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Burkina Faso : Déclaration liminaire sur l’affaire DABO Boukary

D 8 septembre 2022     H 07:00     A Union Générale des Etudiants Burkinabè (UGEB)     C 0 messages


Mesdames et messieurs les journalistes,
Avant tout propos, je tiens à vous remercier pour avoir répondu présent à notre invitation et pour le travail que vous faites quotidiennement pour permettre aux populations d’être au fait de l’actualité. La présente conférence de presse comme vous l’avez sans doute lu dans les correspondances que nous vous avons adressées porte sur la programmation en septembre 2022 du jugement de l’affaire DABO Boukary, étudiant en 7e année de médecine et militant de l’UGEB assassiné en mai 1990.

Mesdames et messieurs les journalistes,
Le 25 juillet dernier, le Comité Exécutif apprenait à travers le communiqué N°022 196 MJDHRI/CAB/DCRP publié sur la page Facebook du Ministère de la Justice et des Droits Humains, chargé des Relations avec les institutions, l’annonce du jugement des dossiers DABO Boukary et Ousmane GUIRO.

Plus tard la Cour d’Appel de Ouagadougou annoncera que dans le cadre du programme COSED (Programme Cohésion sociale Sécurité et Etat de Droit) il se tiendra une session « Rôle d’audience de la chambre criminelle de la cour d’appel de Ouagadougou siégeant à Ouagadougou du 19 au 30 septembre 2022 ».
Notre union qui n’a eu de cesse de se battre pour que toute la lumière soit faite sur ce crime odieux se réjouit de la programmation du jugement. C’est le lieu pour nous de rappeler les circonstances dans lesquelles DABO a été sauvagement assassiné.

Mesdames et messieurs les journalistes,
En mai 1990, l’unique section nationale de l’UGEB (Association Nationale des Etudiants Burkinabè) était en lutte pour l’amélioration des conditions de vie et d’études sur le campus de Zogona. Au lieu d’accorder une oreille attentive aux préoccupations des étudiants afin d’apporter des solutions, les autorités de l’époque, celles du Front populaire notamment, abattront une répression féroce jamais égalée sur les étudiants. Cette barbarie conduira à l’enlèvement de notre camarade qui sera torturé à mort au conseil de l’entente.

Le contexte national de mai 1990 était marqué par le règne du Front Populaire avec à sa tête le capitaine Blaise COMPAORE suite au coup d’Etat le plus meurtrier de l’histoire politique de notre pays qui s’est soldé par l’assassinat du capitaine Thomas SANKARA et douze de ses compagnons.

Le Front populaire, Etat d’exception, a assis son pouvoir par une terreur blanche. Aussi rappelons-nous que les années 1990 ont été marquées par l’imposition des Programmes d’ajustement structurels (PAS) par les institutions de breton Wood à notre pays. Ces programmes ultralibéraux ont consacré le désengagement de l’Etat des secteurs sociaux de base, toute chose qui a réuni les conditions objectives de lutte sur le campus.

Le 15 avril 1990, sous la direction de la corporation ANEB de l’ISN/IDR, les étudiants adopteront une plateforme revendicative synthétisant leurs préoccupations dont le système d’évaluation ultra sélectif avec des taux d’échec allant de 80 à 90%, le manque criard d’infrastructures (amphi, salles de cours, de TD et TP, de laboratoire), vétusté et problème d’équipement de celles existantes, la restriction des espaces de liberté.

Le directeur de l’Institut de l’époque Pr. Alfred TRAORE actuellement directeur à l’université aube nouvelle de Bobo Dioulasso et ses lieutenants, feu Pr. Gustave KABRE et le Pr. Hamidou BOLY en plus de faire la sourde oreille, engageront des campagnes de diabolisation et de dénigrement de l’ANEB et ses militants en les traitants de « farfelus » et de « rêveurs ». Pr. TRAORE refusa de recevoir la corporation et de lui accorder une salle appropriée pour la tenue d’une Assemblée générale le 15 mai 1990.

Ce refus n’a pas empêché les étudiants de tenir leur Assemblée générale qui a connu un franc succès avec une mobilisation monstre. Le succès de l’AG provoqua le courroux des autorités qui entreprirent dans la même soirée une nouvelle campagne d’intoxication mensongère sur les ondes de la radio et la télévision nationales.
Alfred TRAORE, feu Alain Nindaoua SAWADOGO (recteur de l’université de ouagadougou au moment des faits) et leur structure estudiantine qui s’était érigée en échelon administratif, le Bureau du Comité Révolutionnaire (CDR du temps du CNR) en perte de vitesse parce que vomi, avec à sa tête BAMBA Mamadou (lecteur du communiqué des putschistes du CNRD en septembre 2015), alors étudiant en 4e année de médecine sont ceux qui se sont adonnés à cette sale besogne.

Ces CR, il faut le rappeler avaient imposé que leur bureau soit le passage obligé pour l’organisation de toute activité sur le campus. Ils iront jusqu’à instituer la carte de militant CR pour l’obtention des prestations du CENOU, tout cela avec la complicité des autorités universitaires dont le recteur en premier. La campagne aura pour effet l’exclusion par le ministre des enseignements secondaire et supérieur, Mouhoussine NACRO (actuellement professeur d’université à la retraite) de tous les membres du Comité Exécutif de l’ANEB, du bureau de la corporation de l’ISN/IDR et deux autres militants.

Contre cette attitude fasciste, la lutte se généralisa avec un mot d’ordre du 16 au 21 mai. Ainsi, les étudiants se mobiliseront le lendemain 16 mai 1990 en procédant au boycott des cours et évaluations pour exiger la réintégration de leurs camarades. Ils organisèrent une marche de protestation ponctuée de meeting sur le rectorat. Pendant que les étudiants étaient en meeting devant le rectorat, feu Salifou DIALLO alors secrétaire adjoint aux affaires politiques de l’ODP/MT (aujourd’hui CDP), conseiller à la présidence du Faso et garçon de course du capitaine Blaise COMPAORE arriva sur le campus. Il trouvera sur place les militaires du CNEC (ancienne appellation du défunt RSP) et le recteur feu Alain Nindaoua SAWADOGO.
Feu Salifou DIALLO, ordonna aux militaires de réprimer les étudiants. Ainsi une furie répressive venait de commencer sur le campus. Le 19 mai, le meeting de l’ANEB se déroule à l’université. Les militaires du conseil de l’entente investissent le campus et les quartiers environnants pendant quatre jours à la chasse des étudiants. Le bilan de leur barbarie fut lourd : une centaine d’étudiants bastonnés, l’exclusion de vingt-cinq étudiants, des enlèvements et perquisitions illégales de domiciles, une dizaine d’étudiants torturés au conseil de l’entente et enrôlés de force dans l’armée, certains seront jetés dans les coffres des véhicules, des filles déshabillées et battues, les personnes soupçonnées d’abritées les étudiants ont été jetées dans les coffres de véhicules et certains étudiants contraints à la clandestinité.

C’est dans cette foulée que DABO Boukary, étudiant en septième année de médecine sera enlevé au 1200 logement et torturé à mort au conseil de l’entente, QG des militaires. Les étudiants CR, dont les têtes de proue BAMBA Mamadou, HIEN Lin, BANSE Moussa, BANSE Soumaïla, BANI Chantal Marie, TAHO Yendekoye, HIEN Yirkou, OUEDRAOGO Charlemagne (ancien ministre de la santé du dernier gouvernement de Roch KABORE) joueront les mouchards et indics des militaires.

Mesdames et messieurs les journalistes,
Il est légitime de se poser la question pourquoi trente-deux ans après, les étudiants continuent de se souvenir et rendre hommage à DABO Boukary. Cela se justifie par son acte de bravoure, son engagement pour la défense ferme des intérêts matériels et moraux des étudiants, sa foi en la lutte de notre peuple pour le pain et la liberté.
Né le 30 décembre 1956 à Arouema (Kaya) le camarade, s’inscrit après l’obtention de son baccalauréat à l’Université de Niamey au cours de l’année académique 1978-1979. Il sera exclu de l’Université de Niamey avec 77 autres étudiants. Il fréquenta par la suite l’Université nationale du Bénin au Togo de 1983 à 1985. Au regard des difficultés rencontrées pour absence totale d’accompagnement dont la bourse, DABO retourna au pays pour s’inscrire à nouveau à l’Université de Ouagadougou à l’Ecole supérieur des sciences de la santé.

Les tortures infligées à notre camarade avaient pour objectif de le contraindre à montrer la cachette de ses camarades en clandestinité, sa direction de lutte que le pouvoir sanguinaire ambitionnait décapiter. L’exclusion du Comité Exécutif l’ayant contraint à la clandestinité, DABO était le cordon entre la direction de la lutte et les étudiants. Le choix porté sur lui n’était donc pas fortuit.
Le camarade a donc opté de donner sa vie au lieu de trahir ses camarades. Par cet acte, DABO, apparait comme un martyr et le symbole vivant de la résistance de la jeunesse patriotique et révolutionnaire. C’est conscient de cela que toutes les générations d’étudiants burkinabè jusqu’à nos jours ont commémoré la journée de l’étudiant burkinabè instituée par le 14e congrès de notre union en 1991. C’est le lieu pour nous de rendre un vibrant hommage à ces derniers et à toutes les générations qui se sont succédé et qui nous ont transmis le flambeau de la lutte.
Après l’assassinat de notre camarade, les autorités vont mentir en disant que le camarade s’était évadé du conseil de l’entente. Or dès le lendemain de son assassinat, l’UGEB disposait des informations que le camarade avait succombé à la torture. Elles demeureront dans le mensonge jusqu’en 1997 lors de la lutte autour de la plateforme en cinq point de l’ANEB dont le cinquième s’intitulait « l’indication de la tombe de DABO Boukary ex-étudiant en 7e année de médecine disparu en mai 1990, ainsi que la désignation et le jugement des auteurs du crime » où les mêmes autorités vont lever leur propre mensonge à travers le médiateur du Faso de l’époque, le 16 avril 1997 rendant compte des décisions prises par le conseil des ministres répondra à cette revendication de la façon suivante : « indication de la tombe de Monsieur Boukary DABO. Conformément à vos recommandations, la voie judiciaire pourra être suivie par la famille et les ayants cause de feu Boukary DABO ».
Les étudiants venaient donc sous la pression d’obliger les autorités à reconnaitre la mort de notre camarade.

En 1999-2000, l’affaire DABO sera portée par le Collectif des Organisations Démocratiques de Masse et des Paris Politique (CODMPP) dans sa plateforme. Une plainte sera déposée en justice par la famille avec le soutien du MBDHP. A la création de la CCVC, l’affaire DABO sera également inscrite dans sa plateforme.
Après cela, il a fallu attendre le 21 février 2017 pour l’indication d’une présumée tombe aux encablures de Pô et l’inculpation de Gilbert DIENDERE, BAMBA Mamadou et Victor Magloire YOUGBARE. L’audience de mise en accusation tenue le 11 juin 2020 sera délibérée le 16 juillet 2020 et renvoyait le dossier en instruction. Ces inculpations ne nous paraissent pas surprenantes car notre union dans une lettre ouverte le 05 février 1991 (lettre ouverte au camarade Président du front populaire chef de l’Etat) indiquait déjà comme principaux responsables de la barbarie de mai 1990, feu Alain Nindaoua SAWADOGO, feu le Sergent MAIGA, l’adjudant Hyacinthe KAFANDO, feu Lieutenant Gaspar SOME, feu Salifou DIALLO et le Bureau CR de l’Université de Ouagadougou. Force est de constaté que certains d’entre eux sont décédés sans avoir répondu de leur acte devant la justice.

Mesdames et messieurs les journalistes,

La programmation du procès de notre camarade DABO Boukary est une victoire d’étape dans la lutte de notre peuple contre l’impunité et pour les libertés et celle du mouvement étudiant en particulier. Elle nous enseigne que :

✓ la lutte aux côtés de notre peuple contre l’impunité et pour les libertés collectives et individuelles n’est pas vaine ;
✓ la persévérance et la fidélité dans la lutte pour le pain et la liberté finit toujours par payer ;
✓ notre peuple n’oublie jamais ceux qui se sont battus pour les causes justes.
Cependant, nous restons vigilants et maintenons le flambeau jusqu’au châtiment des criminels. C’est pourquoi, nous exigeons vérité et justice maintenant !
Notre union tient à informer à cette occasion qu’elle entend se constituer partie civile dans le procès.

Elle appelle les étudiants où qu’ils soient à se mobiliser durant toute la période de ce procès historique pour devoir de mémoire et pour montrer plus que jamais leur détermination à se battre pour la vérité et la justice pour le camarade DABO Boukary et que plus jamais de tels actes soit commis dans nos universités voire au sein de la jeunesse et de façon générale dans notre pays.
L’UGEB rend hommage à toutes ses générations d’étudiants et au peuple burkinabè pour le sacrifice consenti pendant 32 ans pour la manifestation de la vérité et la justice pour DABO. Elle félicite la famille et les avocats qui sont restés constants jusqu’à ce jour.

Par ailleurs nous profitons de l’occasion pour vous informer de la tenue de notre conseil syndical du 7 septembre au 10 septembre 2022. Vous êtes invités à la cérémonie de clôture officielle qui aura lieu le 10/09/2022 à 16H à l’Université Professeur Joseph Ki Zerbo de Ouagadougou.

Vérité et justice pour le camarade DABO Boukary !

Vive l’UGEB !

Pain et liberté pour le peuple

Nous vous remercions de votre attention soutenue !

Fait à Ouagadougou, le 06 septembre 2022

Le Comité Exécutif de l’Union Générale des Etudiants Burkinabè