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Burkina Faso : Des magistrats auraient subi des disparitions forcées

Les autorités accentuent la répression contre le système judiciaire et les médias

D 1er novembre 2025     H 05:00     A Human Rights Watch     C 0 messages


Les autorités du Burkina Faso devraient enquêter d’urgence sur le sort de six magistrats et d’un avocat qui auraient subi des disparitions forcées et rendre leur conclusions publiques, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch.

Les enlèvements de ces magistrats et de cet avocat depuis le 10 octobre 2025 pourraient constituer des disparitions forcées et des enrôlements illégaux dans les forces armées. Leurs cas, ainsi que ceux de quatre journalistes qui ont été détenus puis libérés entre le 13 et le 18 octobre, semblent liés à une vague de répression menée par la junte militaire burkinabè contre le pouvoir judiciaire et les médias.

« La situation des droits humains au Burkina Faso est de plus en plus marquée par des enlèvements, des arrestations arbitraires et des disparitions forcées de détracteurs de la junte et d’activistes, ainsi que par des enrôlements illégaux dans l’armée »

a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior sur le Sahel à Human Rights Watch. « La junte militaire devrait localiser d’urgence les sept personnes disparues, fournir des informations à leur sujet, et les libérer si elles sont détenues sans avoir été inculpées de manière crédible d’une infraction. »

Plusieurs médias et sources bien informées consultés par Human Rights Watch ont rapporté qu’entre le 10 et le 15 octobre, des hommes en civil ont enlevé les magistrats Urbain Meda, Seydou Sanou, Benoit Zoungrana, Moussa Dianda et Alban Somé à leurs domiciles à Ouagadougou, la capitale. Le 13 octobre, Arnaud Sempebré, un avocat, a également été porté disparu.

Ubrain Meda, Seydou Sanou, Benoit Zoungrana et Moussa Dianda travaillaient tous à la Cour d’appel de Ouagadougou, tandis qu’Alban Somé travaillait au Tribunal de première instance de Ouagadougou.

Tous les magistrats ainsi que l’avocat avaient travaillé sur une affaire qui durait depuis trois ans, dans laquelle des commerçants et des douaniers avaient été accusés de contrebande de carburant au profit de groupes armés islamistes. Un collègue des magistrats ainsi que d’autres sources locales ont déclaré que ces enlèvements ont fait suite à une décision rendue en juillet par la Cour d’appel de Ouagadougou qui avait confirmé le verdict du Tribunal de première instance de ne pas poursuivre la procédure pénale. Arnaud Sempebré, l’avocat, représentait les individus acquittés dans cette affaire.

Le barreau burkinabè a déclaré le 20 octobre avoir officiellement demandé des informations sur le sort d’Arnaud Sempebré, en vain. Le barreau a également appelé à sa libération immédiate.

Les médias et les réseaux sociaux ont rapporté que le 20 octobre, des hommes non identifiés avaient enlevé Jean-Jacques Wendpanga Ouedraogo , ancien procureur général de la Cour d’appel de Ouagadougou. Selon les réseaux sociaux, il aurait été libéré le lendemain. Human Rights Watch n’a pas été en mesure de vérifier cette information de manière indépendante. En août 2023, Jean-Jacques Ouedraogo avait ordonné la mise en détention d’Amsétou Nikiéma, connue sous le nom d’Adja, une guérisseuse traditionnelle qui serait proche de l’armée, et qui avait été inculpée pour coups et blessures, entre autres infractions.

Un membre de l’appareil judiciaire burkinabè s’est dit préoccupé par la possibilité que les personnes enlevées l’aient été en guise de punition pour la décision rendue dans l’affaire de contrebande.

« Depuis trois ans, des membres des services de renseignement sulfureux enlèvent des détracteurs en toute impunité »

a-t-il déclaré.

La junte a déjà pris pour cible des magistrats, selon Human Rights Watch. Dans un discours prononcé en juillet 2024, le chef de la junte, Ibrahim Traoré, a vivement critiqué le secteur judiciaire, attaquant juges et procureurs en accusant certains d’être « corrompus », « vendus » et des « escrocs », et dénonçant les syndicats du secteur judiciaire qui s’étaient publiquement opposés à une modification du Conseil supérieur de la magistrature.

Cette réforme, lancée en 2023, confère au Conseil le pouvoir de nommer les procureurs, mais uniquement sur recommandation du ministre de la Justice. Les syndicats s’étaient opposés à cette réforme, affirmant qu’elle porterait atteinte à l’indépendance du pouvoir judiciaire et placerait les procureurs sous l’influence du pouvoir exécutif.

« Nous avons un sérieux problème [avec le secteur judiciaire] », avait alors déclaré Ibrahim Traoré. « Nous avons entamé des réformes... certains ont tenté de boycotter tout ce qu’ils peuvent mais... avec ou sans eux nous allons avancer. La bataille [contre les magistrats] sera lancée. »

En août 2024, la junte a illégalement enrôlé sept magistrats dans l’armée, abusant d’une loi d’urgence de 2023. À l’époque, une coalition de trois syndicats du système judiciaire avait réagi avec un communiqué et condamné ces réquisitions comme des « actes d’humiliation et d’intimidation des magistrats ».

Depuis le coup d’État militaire d’octobre 2022, la junte burkinabè a intensifié sa répression contre la dissidence pacifique, l’opposition politique et les médias, réduisant ainsi l’espace civique dans le pays. Les forces de sécurité ont arbitrairement arrêté, détenu, fait disparaître de force et enrôlé illégalement des dizaines de journalistes. Certains d’entre eux ont été libérés, tandis que d’autres sont toujours portés disparus, tel que le journaliste d’investigation Serge Oulon.

Les médias locaux et internationaux ainsi que organisations non gouvernementales ont rapporté qu’entre le 13 et le 16 octobre, des membres des services de renseignement ont arrêté Michel Wendpouiré Nana, rédacteur en chef adjoint du journal Le Pays, Ousséni Ilboudo et Alain Zongo, respectivement directeur des rédactions et rédacteur en chef du journal l’ Observateur Paalga, et Zowenmanogo Dieudonné Zoungrana, directeur de publication du journal Aujourd’hui au Faso.

Les autorités les ont libérés entre le 14 et le 18 octobre. Les raisons de leur arrestation n’ont pas été révélées. Fin septembre, Zowenmanogo Dieudonné Zoungrana avait participé à une interview avec Ibrahim Traoré. Un activiste burkinabè avait partagé la transcription de l’interview sur les réseaux sociaux avant qu’elle ne soit diffusée à la télévision nationale, ce qui fait craindre que Zowenmanogo Dieudonné Zoungrana ait été arrêté à la suite de cette fuite.

Le Burkina Faso est un État partie à la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. Les disparitions forcées sont définies par le droit international comme l’arrestation ou la détention d’une personne par des agents de l’État ou leurs représentants, suivie du refus de reconnaître la privation de liberté ou de révéler le sort ou le lieu où se trouve la personne.

« Des tribunaux indépendants et des médias libres sont essentiels pour contrôler le pouvoir du gouvernement »

a conclu Ilaria Allegrozzi. « Les autorités burkinabè devraient immédiatement cesser toute ingérence dans le système judiciaire, veiller à ce que les magistrats puissent exercer leurs fonctions sans crainte et mettre fin au harcèlement des journalistes et des médias. »

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