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Guinée : Menace contre les défenseurs des droits humains

D 24 décembre 2011     H 05:15     A FIDH     C 0 messages


Une décision judiciaire contre l’impunité des actes de harcèlement à l’encontre de cinq défenseurs, alors que les actes d’intimidation continuent

L’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, programme conjoint de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), se félicite de la décision d’un Tribunal de première instance de Conakry de condamner un gouverneur suite à l’arrestation arbitraire de plusieurs défenseurs des droits de l’Homme et appelle les autorités guinéennes à prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité des défenseurs qui restent aujourd’hui menacés par certains éléments en raison de cette procédure.
Le 30 novembre 2011, le Tribunal de première instance de Conakry a reconnu coupable le gouverneur de la capitale, le commandant Sékou Resco Camara, d’immixtion dans les affaires judiciaires et l’a condamné à verser une amende d’un million de francs guinéens (108 euros) au président de l’association de défense des droits de l’Homme Mêmes droits pour tous (MDT), Me Frédéric Loua, et un franc symbolique à quatre membres de cette organisation : MM. Boniface Loua, Pierre Camara, Tossa Montcho et Mlle Fatoumata Bangoura.

M. Sékou Resco Camara était cité à comparaître, aux côtés du colonel Amadou Bangoura, commandant de la Compagnie spéciale d’intervention de police, et de M. Alfred Sovi Guilavogui, directeur de la Sûreté urbaine de Conakry, pour “usurpation de titre et de fonctions”, menaces”, “injures publiques”, “violences” et “voies de fait”, “diffamation” et “dénonciations calomnieuse” à l’encontre des cinq membres de MDT. Pour rappel, ces derniers avaient été détenus les 3 et 4 novembre 2011, après avoir fait libérer de la Maison centrale deux prisonniers en détention provisoire depuis 2001 et 2005, dans le cadre de leur programme d’assistance judiciaire aux détenus [1].

L’Observatoire salue cette décision judiciaire qui, malgré sa portée essentiellement symbolique, constitue un premier pas encourageant pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme contre les entraves, intimidations ou menaces qu’ils rencontrent dans l’exercice de leurs fonctions, et plus généralement pour l’indépendance du système judiciaire guinéen.

Toutefois, l’Observatoire déplore les conditions dans lesquelles se sont tenus les débats judiciaires, tout au long des quatre audiences des 16, 23, 28 et 30 novembre 2011. En effet, la salle d’audience a été systématiquement envahie par des partisans du gouverneur, parmi lesquels de nombreux policiers, en civil mais aussi en uniforme. Ceux-ci ont continuellement manifesté leur soutien au gouverneur, par des interventions bruyantes et des acclamations répétées lors des prises de parole de ce dernier, amenant à plusieurs reprises la présidente du tribunal, Mme Kadiatou Traoré, à menacer d’évacuer la salle.

De plus, les membres de MDT ainsi que leurs avocats ont fait l’objet de nombreuses menaces verbales et d’intimidations physiques. Il leur a ainsi été reproché, par des policiers, d’être “des bandits ne méritant pas la vie”, et promis que le “dernier mot” reviendrait aux policiers. Certains policiers ont également déclaré que, maintenant qu’ils connaissaient MM. Frédéric Loua et Tossa Montcho, “ils allaient leur montrer que le pays était gouverné”.

En outre, à l’issue de l’audience du 23 novembre, autour de 19h, un important cortège de policiers et de militaires, entourant le véhicule du gouverneur, s’est dirigé jusqu’au pied de l’immeuble abritant les locaux de MDT, en scandant le slogan “Ennemis : zéro ! ONG : zéro !” et en montrant du doigt l’étage occupé par l’organisation.

Dans ces conditions, la situation sécuritaire des membres de MDT apparaît particulièrement précaire. L’organisation n’est d’ailleurs plus en moyen d’assurer ses activités quotidiennes, certains de ses membres n’osant plus se rendre sur leur lieu de travail depuis le début des audiences.

L’Observatoire condamne ces menaces et exhorte les autorités guinéennes à prendre, dans les meilleurs délais, toutes les dispositions nécessaires pour garantir l’intégrité physique et psychologique des membres de MDT, et tout particulièrement de son président, Me Frédéric Loua, et de son coordinateur, M. Tossa Montcho, qui ont été individuellement visés par les différentes menaces survenues au cours et en marge des audiences.

Enfin, un an après la première élection présidentielle démocratique et alors que la Guinée s’est engagée sur la voie de l’instauration d’un État de droit, l’Observatoire appelle à l’adoption d’un texte de loi portant protection et promotion des défenseurs des droits de l’homme, selon les principes de la Déclaration des Nations Unies sur les défenseurs de 1998, afin de garantir à tout individu ou association le droit de promouvoir et défendre les droits de l’Homme, en prévoyant notamment des mécanismes d’alerte et de protection.

Plus généralement, l’Observatoire demande aux autorités guinéennes de se conformer aux dispositions de la Déclaration universelle des droits de l’Homme et instruments régionaux et internationaux relatifs aux droits de l’Homme ratifiés par la Guinée.