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Guinée-Conakry : Règlements de compte politiciens sur fond de crise sociale sociale aigüe

D 1er août 2011     H 12:54     A Pierre Sidy     C 0 messages


Le 18 juillet dernier, au petit matin, la résidence d’Alpha
Condé à Conakry est, selon la version officielle, attaquée par
un groupe puissamment armé… Sa chambre à coucher
particulièrement où il n’était pas ! Le président dénoncera
derechef dans une interview (dans une radio étrangère) une
tentative d’assassinat sur sa personne. Depuis, des questions se
posent : Qui a ou ont intérêt à assassiner Alpha Condé dans le
contexte actuel ? Renouerait-on au contraire avec les
manipulations de complots ou d’attentats contre eux dont les
autocrates qui se sont succédé à la tête de ce pays ont usé et
abusé pour renforcer leur pouvoir et, éventuellement, réprimer
leurs adversaires ? Les spéculations vont bon train aussi bien
dans les médias que parmi la classe politicienne… En tout cas, en
moins d’une semaine, une quarantaine de militaires ont été
arrêtés, dont la plupart sont des proches de l’ancien président de
la transition qui a préparé les présidentielles, le général
Sekouba Konaté.

Un avènement démocratique fragile

Toujours est-il que,
sept mois après son
investiture, le
« premier président
élu démocratiquement
en Guinée » (toujours
resté dans l’opposition
sans jamais céder aux
sirènes du pouvoir)
voit s’effriter son
capital « sympathie »
de départ.
L’« opposant
historique » devenu
président a promis « une ère nouvelle » et a annoncé son
intention de devenir « le Mandela de la Guinée » en unifiant et
développant son pays. Il a hérité d’un pays profondément divisé
avec une armée qui continue de représenter un danger pour les
libertés publiques, un pays gangrené par la corruption et le trafic
de drogue au plus haut niveau de l’Etat. En dehors de la
nécessaire et urgente relance de l’économie guinéenne, il était
appelé à gérer à l’interne de profondes tensions politiques et
sociales.

Les premières annonces d’Alpha Condé ne pouvaient pas
inquiéter l’impérialisme et ne remettaient nullement en cause le
rôle de la Guinée comme simple fournisseur de matières
premières aux trusts multinationaux. Pour réformer l’armée, il
comptait sur l’aide des Etats-Unis et de la France et pour les
contrats d’exploitation minière, il était d’une grande prudence
(« Il y a des contrats scandaleux et certains sont en effet peutêtre
à revoir ») et s’en remettait au représentant du capitalisme
international pour gérer les mines (« Il ne s’agit pas que de
renégocier Il faut établir une véritable politique en ce domaine et
la Banque mondiale peut nous y aider »).

Alpha Condé et son administration ont réussi à lever les barrages
routiers, à supprimer l’impôt de capitation, à réaliser l’unicité des
caisses de l’Etat afin de mieux contrôler et comprimer les
dépenses et à interdire à la Banque centrale de faire des avances
au Trésor public sans contrepartie de recettes… Autrement, ils
ont annoncé leur détermination à lutter contre la corruption et les
détournements de fonds, à maîtriser l’inflation, à appliquer la
gratuité des soins infantiles et maternels, à réviser le code minier,
à organiser des Etats généraux de la Justice, à réformer les
forces de défense et de sécurité, à procéder aux réformes
institutionnelles et à la modernisation de l’administration publique
etc. Des chantiers ont été initiés pour réaliser ces objectifs
annoncés.

Le gouvernement mis en place par Condé s’est fixé comme
objectif d’atteindre en 2011 un taux de croissance du PIB de 4%
en termes réels (contre 1,9% en 2010), de ramener le taux
d’inflation à 15,7% en glissement annuel (contre 20,9% en
2010), et de porter les réserves brutes de change de la Banque
centrale à plus de 2,5 mois d’importation de biens et services
(contre 1,9 mois en 2010). Le budget 2011 ayant prévu une
baisse de 6,8% alors que le pays a besoin d’investir lourdement,
notamment dans les infrastructures, pour relancer l’économie et
assurer le développement humain, les dépenses ont été passées
au crible.

Une situation sociale désastreuse

Pour le moment, on n’en sait pas plus sur l’évolution de cette
situation financière de transition très tendue. La situation sociale,
elle, reste désastreuse malgré quelques replâtrages entrepris. La
plupart des quartiers populaires restent mal fournis (ou pas
fournis) en électricité et eau courante, le système sanitaire et
l’éducation délabrés et le chômage est endémique. L’inflation qui
continue de galoper a des répercussions directes sur le coût des
denrées de première nécessité et la population continue de
déplorer la cherté de la vie. Les carences de l’Etat sont, en tout
cas, telles que la misère sociale et économique pousse toujours
les gens à se réfugier dans leur communauté d’origine. Les partis
politiques, dans leur grande majorité, reflètent les différentes
communautés qui composent la Guinée et le personnel politicien
n’est pas irréprochable en matière de discours ethniciste.
Alors que les changements espérés par la population et promis
par Alpha Condé tardent à se concrétiser, la perspective
approchante des législatives de cette fin de l’année pour « finir la
transition », fait ressortir les contradictions et faiblesses du
pouvoir d’Alpha Condé et excite les enjeux de pouvoir sur
plusieurs sujets :
Dès le premier
trimestre passé, la
bataille pour
obtenir la
concession du port
de Conakry faisait
rage. Alpha Condé
a attribué par
décret le 10 mars
cette concession
au groupe Bolloré,
en arguant d’une
« défaillance » de
Getma (filiale
française de
NCT Necotrans) qui avait obtenu ce marché en 2008 après appel
d’offres, pour une durée de 25 ans. Bolloré a récupéré cette
concession de 2008, mais avec un périmètre plus large incluant la
partie commerciale. Après plainte de NCT contre l’Etat guinéen
suite à la résiliation de sa concession, la réquisition de son
matériel et de ses salariés et l’envoi des forces armées pour
l’exécution du décret de réquisition, retournement de situation fin
juin : le gouvernement a décrété la levée de la réquisition des
actifs de Getma qui gagnerait à terme la gestion du terminal
commercial (pour des biens de grande consommation comme le
riz, la farine, le sucre, le ciment etc.), la concession du terminal à
conteneurs restant à Bolloré… Un vrai partage de gâteau !

Depuis juin, les réseaux de société civile montent au créneau
pour dénoncer les « dérives autoritaires » du nouveau régime : le
Conseil national des organisations de la société civile guinéenne
(CNOSCG) pointe des violations de droits de l’Homme et de droits
civils et politiques et des répressions violentes (avec morts
d’hommes) de manifestations pacifiques, des atteintes aux
libertés individuelles et publiques (intimidations policières contre
des responsables de la presse privée, condamnations pour faits
de grève, suspension de publications proches de l’opposition ainsi
que de journalistes incontrôlables de la radio d’Etat etc.). Il
dénonce aussi des violations de la constitution dans la gestion
d’institutions (dissolution de conseils locaux, mainmise
gouvernementale sur la Commission électorale nationale
indépendante en vue des législatives) mais aussi des propos
ouvertement discriminatoires et stigmatisant envers une
communauté tenus par le Médiateur de la république et portant
gravement atteinte à l’unité nationale et à la préservation de la
paix dans le pays.

En fait, la victoire en décembre dernier de Condé aux
présidentielles était d’emblée fragile : en effet, au vu des
résultats électoraux du premier tour où il ne comptait que
18,25% de vote face à son rival, l’ultralibéral Cellou Dalein Diallo
(ancien premier ministre de l’autocrate Lansana Conté), qui en
comptait plus du double 43,69%, sa victoire au second tour était
une surprise. En fait, avec un total de plus de 52% des voix, ce
retournement de situation était clairement dû à la constitution du
large front électoral dénommé Arc en ciel où se trouvaient des
candidats du premier tour, anciens ministres de Lansana Conté et
des partisans du capitaine putschiste Dadis Camara impliqué dans
le massacre de manifestants au stade de Conakry (le
28 septembre 2009). Les règlements de compte politiciens de ces
dernières semaines sont en grande partie inhérents à des
insatisfactions et impatiences de ses alliés électoraux du
deuxième tour des présidentielles. Des renversements d’alliances
entre fractions du pouvoir et fractions de l’opposition politicienne
se sont visiblement faits.

Quelle alternative de progrès ?

Il y a fort à penser maintenant que les chancelleries
occidentales, la France comme les Etats-Unis, ont laissé passer
Condé en décembre car ce qui compte pour elles c’est la stabilité
du pays et de la région. Au stade actuel, une redéfinition de la
donne politique au seuil des législatives n’est pas pour déplaire à
l’impérialisme et Condé (dont le parti, le RPG ou Rassemblement
du peuple de Guinée est adhérent de l’Internationale socialiste),
isolé désormais de ses alliés contre-nature, est dans les
conditions de s’y plier.

L’enjeu pour les progressistes en Guinée est autrement et
ailleurs. La structuration et la puissance du mouvement syndical
guinéen – particulièrement puissant – sont un point d’appui
essentiel dans la recherche d’une alternative sur le terrain
politique, autour de la construction d’une organisation qui se
situe dans la lutte contre le capitalisme pour répondre aux
besoins essentiels des Guinéens. Les élections présidentielles ont
provoqué un attentisme dans le mouvement social, y compris
pour les organisations syndicales : il peut maintenant exiger la fin
de l’impunité des responsables des nombreuses répressions, la
pleine transparence sur tous les contrats miniers et imposer que
les bénéfices de l’exploitation des mines financent la satisfaction
des besoins sociaux des populations. Rien ne lui sera octroyé,
bien sûr !

Pierre Sidy