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Côte d’Ivoire : Le gouvernement devrait donner rapidement suite à l’enquête de l’ONU

Le Conseil de sécurité devrait publier le rapport de 2004 sur les crimes graves commis en Côte d’Ivoire

D 2 juillet 2011     H 04:20     A Human Rights Watch     C 0 messages


(Dakar, le 15 juin 2011) - Le gouvernement ivoirien devrait rapidement mettre en œuvre les principales recommandations formulées dans un nouveau rapport des Nations Unies et s’assurer que les crimes graves commis après les élections présidentielles de 2010 bénéficient d’une justice équitable et crédible, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Le rapport de la Commission d’enquête de l’ONU a été présenté devant le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies le 15 juin 2011.

La commission, établie fin mars par le Conseil des droits de l’homme, a étudié les six mois de violence qui ont suivi le refus par l’ancien Président Laurent Gbagbo de quitter le pouvoir après la victoire du Président Alassane Ouattara à l’issue du second tour des élections le 28 novembre. La commission a rendu compte de sérieuses atteintes au droit international - notamment de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité potentiels - par les forces armées des deux camps. Des dizaines de femmes ont été violées pendant la période postélectorale et, d’après les estimations, le bilan serait d’au moins 3 000 morts.

« Le rapport de la Commission d’enquête de l’ONU met en évidence des meurtres politiques et basés sur des critères ethniques, ainsi que d’autres crimes odieux perpétrés par les forces armées dans les deux camps », a commenté Corinne Dufka, chercheuse senior pour l’Afrique de l’Ouest à Human Rights Watch. « Si la Côte d’Ivoire tient à rompre avec son passé comme le Président Ouattara l’a promis, une justice impartiale doit impérativement être rendue aux milliers de victimes. »

Parmi ses principales recommandations, la commission a demandé au gouvernement Ouattara de ratifier le Statut de Rome de la Cour pénale internationale ; de se pencher sur les causes profondes du conflit, y compris la discrimination ; et de contribuer à rétablir la sécurité en désarmant rapidement des milliers d’hommes appartenant à des groupes qui ont pris part au conflit et ne sont pas appelés à être intégrés aux forces armées.

La commission a plus spécifiquement insisté sur la nécessité de s’assurer que les procédures judiciaires intentées contre les auteurs de crimes graves soient menées avec impartialité et transparence, avec l’aide du Conseil des droits de l’homme, de l’ONU et des donateurs internationaux.

Une annexe au rapport de la commission énumère les individus affichant la plus haute responsabilité dans les crimes commis pendant la période postélectorale et recommande que ces suspects fassent l’objet d’enquêtes pénales. La commission a décidé que cette liste devait rester confidentielle. Human Rights Watch a demandé instamment à la commission de publier cette liste dans un certain délai afin de soutenir la quête de vérité et de justice des victimes, ou bien d’expliquer pourquoi elle tient à ce qu’elle reste confidentielle.

« Le gouvernement Ouattara ne doit plus se contenter de vagues promesses quant au devoir de rendre des comptes », a précisé Corinne Dufka. « Bien qu’il soit important de noter que le Président Ouattara a demandé l’aide de la Cour pénale internationale, des procès seront aussi nécessaires dans le pays. Le gouvernement ivoirien devrait sans tarder enquêter sur les crimes commis par les deux camps et demander l’aide des bailleurs de fonds afin de mener des procès équitables et crédibles. »

Human Rights Watch a également demandé au Conseil des droits de l’homme et au Conseil de sécurité de l’ONU de prendre bonne note de la recommandation de la commission et de publier sur-le-champ le rapport de la Commission d’enquête de l’ONU de 2004 sur les crimes commis pendant la guerre civile en 2002 et 2003. Le rapport a été tenu secret en raison de certaines craintes exprimées à l’époque au niveau national et international selon lesquelles ses conclusions auraient pu faire échouer les négociations de paix.

Cependant, la justice ayant été mise sur la touche, de nombreux dirigeants de part et d’autre du clivage politique et militaire sont restés au pouvoir et ont à nouveau été impliqués dans de graves crimes contre des civils, a affirmé Human Rights Watch. La publication du rapport de 2004, y compris de l’annexe qui identifie les individus affichant la plus haute responsabilité envers des exactions graves, serait des plus utiles car elle fournirait des éclaircissements sur ces crimes et permettrait de pallier l’absence totale de justice crédible dont pâtit la Côte d’Ivoire depuis plus d’une décennie.

Les chercheurs de Human Rights Watch ont mené cinq missions de recherche afin de rendre compte des graves atteintes aux droits humains et au droit international humanitaire perpétrées pendant la période postélectorale. Les chercheurs ont ainsi interrogé plus de 500 victimes et témoins directs des violences.

Après le second tour des élections, les forces placées sous le contrôle de Gbagbo et les groupes de milice qui lui étaient fidèles de longue date ont ciblé de manière systématique des civils qu’ils estimaient être pro-Ouattara dans le nord de la Côte d’Ivoire et dans des pays voisins d’Afrique de l’Ouest. Human Rights Watch a mis en évidence des meurtres, des disparitions forcées et des viols perpétrés par les forces pro-Gbagbo pour des motifs politiques et ethniques, constituant des crimes contre l’humanité. Il convient de citer parmi ces graves exactions des massacres dans l’extrême ouest du pays ainsi que des centaines de meurtres à Abidjan, même après l’arrestation de Gbagbo le 11 avril.

Les exactions systématiques des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) de Ouattara ont été lancées bien plus tard, pendant leur offensive militaire qui a démarré dans l’extrême ouest du pays début mars. Human Rights Watch, tout comme la Commission d’enquête, a rendu compte de meurtres et de viols perpétrés par les Forces républicaines dans l’extrême ouest du pays, y compris de la participation à un massacre dans la ville de Duékoué. Les exactions se sont poursuivies lors de la bataille finale pour Abidjan et au moment où les Forces républicaines consolidaient leur contrôle de cette ville tout en cherchant à se procurer des armes et à retrouver les derniers miliciens pro-Gbagbo.

Le 19 mai, le procureur de la Cour pénale internationale a annoncé qu’il enquêterait sur les crimes commis en Côte d’Ivoire. Human Rights Watch a demandé instamment à Ouattara et aux gouvernements étrangers - notamment à celui du Ghana où, à en croire certaines rumeurs, plusieurs alliés de Gbagbo haut placés impliqués dans des exactions se seraient enfuis - de coopérer avec la Cour pénale internationale si une enquête est ouverte.

Human Rights Watch a également souligné l’importance de mener des procès équitables en Côte d’Ivoire pour que justice soit rendue aux victimes et afin d’encourager le respect de l’État de droit dans ce pays ravagé par le conflit. Des dizaines de personnes qui auraient participé aux exactions des anciennes forces de Gbagbo ou les auraient supervisées sont en garde à vue depuis plus de deux mois, mais les procureurs n’ont toujours pas porté d’accusations formelles contre elles. Human Rights Watch a demandé au gouvernement de mettre un terme à cette incertitude juridique et d’engager sans tarder une procédure contre les individus en garde à vue, conformément à la loi, ou de les relâcher.

Offrant un contraste saisissant, aucun des membres des Forces républicaines n’a été arrêté ou placé en garde à vue pour crimes graves commis pendant la période postélectorale, bien que leur implication dans des crimes de guerre et des crimes potentiels contre l’humanité ait été signalée par la Commission d’enquête, l’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire, Human Rights Watch, Amnesty International et la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH). Le rapport de la Commission d’enquête constate spécifiquement : « Pour l’heure, elle n’a pas été informée de procédures effectives contre des éléments des FRCI accusés de violations des droits de l’homme. »

« Le clivage se creuse entre le discours du gouvernement Ouattara selon lequel personne n’est au-dessus des lois, et la réalité d’une justice qui semble être partiale et marcher au ralenti », a observé Corinne Dufka. « Si les exigences sont considérables à l’heure où le pays se reconstruit après une décennie de violence, la poursuite d’une justice équitable contribuera grandement à rétablir la confiance des Ivoiriens dans leur gouvernement et l’État de droit. »