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Les forêts ivoiriennes rongées par les conflits fonciers

D 16 décembre 2013     H 05:02     A IRIN     C 0 messages


ABIDJAN - Dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, les conflits fonciers prolongés ont poussé certains résidents à occuper des forêts protégées appartenant au gouvernement, contribuant du même coup à la déforestation extensive. Il ne reste aujourd’hui plus qu’une fraction du couvert forestier qui existait au moment de l’indépendance. Les autorités tentent maintenant de déloger les occupants des forêts, mais ces opérations viennent aggraver les tensions existantes dans les provinces les plus instables du pays.

L’effondrement de l’ordre public qui a marqué les années du conflit en Côte d’Ivoire, entre 2002 et 2007, et les violences postélectorales de 2010-2011 ont contribué à la détérioration des forêts en permettant l’exploitation forestière illégale et sauvage et l’occupation illicite des forêts. [ http://www.irinnews.org/report/52512/cote-d-ivoire-civil-war-allows-rampant-illegal-logging ]

Les vagues de conflit ont forcé des centaines de milliers de personnes à fuir leurs foyers, ce qui a exacerbé les conflits fonciers dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, la région la plus riche du pays sur le plan agricole. Les terres abandonnées par les familles en fuite ont souvent été illégalement occupées, louées ou vendues par d’autres personnes. Ainsi, pour éviter les conflits fonciers, certains anciens déplacés ont décidé de s’installer dans les forêts protégées.

« En plus des populations immigrantes, qui cherchaient à éviter les conflits fonciers, d’anciens réfugiés originaires de la région se sont également installés dans les forêts parce qu’ils avaient besoin de terres à cultiver. Toutes ces personnes sont devenues une menace pour les forêts protégées », a dit à IRIN Frédéric Varlet, un agronome basé dans la capitale commerciale, Abidjan.

Il a expliqué que les gens continuaient de s’installer dans les forêts gouvernementales parce que les lois sur les terres communales ne s’appliquent pas à ces zones.

En 1998, le gouvernement ivoirien a adopté une loi relative au domaine foncier rural. L’objectif était de reconnaître et d’officialiser les droits fonciers coutumiers en mettant en place les procédures et les conditions pour leur transformation en titres de propriété. Or, la plupart des accords fonciers se font toujours verbalement, ce qui contribue à la récurrence des conflits. [ http://www.irinnews.org/report/87892/cote-d-ivoire-beyond-the-law-on-land-disputes ]

« Quand je suis rentré du Liberia [où je m’étais réfugié], il y a huit mois, j’ai découvert que ma ferme était occupée par quelqu’un d’autre. Il a refusé de partir malgré l’intervention du sous-préfet. Je me suis donc installé dans une forêt protégée, où j’ai défriché deux hectares pour cultiver du riz », a dit Germain Gueu, un agriculteur de la région de Bangolo.

Mathieu Dion, un résident des environs de Petit-Duékoué, dans l’ouest du pays, a dit : « Après le conflit de 2010-2011, un grand nombre de [membres de la] communauté immigrante ont afflué dans notre village. Ils sont tous allés s’installer dans la forêt. »

Racines historiques

Dans les années 1960, la Côte d’Ivoire comptait 16 millions d’hectares de forêts. En 2010, il n’en restait plus que trois millions, selon la Société de développement des forêts (SODEFOR). Au cours des dix dernières années, le pays a perdu 300 000 hectares de forêt par année, a dit Marcel Yao, coordonnateur du programme national de lutte contre le changement climatique.

M. Varlet, l’agronome, a dit que l’occupation des forêts avait commencé dans les années 1960. Après l’indépendance du pays, le boom du cacao a attiré des travailleurs originaires des régions occidentales et des pays voisins. « Le développement du pays dépendait du travail des étrangers venus s’installer dans ces forêts », a-t-il fait remarquer.

Le manque de fermeté dans l’application des lois et la complicité des autorités et des résidents locaux ont contribué à la forte dégradation des forêts et à la persistance des conflits fonciers dans l’ouest de la Côte d’Ivoire. Ces litiges, qui sont surtout causés par des manoeuvres politiques, ont dressé les résidents de l’ouest de la Côte d’Ivoire contre les communautés immigrantes originaires du nord du pays et des pays voisins.

« Pendant la décennie de crise qui a secoué la Côte d’Ivoire, le gouvernement n’a pas toujours exercé le plein contrôle du pays et on parlait presque uniquement de l’impasse politico-militaire », a dit Matt Wells, chercheur auprès de Human Rights Watch (HRW).

« On ne peut cependant attribuer simplement l’occupation et la destruction des forêts protégées au cours des dix dernières années à l’inaction ou à l’inefficacité du gouvernement. Des acteurs de l’État ont parfois été directement impliqués dans l’occupation des forêts protégées, notamment en donnant accès à ces zones en échange de récompenses financières ou politiques », a-t-il dit à IRIN.

Le problème des litiges fonciers dans l’ouest de la Côte d’Ivoire demeure largement irrésolu. Les violences postélectorales de 2010-2011 ont exacerbé les rivalités ethniques et politiques, causant des décès, des déplacements et des pertes de propriétés, et notamment de terres. [ http://www.irinnews.org/fr/report/97934/le-gouvernement-ivoirien-appelé-à-mettre-un-terme-à-l-agitation-dans-l-ouest ] [ http://www.hrw.org/news/2013/10/09/cote-d-ivoire-people-displaced-conflict-face-land-theft ]

Les Guérés, un groupe ethnique que l’on dit originaire de la région occidentale du pays, ont accordé leur soutien au président déchu Laurent Gbagbo pendant les élections contestées de 2010. Nombre d’entre eux ont fui quand les forces qui appuyaient Alassane Ouattara, à l’époque candidat de l’opposition et aujourd’hui président, ont lancé des attaques dans l’ouest du pays. Alors qu’ils commencent aujourd’hui à rentrer chez eux, les Guérés sont nombreux à découvrir que leurs terres ont été saisies par des personnes appartenant à des groupes considérés comme non autochtones dans la région, a indiqué HRW dans un rapport publié en octobre. [ http://www.hrw.org/news/2013/10/09/cote-d-ivoire-people-displaced-conflict-face-land-theft ]

Trouver des solutions

Selon une enquête gouvernementale menée en novembre, 6 715 familles vivent dans le Parc national du Mont Péko, la plus vaste forêt protégée de l’ouest de la Côte d’Ivoire. Cinquante-quatre pour cent d’entre elles sont d’origine ivoirienne et les autres viennent du Burkina Faso. Au total, quelque 13 000 des 34 000 hectares du parc sont occupés illégalement.

Le rapport du gouvernement appelle à la création d’un groupe de travail et à l’élaboration d’un plan pour résoudre le problème de l’occupation illégale des forêts, étudier son impact sur la cohésion sociale, les cultures commerciales et l’éducation des enfants et aborder la question des départs volontaires.

Il existe une vingtaine de forêts gouvernementales dans l’ouest de la Côte d’Ivoire. Au fil des ans, des villages entiers ont vu le jour dans ces forêts. Les colons défrichent pour cultiver le cacao ou autre chose.

En juin dernier, les autorités ont commencé à expulser les occupants de plusieurs forêts gouvernementales de la région de Niégré, dans le sud-est du pays, mais des groupes de défense des droits ont accusé les forces de sécurité de vols, de destructions de propriétés et de violences.

« Ce qui est certain, c’est que tous les occupants illégaux seront expulsés d’ici 2015. Les plantations de cacao et de café et les autres cultures seront remplacées par des arbres », a dit Mamadou Sangaré, le directeur de la SODEFOR.

« Les expulsions futures doivent être mieux planifiées et supervisées afin d’éviter ce genre d’abus. Le gouvernement doit également se préparer à des répercussions potentielles en termes de conflits fonciers », a dit M. Wells, de HRW.

« Où iront les milliers de personnes qui seront chassées des forêts protégées ? Quels problèmes risquent d’émerger lorsqu’ils chercheront à s’installer ailleurs ? » a-t-il dit. « S’il décide d’aller de l’avant avec son projet de récupérer les forêts protégées, le gouvernement doit mener, en parallèle, une réflexion proactive sur la façon d’éviter les conflits fonciers et d’offrir des options alternatives aux personnes qui ont cultivé des terres pendant des années - voire des décennies - sur ces territoires protégés, parfois même avec l’approbation des gouvernements précédents. »

M. Wells a cependant ajouté que le gouvernement « n’a pas encore élaboré une politique cohérente ou priorisé le soutien financier et technique nécessaire pour résoudre les conflits fonciers dans l’ensemble du pays. Tant qu’il ne le fera pas, la terre restera une source potentielle de violence, en particulier dans l’ouest du pays ».

Mathieu Wadja Egnankou, président de l’ONG ivoirienne SOS Forêts, a dit que les expulsions devaient être faites de manière à éviter les tensions. Il a ainsi suggéré d’évincer les nouveaux colons et ceux qui occupent la terre depuis moins de trois ans.

« La destruction des plantations illégales dans les forêts protégées aura un impact sur les revenus du gouvernement. Se débarrasser de ces plantations équivaut à priver ce segment de la population de son pain quotidien, mais l’inaction entraînera la disparition totale des forêts ivoiriennes. C’est le dilemme auquel sont confrontées les autorités ivoiriennes depuis quelques années », a dit Fabrice Kablan, un ingénieur agronome.

Source : http://www.irinnews.org/