisqu’elles y ont été initiées, ce qui leur évite les dépenses d’un professionnel.

L’après-midi est dédié au travail agricole. Elles fertilisent le sol en épandant le compost fait à partir des déjections des lapins, de feuilles mortes et autres déchets naturels. Elles cultivent les légumes qu’elles utilisent pour nourrir les lapins et ceux qu’elles vendent sur les marchés.

Elles vendent les lapins sur place. Leurs clientes savent que tous leurs produits sont naturels. Les légumes et les lapins de Vinandou sont de plus en plus populaires. Certains restaurants se font un point d’honneur de les cuisiner, conscients que c’est une façon de fidéliser une clientèle soucieuse de la qualité de la nourriture proposée.

Au marché comme au restaurant, on veut savoir ce qu’on mange, on veut retrouver une alimentation saine. Les femmes de Vinandou appliquent simplement les méthodes de culture et d’élevage que leurs ancêtres pratiquaient avant la mondialisation, avant l’arrivée des OGM et des engrais poisons qui stérilisent la terre et ruinent les paysans.

Elles ont retrouvé la solution locale traditionnelle qui entretient la fertilité des sols par l’introduction régulière de compost naturel produit sur place. Elles assurent à leur famille une autosuffisance alimentaire. La vente des produits permet à Vinandou d’entretenir la structure, d’acheter les médicaments vétérinaires et les nouvelles semences.

Et petit à petit, la structure achète de nouvelles parcelles. Elles ont organisé des tontines, tiennent elles-mêmes les comptes, et s’entraident. L’organisation de leur structure leur permet de développer leur projet et d’améliorer petit à petit les conditions et la qualité de vie de leurs familles.

Elles ont compris que c’est la solution pour qu’aucune d’entre elles ne tombe dans le piège mortel du micro-crédit institutionnalisé, qui, par ses taux usuriers, étrangle les plus nécessiteux sans leur permettre de se développer, puisque les banques qui proposent le micro-crédit ne cherchent qu’à s’enrichir sur leur dos, quitte à les pousser jusqu’à la ruine et parfois même au suicide.

Cette expérience rappelle le film documentaire de Coline Serreau « Solutions locales pour un désordre global », qui montre des exemples d’alternatives pour « rétablir la sécurité alimentaire de l’humanité en rétablissant un lien honnête entre le champ cultivé et l’assiette de chacun ».

C’est exactement ce à quoi ces femmes du Bénin ont pensé instinctivement en se rendant compte qu’il suffisait de cultiver des légumes et d’élever des lapins, d’utiliser les uns pour nourrir les autres, et de nourrir la terre dans laquelle pousseraient les uns avec les déchets des autres. Il leur fallait un coup de pouce pour démarrer.

Émilie et Quinoa le leur ont apporté. Retrouver ce savoir-faire d’antan, réinstaurer l’économie locale, redéfinir les valeurs ancestrales, c’est certainement aussi réveiller le désir d’agir pour pouvoir enfin envisager une vie nouvelle.

par Françoise Wasservogel