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INTERVIEW Du Pr AZIZ SALMONE FALL SUR LE PROCÈS SANKARA

D 26 décembre 2021     H 05:00     A Aziz Salmone Fall     C 0 messages


Aziz Salmone Fall est le coordonnateur de la Campagne Internationale Justice pour Sankara

1) Enfin, peut-on dire, le procès de l’assassinat de Thomas Sankara s’est ouvert ce 11 octobre 21, pouvez vous résumer le chemin parcouru jusqu’ici ?

L’affaire Sankara, a été lancée initialement par la campagne internationale Justice pour Sankara (CIJS) sous la houlette d’un collectif d’une vingtaine d’avocats bénévoles. Il serait difficile de récapituler 25 ans de lutte, mais vos lecteurs les plus intéressés peuvent lire ces résumés sur notre site. https://cijs-icjs.net/fr/cijskey-dates-en/ Le GRILA lance la campagne Internationale contre l’impunité : Justice pour Sankara sous la forme d’un appel en 1997. L’appel est soutenu, entre autres, par la commission des droits de la personne, le réseau africain des droits de l’homme, la ligue togolaise des droits de l’Homme, l’Union interafricaine des droits de l’homme (Burkina), Amnesty International (Canada), Action chrétienne contre la torture, le CISO centre international de solidarité ouvrière, la coordination des jeunes des partis d’opposition (Sénégal) Organisation des jeunesses panafricaines (Sénégal), la CIMADE, FIDH, Survie (France), Club Thomas Sankara (Mali) Gruppo Mission (Italie) et endossé par des personnalités comme le Pr Jean Ziegler (Suisse), Pr Issa Ndiaye (Mali) le journaliste Jean Philippe Rapp, le politicien Edgar Pisani ( France) le Pr Vincent Coulibaly (Mali), M. Jean Carbonare (FIDH), Dr Buuba Diop ANAFA (Sénégal), Alioune Tine (RADDHO) Mme Coulibaly (Réseau Africain pour le développement intégré)… Des milliers de signatures tout le long des années ont soutenu notre travail, notamment lors de La caravane Sankara qui a sillonné plusieurs pays de 3 continents en 2007.

La mobilisation de la CIJS a contribué à garder vivante la pensée et l’œuvre sankariste au Burkina et dans le monde. Il n’y a pas grand mérite à cela. L’œuvre de Sankara parle pour elle-même. Thomas Sankara a incarné l’espoir d’un changement basé essentiellement sur la contribution des forces endogènes du peuple du Burkina Faso. Ce fut la dernière révolution africaine, interrompue dans le sang en 1987, alors qu’elle commençait à engranger des fruits prometteurs.

Le régime Compaoré, auteur du forfait, exhiba un certificat de décès arguant d’une « mort naturelle » – de Sankara en même temps que 12 collègues-. Aucune explication des circonstances de leur mort n’a jamais été donnée ; rien ne prouvait le lieu exact de sa sépulture, et en dehors des calomnies, pas même un commentaire juridique sur les événements du 15 octobre 1987. En 1997, juste avant le délai de prescription décennale qui aurait à jamais enterré l’affaire, la CIJS entamait au nom de sa veuve Mariam Sankara et de ses enfants une longue procédure judiciaire devant toutes les instances juridiques du Burkina Faso. La plainte contre X pour assassinat CIJS et faux en écriture juridique- – allait être odieusement déboutée en cours suprême, après 5 ans d’efforts. Devant la partialité de la magistrature du Burkina, le 15 octobre 2002, la CIJS a porté l’affaire devant le Comité des droits de l’Homme de l’ONU. La plainte de la CIJS s’articule sur la violation par le Burkina Faso de ses engagements au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et ses deux Protocoles .

En 2006 l’ONU a retenu que de tous les articles invoqués par la Campagne Justice pour Sankara ‘’les faits dont il est saisi font apparaître une violation des articles 7 et 14, du Pacte’’. Le comité par conséquent somme le régime Compaoré d’élucider l’assassinat de Thomas Sankara ; de fournir à la famille les moyens d’une justice impartiale ; de rectifier son certificat de décès ; de prouver le lieu de son enterrement ; de compenser la famille pour le traumatisme subi ; d’éviter que pareille tragédie ne se reproduise ; et de divulguer publiquement la décision du comité. Faisant semblant d’obtempérer, les autorités ont subrepticement enlevé le qualificatif « naturelle » sur le certificat de décès. Ceci n’est d’aucune façon une rectification, la vocation de tout certificat de décès étant de désigner la mort. Ce jugement déclaratif constitue en outre une autre violation, car il ne se fonde sur aucune preuve légiste attestant comment cette mort est advenue.

Le régime déclare que le lieu de sépulture de Thomas Sankara est de notoriété publique. Pourtant aucun document officiel n’en fait état et surtout aucune preuve ne vient illustrer que c’est l’une parmi les 13 tombes, voir que celles-ci comptent bien des corps ensevelis. Pour la compensation, un décret accorde 43 millions de fcfa (66000 euro) à sa veuve et ses orphelins, somme dérisoire ne serait ce qu’en cumulant sa pension non versée et les préjudices subis. Une erreur de frappe, à moins qu’elle n’ait été sciemment commise, ajouta un 0, à la compensation, et cette somme faramineuse, n’a d’ailleurs jamais rectifiée. Elle acheva de convaincre les plus sceptiques des experts onusiens sur la bonne volonté de l’État. Ils firent fi de nos objections et de la rectification du chiffre. Mais, certains experts onusiens induits en erreur par les tenants de la Françafrique ont finalement reculé en considérant que le Burkina a respecté leurs décisions.

On sait que le droit international est mal outillé pour faire respecter ces rares décisions contre l’impunité et qu’il n’y a toujours pas de convention en la matière. Pourtant, il ne pourrait y avoir de développement en faveur de la majorité des populations africaines sans la fin de l’impunité dans l’enrichissement illicite, le pillage des ressources naturelles, les abus des droits de la personne, et la corruption. L’année Sankara 2007 proclamée par la jeunesse africaine au forum social africain de Bamako a marqué la vingtième commémoration de sa mort, avec la visite historique à Ouagadougou de sa veuve Mariam après tant d’années d’exil. Cette occasion a irradié un mouvement national et international qui a continué des années durant en même temps que de multiples recours devant les tribunaux, pour la séquestration, son exhumation et diverses autres étapes que vos lecteurs retrouveront sur notre site.

Tout ceci sèmera une partie des graines d’une seconde vague révolutionnaire réhabilitant Sankara et chassant Blaise compaoré exfiltré par la françafrique en Côte d’ivoire. Sous le régime de la transition et sur le régime élu démocratiquement le courageux juge Yameogo pourra enfin faire une instruction exemplaire. En plus de nos efforts, le travail des camarades français de Bruno Jaffré en France permit de fare davantage de pressions pour obtenir certains des documents dits déclassifiés. Une commission rogatoire en France a pu aussi travailler. Le juge a inculpé une dizaine de personnes et un autre procès historique s’est ouvert et l’Afrique retient son haleine.

2) Qui sont les accusés présents, les absents et les décédés ?

X est donc devenu plusieurs personnes dénommées dont Blaise COMPAORE dit Jubal, Hyacinthe Kafando, Ouegraogo Nabonsseouindé, Nacoulma Wampasba, Gabriel Tamini,Gilbert Diendéré, Tibo Ouedraogo, Idrissa Sawadogo, Elysée Ilboudo, Jean Pierre Mori Palm, Aldiouma Jean Pierre, DIEBRE Alidou Jean Christophe, KAFANDO Hamado et autres inculpés d’assassinat, de recel de cadavre, faux en écriture publique ou authentique ou complicité de ses infractions. Blaise Compaoré et Hyacinthe Kafando sont jugés par contumace.

3) Ce procès n’a-t-il pas un goût d’inachevé avant même de commencer avec l’absence de Blaise Compaoré, cet ex-président autocrate protégé de la françafrique ?

Pour certains, dont moi probablement. Personnellement à titre de coordonnateur j’ai toujours dit que tant que Blaise ne serait pas dans le box, je n’irais pas. Mais cela est symbolique, dans les faits le droit est dit et les juges et les avocats font leur travail et il avait la possibilité de se rendre et de répondre comme le font les autres. Vous voyez d’ailleurs qu’ils parlent en toute liberté. Il assumera devant l’histoire ses dernières lâchetés.

Mais franchement personne n’est surpris qu’il ne soit pas là. Mais comme ses parrains sont toujours là et le couvrent peut être peut- il encore garder quelques arrogances.

4) Quelle est la réalité et la limite des « 3 lots des archives françaises » remises aux autorités Burkinabé sur le meurtre de Sankara ?

Un premier et un second lot est parvenu au juge et ensuite aux avocats. Ensuite un troisième qui a été attendu trop longtemps est arrivé quelques jours alors que le juge a bouclé l’affaire et fait une disjonction et transmis le dossier à un autre juge pour la poursuite de l’instruction. Si c’est une première dans le cas de la France de Macron , différente de ses prédécesseurs, les documents ont visiblement été très triés et n’ont pas laissés filtrés d’autres que nous souhaiterions toujours avoir.

5) Si l’implication politique Française et Ivoirienne au plus haut niveau (Mitterrand et Houphouët) dans ce crime est un secret de polichinelle, la justice Burkinabé a-t-elle les moyens de la prouver sur le plan judiciaire ?

Vraisemblablement un complot ourdi à l’international et local perpétré a assassiné Sankara en compagnie d’une dizaine de ses camarades .Les choses sont un peu plus compliquées, il y a eu cohabitation en France à cette époque et donc une conjonction de facteurs un redéploiement de la françafrique, mais aussi de d’autres intérêts de la sous-région et d’intelligence extérieure. Nous faisons face à un complot des plus sordides. Tôt ou tard la vérité triomphe, nous espérons seulement qu’elle arrive à temps !

6) Quelle suite judiciaire et politique donner à ce procès ?

Il est tôt pour le dire. L’Affaire Sankara a déjà fait jurisprudence au niveau du droit international et le sera sûrement au niveau de la scène nationale et africaine. Nos avocat-es effectuent un remarquable travail et nous avons besoin de la vigilance du peuple panafricain afin que les magistrats fassent leur travail loin des nombreuses pressions et interférences. Nos avocat-s travaillent pro-bono et c’est sans nul doute l’un des efforts panafricains à décorer un jour.

7) Quelles sont les principales leçons à en retenir pour l’Afrique ?

Malgré les intimidations, la CIJS a poursuivi sa lutte de plus en plus soutenue par un peuple excédé. Nullement revancharde, cette lutte contre l’impunité doit être menée. L’impunité perpétue les assassinats des internationalistes qui osent infléchir le développement de leur peuple vers ses besoins essentiels. Sankara a incarné un développement autocentré et panafricain, une rupture radicale avec les désordres antérieurs, mais aussi bien des mentalités et autres rigidités culturelles. Un projet qui a nécessité une adhésion populaire, un engouement des masses, un sens du sacrifice des couches possédantes...

bref un ensemble de conditions qui font de Thomas comme certains de ses illustres prédécesseurs panafricanistes, des visionnaires en avance sur leur peuple. La CIJS est consciente de l’ampleur de sa tâche. Elle félicite la jeunesse et le peuple burkinabé pour son courage et son engagement contre l’autocratie et l’impunité et lui demande de maintenir la pression et son soutien à nos avocats et aux familles des victimes. La CIJS recommande aussi aux partis politiques progressistes de concrétiser les aspirations populaires que s’est évertué de traduire en actes le président Sankara dans son intermède révolutionnaire. Il importe aussi que les bonnes volontés soutiennent les partisans de la lutte contre l’impunité pour que justice soit faite et que la réconciliation nationale soit effective. L’Histoire est en marche, et notre détermination pour l’avènement du panafricanisme souverain et autocentré est inébranlable.

Source : Ferñent/L’étincelle Journal Ouvrier et Populaire du Sénégal