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Ce « 3ème mandat » de Ouattara commence très mal

Par Bruno Fanucchi

D 20 décembre 2020     H 13:13     A Bruno Fanucchi     C 0 messages


Son investiture officielle, lundi 14 décembre à Abidjan, n’aura pas réglé la crise politique et institutionnelle en Côte d’Ivoire. Même soutenu par la communauté internationale, fermant les yeux sur sa forfaiture et le viol de la Constitution, Alassane Ouattara restera un Président « illégitime » pour bien des Ivoiriens.

Son investiture officielle, lundi 14 décembre à Abidjan, n’aura pas réglé la crise politique et institutionnelle en Côte d’Ivoire. Même soutenu par la communauté internationale, fermant les yeux sur sa forfaiture et le viol de la Constitution, Alassane Ouattara restera un Président « illégitime » pour bien des Ivoiriens.
A peine s’est-il « auto-proclamé » Président pour un troisième mandat de 5 ans à la tête de la Côte d’Ivoire, Sa Majesté Ouattara 1er commencerait-il déjà à être rongé par le remords et à avoir enfin mauvaise conscience pour avoir renié et trahi tous ses engagements et serments successifs ?

Tous les invités – pourtant triés sur le volet – qui ont assisté lundi à cette mascarade faisant office de cérémonie d’investiture, au Palais présidentiel d’Abidjan, puis ont festoyé lors du banquet officiel donné en la grande salle des fêtes de l’Hôtel Ivoire, auront en effet remarqué qu’Alassane Dramane Ouattara (ADO) était très énervé et irascible toute la journée au cours de ces festivités qui, malgré les courtisans, sonnaient faux.

Visiblement très fatigué, ADO était là, plus hagard qu’enjoué comme s’il était épuisé par toutes ses manœuvres politiques et machiavéliques, comme si tout cela était irréel et qu’il n’y croyait plus lui-même.

Son grand discours annoncé fut d’un creux abyssal. Aveuglé par sa propre suffisance et les salamalecs de son entourage et de son clan, Ouattara ose affirmer sans rire que « les Ivoiriens ont fait le choix de la démocratie, de la paix et de la stabilité », puisqu’il a été officiellement réelu avec un score à la soviétique de 94,27 % des voix et une participation bidon de 53,90 %, et promet de « poursuivre notre marche vers une Côte d’Ivoire plus prospère et plus solidaire ». Comment peut-il être et apparaître autant coupé des réalités et souffrances populaires de son propre pays ?

« J’ai une pensée toute particulière pour celui que j’aurai souhaité voir aujourd’hui à ma place, oui mon fils, feu le Premier ministre Amadou Gon Coulibaly, et pour mon jeune frère le ministre Sidiki Diakité, un grand serviteur de l’Etat », lâche-t-il avec un brin d’émotion après avoir fait applaudir le « dynamique Premier ministre » Hamed Bakayoko.

Pas un mot en revanche à l’adresse des familles des victimes tombées lors des manifestations pacifiques pour dire « Non au 3ème mandat anti-constitutionnel », si ce n’est pour mettre une nouvelle fois leur mort et toutes les violences de façon ignoble sur le dos de l’opposition et de sa campagne de « désobéissance civile ». Ce qui est un peu facile et, pour tout dire, vraiment déshonorant de sa part, un chef de l’Etat qui se respecte devant se placer au-dessus des partis et devenir le président de tous les Ivoiriens.

On aura d’ailleurs remarqué que l’Eglise catholique et les évêques ivoiriens ont courageusement boycotté ces cérémonies officielles et festivités artificielles qui n’ont pas lieu d’être en pareilles circonstances dramatiques. Emboitant ainsi le pas au cardinal Jean-Pierre Kutwa qui avait appelé avec sagesse le 31 août dernier au report de l’élection présidentielle pour sauvegarder la paix et l’unité nationale. Et même lâché cette petite phrase : « A mon humble avis, sa candidature n’est pas nécessaire... ». Pour ne pas dévier de son objectif de se faire réélire coûte que coûte en ne respectant qu’un seul détail de la Constitution, à savoir la date du scrutin, Ouattara traita par le mépris la mise en garde solennelle de l’archevêque d’Abidjan. Il n’avait pas de leçon à recevoir.

Toujours dans le déni, Ouattara annonçait ce mardi un remaniement ministériel avec la création d’un Ministère de la Réconciliation nationale, confié à Kouadio Konan Bertin (KKB) ainsi remercié pour avoir été le seul candidat osant continuer à servir de « faire-valoir » au Président sortant pour organiser un scrutin présidentiel sur-mesure donnant l’illusion du pluralisme politique et qu’ADO ne se retrouve pas candidat unique !

Pour services rendus, KKB vient donc de recevoir en retour son plat de lentilles ou les « trente deniers de Judas », mais il n’est pas obligé pour autant d’aller se pendre tout de suite... On se demande bien cependant à qui va-t-il pouvoir parler pour relancer le processus moribond de « réconciliation nationale » et renouer le dialogue avec les bannis et les exilés politiques, lui qui a successivement trahi le président Henri Konan Bédié, puis tous les autres leaders de l’opposition, pour faire cavalier seul et jouer le jeu du pouvoir en place.

« Sur proposition du Premier ministre », selon la formule officielle consacrée, Ouattara vient donc de commettre une nouvelle erreur de casting en nommant KKB à ce poste, dont le seul intitulé constitue un formidable aveu d’impuissance. Car si la première décision de Ouattara est de nommer un ministre de la Réconciliation nationale, c’est la preuve flagrante et manifeste que ce processus de réconciliation est pratiquement resté lettre morte depuis la crise de 2010, il y a dix ans. Quel terrible aveu !

Ce troisième mandat de Ouattara commence donc très mal. Comment pourrait-il en être autrement puisqu’il prend son origine dans le viol avéré de la Constitution, dont il devrait pourtant être le garant en sa qualité de chef de l’Etat, puis dans une série de mensonges successifs et de décrets illégaux qui ne sont que « le fait du Prince ».

Le Président du Conseil constitutionnel, Mamadou Koné, qui restera dans l’histoire comme l’homme par lequel une grande partie du scandale et du malheur actuel du pays est arrivé, créant une situation inédite, dangereuse et explosive pour les mois à venir en Côte d’Ivoire, ne s’est guère davantage illustré. Au lendemain de sa prestation honteuse, qui était davantage politique que juridique, il a été vertement remis à sa place par de nombreuses personnalités ivoiriennes qui n’ont pas apprécié son attitude méprisante et déplacée à l’égard de ces gens du peuple qui ont voulu donner leur avis sur l’interprétation de la Constitution alors qu’ils « n’ont pour tout diplôme que leur extrait de naissance ».

Un juriste de renom l’invite ainsi à un peu plus d’humilité et de dignité, en lui faisant observer que tous ses diplômes de droit ne pèsent pas bien lourd par rapport aux « deux grammes d’intégrité » dont on aurait aimé qu’il fasse preuve dans cette affaire aux conséquences si dramatiques pour la Nation toute entière.

Ouattara ne peut guère se consoler qu’avec la petite douzaine de chefs d’Etat qui ont fait le déplacement d’Abidjan pour le conforter bien maladroitement dans l’illusion qu’il avait bien été réélu à la régulière et ferait en toute tranquilité un 3ème mandat de 5 ans à la tête du pays.

Depuis plusieurs semaines, Ouattara exerçait une pression extrêmement forte et pressante sur ses pairs de la CEDEAO, d’Afrique de l’Ouest, d’Afrique centrale, et même du Rwanda, pour que l’on se bouscule à son investiture pour sauver les apparences de la démocratie et mieux faire oublier la forfaiture sous les flonflons de la fête !

Peine perdue, même si une petite douzaine de chefs d’Etat n’ont pu faire autrement que de venir comme les proches ou voisins immédiats, comme le Sénégalais Macky Sall (qui n’en pense pas moins), le Burkinabé Roch Marc Christian Kaboré, le Béninois Patrice Talon, le Libérien Georges Weah, le Mauritanien Mohamed Ould Ghazouani, le Nigérien Mahamadou Issoufou, le Togolais Faure Gnassingbé, le président de la Guinée Bissau, Umaro Sissoco Ombalo, celui de la Sierra Leone, Julius Maada Bio, le Ghanéen Nana Akufo-Addo, sans oublier le Congolais Denis Sassou N’Guesso ou le Président malien de la transition Bah N’Daw.

D’autres avaient réussi à se faire simplement représenter par leur Premier ministre comme le Guinéen Alpha Condé, dont l’investiture devait se faire dans la foulée à Conakry, le Gabonais Ali Bongo dont l’état de santé lui interdit toujours ce genre de voyage et de cérémonie

La président français Emmanuel Macron, qui ne s’est pas grandi dans cette crise ivoirienne - c’est le moins que l’on puisse dire – après avoir été un des premiers à féliciter Ouattara pour sa réélection comme si de rien n’était, aura réussi à se défiler pour ne pas aller à Abidjan en se faisant représenter par un Jean-Yves Le Drian visiblement à bout de souffle, et l’ex-président Nicolas Sarkozy profitant peut-être d’un de ses derniers voyages à l’étranger. Tout cela est bien pathétique. Et même vraiment irresponsable pour la France.

Mais quand bien même auraient-ils été tous là ces membres du « syndicat des chefs d’Etat » pour fêter la « réélection officielle » d’ADO leur vieux complice, cela ne validerait pas pour autant un processus électoral vicié depuis le départ. Même si certains souhaitent laisser pourir encore longtemps la situation, il faudra bien calmer la légitime colère populaire, libérer enfin tous les prisonniers politiques et retourner un jour aux urnes dans des conditions au-dessus de tout soupçon. Il faudra bel et bien aussi dissoudre un jour et mettre définitivement fin, d’une manière ou d’une autre, à cette « Association de malfaiteurs », comme les Ivoiriens dénomment désormais avec humour ce curieux syndicat.


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