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Union africaine des travailleurs communistes internationalistes (Côte d’Ivoire)

Par Lutte ouvrière

D 22 janvier 2021     H 13:46     A Lutte de classe , Lutte Ouvrière (France)     C 0 messages


La situation politique actuelle en Côte d’Ivoire découle de l’élection présidentielle qui a eu lieu à la fin du mois d’octobre. Malgré les dix ans passés au pouvoir et son âge avancé, Ouattara a brigué un troisième mandat dont la légalité est contestée par son opposition.

Ce pays compte trois principaux partis politiques historiques qui ont pour base trois groupes ethniques. Autour d’eux s’adjoignent de petits partis ayant leur propre base ethnique. Les trois principaux partis sont de force à peu près égale. Les transfuges ne manquent pas, des alliances se nouent et se dénouent au gré des intérêts et du rapport de force du moment.

Comme à leur habitude, les politiciens au pouvoir et ceux de l’opposition ont joué sur l’ethnisme et la xénophobie pour mobiliser leurs troupes. L’histoire se répète tous les cinq ans depuis la mort de Houphouët-Boigny en 1993.

Ouattara n’a peut-être rien à craindre du côté de son opposition et des forces armées, mais son pouvoir pourrait être déstabilisé par des conflits fonciers sur un fond d’ethnisme et de xénophobie, notamment à l’ouest, le long de la frontière libérienne. Dans cette région, la tension est grande. Les spoliations et les violences perpétrées depuis une vingtaine d’années par des bandes armées ont contribué à envenimer la situation. C’est une poudrière que les dirigeants de l’opposition pourraient embraser.

Vue de l’occident, la Côte d’Ivoire passe pour un des rares pays de cette région d’Afrique dont l’économie est relativement florissante, un pays en pleine construction, etc. Ça, c’est la vue côté jardin, du point de vue de la bourgeoisie. Effectivement, même la ville d’Abidjan a complètement changé ces dix dernières années, avec ses grandes artères, ses restaurants luxueux, ses centres commerciaux, ses immeubles aux façades dorées, etc. Les riches vivent dans une opulence affichée et visible de tous.

Mais côté cour, du point de vue des populations pauvres, c’est une tout autre réalité. Leurs conditions d’existence ne cessent de se dégrader d’année en année. Même au cœur de la capitale économique, la pauvreté et la misère continuent de s’aggraver. Au chômage de masse s’ajoutent toutes sortes d’injustices que les populations pauvres subissent  : opérations de «  déguerpissement  » de quartiers entiers, destructions d’étalages de petits vendeurs, etc. Du côté des travailleurs, il y a les bas salaires et la précarité alors que le coût de la vie ne cesse d’augmenter et grignote le peu qu’ils gagnent. Un signe ne trompe pas, c’est l’abondance de petits vendeurs de rues, d’enfants de travailleurs qui courent entre les voitures pour nettoyer leurs vitres le soir après l’école et le week-end, de petits écoliers cireurs de chaussures, etc.

Dans les quartiers, devant chaque maison il y a des étals. Tout le monde vend quelque chose. Il y a encore trente ans, il n’y avait rien de tout cela à Abidjan.

Dans les entreprises, les conditions de travail sont souvent infernales. Les patrons imposent une cadence extrême et certains travailleurs ne tiennent pas plus de quelques mois. Le salaire couvre de moins en moins les besoins des familles ouvrières. Après les heures de travail à l’usine, il faut se débrouiller pour compléter son revenu  : vendre de petites choses, oranges ou beignets, laver et repasser le linge des gens du quartier, etc. On se débrouille comme on peut pour ne pas crever de faim même quand on a déjà un travail.

Les pauvres vivent dans leurs quartiers, toutes ethnies et nationalités confondues, sans problèmes de cohabitation.

Mais dans ce contexte d’aggravation générale de la misère, les dirigeants politiques soufflent sur le feu de l’ethnisme et de la xénophobie. Et il n’en faut pas beaucoup pour que le feu se ravive. C’est ainsi que s’étaient produits dans un passé récent des massacres à Abobo et à Yopougon, deux communes populaires du district d’Abidjan, par des miliciens armés.

La crainte d’un nouvel embrasement à caractère ethnique et xénophobe était bien réelle et les habitants des quartiers pauvres l’ont ressentie comme telle.

Des habitants ont commencé à déménager de leur quartier pour rentrer au village car ils ne se sentaient plus en sécurité à cause de leur ethnie considérée comme hostile à Ouattara et favorable à Gbagbo.

Nous étions les seuls à défendre un point de vue de classe et nous nous sommes exprimés en sortant un papier s’adressant aux travailleurs de toutes les ethnies et de toutes les nationalités.

Ce sont les politiciens accrochés au pouvoir ou ceux qui veulent y parvenir qui jouent sur la fibre ethnique. Mais il faut aussi comprendre que l’ethnisme n’est qu’un aspect d’un problème plus vaste. Il y a le sous-développement, le problème foncier, la misère, les cicatrices des massacres passés, etc.

C’est dans ce contexte que s’est déroulée l’élection présidentielle. L’opposition ayant appelé au boycott, l’élection n’a pas pu se tenir normalement dans de nombreuses régions. Les résultats communiqués par la commission électorale indépendante ont été complètement truqués, et le taux de participation gonflé.

Officiellement, il y a eu moins d’une centaine de morts, contre des milliers de morts et des dizaines de milliers de réfugiés lors des crises précédentes de 2000, 2004 et 2010.

Aussitôt après la proclamation des résultats, les principaux partis d’opposition regroupés au sein d’une plateforme ont mis en place le Conseil national de transition (CNT), une sorte de gouvernement bis en opposition au gouvernement officiel. Le CNT a aussitôt appelé à la désobéissance civile, mais cette annonce a eu pour seul effet des massacres interethniques dans plusieurs villes de l’intérieur. À Abidjan, ce furent surtout des véhicules calcinés, dont plusieurs bus.

Depuis lors, sous la pression de l’impérialisme, Ouattara et Bédié, les deux principaux leaders, se sont rencontrés en l’absence de l’ancien président Gbagbo, toujours en exil à Bruxelles.

Le CNT a fait long feu. Pour autant, rien n’est réglé  ; les négociations sont ouvertes. L’opposition demande une nouvelle Constitution, un gouvernement provisoire, de nouvelles élections, etc. En somme, le départ de Ouattara, qui ne l’entend pas de cette oreille.

L’opposition a, en fait, montré toute son impuissance face au pouvoir en place.

Rappelons que le pays était resté coupé en deux, entre Nord et Sud, durant une dizaine d’années, suite à une rébellion armée. Ouattara lui-même fut porté ensuite au pouvoir avec le soutien de cette même rébellion et des forces armées françaises.

En dix ans de pouvoir, Ouattara a eu le temps de fortifier son régime. Il a renforcé son emprise sur les forces de l’ordre par l’intégration de nouvelles recrues, notamment des nordistes, dans l’armée, la police, la gendarmerie, la douane. Il a créé un climat délétère au sein de tous ces appareils puis favorisé ce qu’il a qualifié de «  départs volontaires  » en payant à ces «  volontaires  » environ vingt mille euros chacun. Il a aussi démantelé les forces rebelles qui s’étaient installées au Nord durant une dizaine d’années. Pour cela, il a d’abord intégré l’état-major de la rébellion au sein de l’armée officielle. Quelques-uns ont été propulsés au rang de capitaine et même de colonel. Les rares officiers ont été bombardés généraux, puis poussés à la retraite.

Un de ces anciens soldats de la rébellion, peut-être simple caporal à l’origine, est aujourd’hui préfet de région et avant tout grand homme d’affaires. Ils sont quelques-uns de son acabit à brasser aujourd’hui des milliards grâce à leur accès aux bureaux très haut placés des ministères. Ils obtiennent des contrats juteux dans les projets d’électrification rurale, d’accès à l’eau des villages, etc.

Durant ses dix ans de pouvoir, Ouattara a aussi démantelé des milliers d’ex-miliciens armés de Soro Guillaume, en usant de la force quand cela était nécessaire. Il avait d’autant moins de mal à le faire que tous deux sont originaires du Nord.

Le noyautage des forces armées par des gens favorables à Ouattara, sélectionnés le plus souvent sur des bases ethniques, a permis de réduire les forces de Bédié, de Gbagbo et de Soro Guillaume à néant au sein de ces forces. Le parti de Bédié a aussi été délesté de plusieurs de ses caciques, intégrés au pouvoir actuel. Quant au FPI, le parti de Gbagbo, il s’est scindé en deux morceaux.

À part aboyer et s’emparer d’arguments ethnistes et xénophobes, l’opposition n’a pas d’armes pour l’instant.

Ouattara est donc au pouvoir, plus fort que jamais, tant que les populations pauvres ne se révoltent pas. Mais cette cocotte-minute sociale pourrait aussi exploser et donner du fil à retordre aux tenants du pouvoir et aux capitalistes qui continuent de faire des fortunes au milieu de cet océan de misère.


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