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Guinée – La voie de la transition reste encore bien

D 18 février 2010     H 15:51     A Bertold de Ryon     C 0 messages


Guinée – La voie de la transition reste encore bien
incertaine
Depuis la fin de l’année 2008, le « Conseil national pour la
démocratie et le développement » (CNDD), formé par des militaires
gouverne la Guinée.
Ce groupe avait pris le pouvoir au lendemain de l’annonce
officielle de la mort le 22 décembre 2008 de l’ancien présidentdictateur
Lansana Conté. Il avait initialement promis de « nettoyer
le pays » de la corruption et des liens de son oligarchie avec des
cartels internationaux de la drogue, avant de remettre rapidement
le pouvoir à des civils. Des élections législatives puis présidentielles
devaient être organisées selon un calendrier négocié par les
militaires avec les « forces vives » – c’est-à-dire l’opposition civile
rassemblant partis politiques, syndicats et ONG/associations – en
mars, en octobre et en décembre 2009. Mais, au fil des mois, il est
apparu de plus en plus nettement que le chef du gouvernement
militaire, le capitaine Moussa Dadis Camara, s’accrochait au
pouvoir, manifestant de plus en plus clairement son intention de se
présenter à l’élection présidentielle prévue le 13 décembre 2009.
Le 28 septembre 2009, date anniversaire du référendum en
1958 où le peuple guinéen avait dit « Non » au projet de
« Communauté française » de de Gaulle et quatre jours avant la
fête de l’indépendance du 2 octobre, l’opposition civile organise un
rassemblement pour demander au chef de la junte de ne pas se
présenter aux élections. Egalement parmi les revendications la
demande d’élections libres et non manipulées, sans participation
des militaires. La réponse d’une partie de l’armée est un effroyable
massacre. Un rapport officiel établi pour l’ONU a décompté 156
morts et au moins une centaine de viols commis en public sur la
pelouse du stade. Les « forces vives », dont les principaux leaders
ont échappé de justesse à la mort, demandent désormais une
seule chose : le départ des militaires du pouvoir, en préalable à
toute négociation.
Le 3 décembre 2009, un proche collaborateur de Dadis Camara,
Aboubacar « Toumba » Diakité, lui tire plusieurs balles dans la tête.
La motivation de cet acte résiderait dans le fait que, impliqué dans
le commandement militaire lors du massacre du 28 septembre,
Diakité aurait refusé d’en endosser la responsabilité principal tout
seul alors que Dadis Camara cherchait à lui faire « porter le
chapeau ». Il prétend également avoir aidé des opposants à
échapper au massacre, une version sujette à controverses.
Aujourd’hui, toujours en cavale, malgré les nombreux points de
contrôlé érigés dans la capitale, l’homme vivrait caché auprès de
membres de sa famille, probablement à Conakry même.
Dans les heures qui suivent la tentative d’assassinat, Dadis
Camara, est évacué à Rabat (Maroc) où il est hospitalisé pendant
plusieurs semaines. A Conakry, c’est le général Sékouba Konaté
qui prend la tête du CNDD. Pour certains observateurs il serait
le représentant d’une aile « modérée ». Quoi qu’il en soit,
Konaté donne effectivement des gages à l’opposition civile pour
recréer une certaine stabilité intérieure au pays. Il remet à
l’ordre du jour des élections annoncées « dans les six mois à
venir » ainsi que la formation d’un gouvernement « d’union
nationale ». Un-e représentant-e de l’opposition, que les
« forces vives » obtiennent la possibilité de choisir, doit être
nommé-e à sa tête. L’opposition civile se met d’accord sur deux
noms : celui de Jean-Marie Doré, leader de l’Union pour la
Guinée (UPG) et porte-parole de la coalition des forces vives, et
celui de Rabiatou Diallo, la bouillonnante leader syndicale de la
confédération CNTG. Le 18 janvier, le choix de Jean-Marie Doré
comme Premier ministre « de transition » est acté. A l’heure où
nous bouclons ce numéro, le gouvernement devait être en train
d’être formé.
Entre-temps, Dadis Camara a débarqué de son exil
temporaire marocain le 12 janvier mais pour atterrir non pas à
Conakry, mais à Ouagadougou puisque les négociations entre
militaires et « forces vives » se sont déroulées depuis plusieurs
mois dans la capitale burkinabè. La CEDEAO a en effet confié le
rôle de médiateur au président du Burkina-Faso, Blaise
Compaoré, un fidèle pilier de la Françafrique. Beaucoup ont
alors craint que Dadis Camara (que le général Konaté avait
rencontré sur son lit d’hôpital à Rabat) allait remettre en cause
tous les accords préalablement trouvés. Or, le 15 janvier, Dadis
Camara co-signe avec le CNDD dirigé par le général Konaté et
les « forces vives », un nouvel accord commun. Celui-ci prévoit
que Dadis Camara restera en exil, « pour convalescence », et
que la formation du gouvernement « d’union nationale » ainsi
que le calendrier d’élections restent maintenus.
L’accord récemment trouvé à Ouagadougou a été obtenu
pour deux raisons principales. D’un côté, l’armée semble bien
trop fractionnée et les luttes parfois sanglantes entre « clans »
– allant jusqu’aux tirs contre le chef de la junte en attestent –,
pour pouvoir espérer se maintenir durablement au pouvoir dans
son état actuel. De l’autre côté, les grandes puissances ont
également exercé des pressions en faveur d’une « transition ».
Non seulement parce qu’elles préfèrent, au moins en théorie,
un pouvoir pouvant se prévaloir de la « légitimité des urnes » ;
Hadja Rabiatou Diallo, secrétaire générale de la Confédération nationale des
travailleurs de Guinée (CNTG)
mais surtout, parce qu’elles ne croyaient pas Dadis Camara,
personnellement très apprécié par certaines, dont la France,
capable de conduire la Guinée vers la « stabilité » nécessaire pour
poursuivre leurs intérêts.
Le proche avenir devra montrer si, en effet, une remise du
pouvoir à des civils, suite à des élections – dont il faudra évaluer le
caractère « propre » ou non –, aura lieu. Une transition vers un
pouvoir civil, et qui garantirait des droits démocratiques à la
population, aux syndicats, aux associations et autres acteurs de
la société, n’en reste pas moins souhaitable. Il ne réglera
néanmoins pas, tout seul, les problèmes criants du pays :
l’extrême misère d’une bonne partie de la population et son
exploitation par des intérêts économiques des grandes
puissances. Et ça, ce sera aux mouvements sociaux futurs d’y
donner des réponses.

Bertold de Ryon