Vous êtes ici : Accueil » Afrique de l’Ouest » Mali » Aide-ménagères à Bamako : Ton paradis, mon enfer

Aide-ménagères à Bamako : Ton paradis, mon enfer

D 6 décembre 2021     H 05:00     A Mariam ALDIOU     C 0 messages


Les aide-ménagères, appelées aussi « bonnes à tout faire », « petites bonnes », « filles de ménage », « 52 », « baradé », domestiques, filles migrantes, aides familiales, forment cette main-d’œuvre de jeunes filles venues de la campagne pour être employées en ville. A Bamako, elles seraient plus de 100 000 aide-ménagères issues des familles défavorisées des zones rurales. Pour l’essentiel, elles sont analphabètes ou déscolarisées. Assez souvent maltraitées avec des salaires minables, elles font tous les travaux domestiques. En ville, ces jeunes filles, dont l’âge varie entre dix et seize ans, sont confrontées à de multiples problèmes.

Plusieurs raisons justifient la présence massive des aide-ménagères à Bamako. Elles quittent leurs villages pour venir travailler en ville afin d’aider leurs familles restées en campagne, d’assurer les trousseaux de leur mariage, de se payer des ustensiles de cuisine, des habits, d’aider leurs maris démunis ou d’échapper à un mariage forcé ou précoce.

Cet exode rural, à multiples facettes, concerne exclusivement les femmes. Il consiste à quitter son village, ses amis, ses parents et autres pour venir en ville afin de soutenir financièrement les proches ou collecter les ressources financières nécessaires pour fonder un foyer. Ce sont donc des motivations nobles qui les conduisent en ville.

Une vie d’esclave

A Bamako, elles sont employées dans des familles pour aider dans les travaux ménagers. Il s’agit notamment de la cuisine, de la lessive, de l’entretien de la maison ainsi que des enfants. Elles aident aussi leurs patronnes dans le petit commerce.

Dans la quête de leur bien-être, ces filles font face à d’énormes difficultés, elles qui sont le plus souvent de nombreuses familles. Et leurs bourreaux sont très souvent des femmes, des mères de famille. Les témoignages concordent que dans bien de cas, elles sont maltraitées par leurs patronnes, intimidées par les maris de ces dernières pour un salaire mensuel largement en dessous du Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti (SMIG).

C’est le cas de Koko, douze ans, que nous avons rencontrée à Missira, commune II du district de Bamako. « J’ai quitté mon village à 11 ans juste après le décès de ma mère. Arrivée ici, j’étais logée chez une connaissance durant une semaine environ avant de commencer le travail. J’étais payée à 4 000 F CFA. Quelques mois plus tard, j’ai changé de lieu de travail parce que les tâches du premier employeur sont très lourdes. Je commence chaque matin le boulot à six heures par le nettoyage de la cour et je continue avec les travaux du jour jusque tard la nuit », nous dit-elle. Et d’ajouter : « Il y a huit mois que je suis dans cette concession, mais je n’ai pas encore reçu mon premier salaire. Je suis déjà désespérée, mais je place ma confiance en Allah », raconte la jeune fille, l’air désespéré.

Généralement, ces filles font à la fois le ménage, la cuisine et s’occupent de la garde des enfants. C’est encore elles qui balaient la cour de la concession et sa devanture, achètent les condiments au marché, font la cuisine, la vaisselle et la lessive, assistent les personnes âgées et malades, les étrangers. En réalité, la journée de l’aide-ménagère déborde de diverses tâches qu’elle doit accomplir du matin de bonne heure jusque tard dans la nuit. Elles travaillent en moyenne 12 à 15 heures par jour pour un salaire insignifiant. Elles ne bénéficient d’aucun congé, ni de jour de repos en semaine.

Habibatou Dembélé est âgée de 13 ans, elle vient de Bama. Cette adolescente se lève tous les jours à 6h du matin et se couche vers 22h, selon elle. « Quand je me lève le matin, la première des choses que je fais, c’est allumer le feu pour préparer le petit déjeuner. Ensuite, je passe le balai dans la cour, je fais la vaisselle si c’est mon tour, car nous sommes deux à le faire. Je dois aussi laver la voiture du mari de ma patronne avant qu’il ne parte au travail. Puis je nettoie et range le salon ; tout cela doit se faire avant 9h car c’est à cette heure-là que ma patronne va au travail ».

Selon un responsable d’une association de protection des Aide-ménagères, ces filles qui viennent des villages éloignés travaillent actuellement pour un montant oscillant entre 5000 et 30 000 FCFA, voire plus selon que l’employeur soit du secteur informel ou formel contre 40 000 FCFA par mois, le SMIG au Mali. Mais leur principal employeur est le secteur informel.

Le respect du droit de ces travailleuses demeure une épine dans le pied des acteurs de la protection des droits humains principalement les pouvoirs publics qui sont interpellés triplement : le travail des enfants, la durée du temps de travail, le salaire minable. Mais ceux-ci restent impassibles, sinon inaudibles. A ce sujet, M. Moctar Konaté, Inspecteur du travail et de la sécurité sociale à la Direction régionale de l’inspection du travail de Bamako a des explications.

Pour lui, la loi n° 92-020 du 23 septembre portant Code du travail au Mali modifiée par la loi n°2017-021 du 12 juin prend entièrement en charge les aide-ménagères, mais l’Inspecteur du travail n’ignore pas qu’elle s’applique difficilement. Aussi, en ce moment, la Direction régionale de l’inspection du travail en partenariat avec des ONG et les chefs de quartiers de la commune II du district de Bamako mène une campagne sensibilisation des aide-ménagères et leurs employeuses en vue d’une meilleure compréhension du Code du travail révèle l’inspecteur Konaté.

D’après ce spécialiste du Droit du travail, ce sont les habitudes qui ont la vie dure en plus du fait que la culture de saisir les autorités est très timide. Il cite quand même parmi les cas connus, celui de cette aide-ménagère, Hélène Koné qui a saisi l’inspection du travail pour n’avoir pas été mise dans ses droits. Le dossier a été transmis au Tribunal du travail où Hélène a eu gain de cause en recevant 525 000 FCFA comme dommages et intérêts

L’appel dangereux de la rue

Mais les réalités dans une grande comme Bamako sont différentes de celles de leurs contrées. La ville a ainsi piégé de nombreuse aide-ménagères, obligées d’y rester plus de temps qu’escompté, espérant toujours un lendemain meilleur. Le résultat fait que beaucoup d’entre elles tombent enceinte ou deviennent carrément des filles de mœurs légères. Cette donne empêche beaucoup de retourner chez elles au village.

A.K., un garagiste à Lafiabougou, un quartier de Bamako, témoigne que nombreuses sont celles qui passent la journée à errer d’un garage à l’autre pour vendre des fruits de saison, ou bien des arachides. D’ailleurs, même pendant la nuit, elles sont souvent dans les rues. Pour A.K., c’est certain que la nuit ce n’est pas pour vendre des fruits.

Aussi beaucoup de patronnes, se plaignent-elles, du fait que les aide-ménagères aiment trop les sorties nocturnes. L’argument, le plus souvent avancé par la majorité de ces migrantes, est qu’elles se regroupent la nuit juste pour causer et se rappeler des moments passés au village. Un alibi, pensent certains. L’apprenti M.T. du même garage de Lafiabougou ne s’embarrasse pas de confier que pour des raisons financières, certains jeunes comme lui préfèrent avoir des aide-ménagères comme copines. Il confie : « Avec elles, pas besoin d’acheter des mèches brésiliennes, des pommades coûteuses, des vêtements de marque. Une dépense de 1000 FCFA leur suffit pour toute la semaine ».

S.D., une domestique, confie qu’avec dix mille francs CFA/mois francs de salaire, c’est difficile. C’est pourquoi, elle sort la nuit. Pour elle, c’est une autre façon de gagner de l’argent et en même temps d’oublier un peu le stress de la longue journée de travail. S.D. reconnaît comme d’autres qu’elles subissent toutes sortes de pressions physiques et surtout psychologiques, sans oublier l’exposition aux infections sexuellement transmissibles et au VIH Sida, le risque de violences sexuelles ou encore celui des grossesses précoces et non désirées. « Nous tombons souvent dans ces pièges », avoue désespérément S.D.

Le retour au village, un véritable cauchemar

A Bamako, c’est juste après les premières pluies que le retour des bonnes au village s’amorce pour les travaux champêtres ou pour le mariage. Mais, si pour certaines, le moment de rentrer est une joie, pour d’autres, c’est un moment de tristesse et d’angoisse. Après avoir échangé avec de nombreuses jeunes aide-ménagères, on se rend compte qu’en plus de maltraitances physiques ou verbales, il y a également des abus de pouvoir.

Koro est originaire de Bankass. Elle travaille dans la commune V. Sa motivation de venir travailler en grande ville est due à un mariage forcé que son oncle voulait lui faire subir. Pour elle, la seule et unique solution est de quitter le village. Mais à Bamako elle s’est retrouvée dans une situation difficile. Koro était souriante jusqu’au moment où on l’a interrogée. « Les travaux champêtres ont déjà commencé au village, toutes mes sœurs sont rentrées. Mais, moi, je ne peux pas, car je n’ai pas encore mon argent. Partir faire ces travaux est une tradition chez nous. Ma patronne m’ordonne d’attendre octobre, pour me rembourser, me payer », dit-elle la tête baissée devant un tas d’assiettes.

Le cas de Bintou, une autre bonne, n’est pas isolé. Elle dit avoir 13 ans. Rencontrée dans cette gare de Bamako, elle est aussi une victime dont les droits ont été violés. Elle est sur le point de prendre le bus pour son village, pourtant cela fait 10 mois qu’elle n’a pas reçu de salaire de sa patronne. « Je n’ai reçu que 15 000 FCFA, pour trois mois. Mon salaire global fait 50 000 FCFA, mais je suis obligée de me débrouiller avec ce qu’on m’a remis », souligne la jeune fille, son voile sur le visage.

Défenseurs actifs contre droits bafoués

Malgré tous leurs efforts, ces filles, mineures dans bien de cas, restent toujours mal traitées et mal payées. La majeure partie d’entre elles sont analphabètes. Au Mali, ce métier est loin d’être régi par la loi. Les relations entre les employeurs et les bonnes se situent en dehors de tout cadre légal, puisqu’aucune disposition légale n’est prise pour encadrer ce type de travail. Aucune référence au Code du travail, ni au Décret n°2015-0363/P-RM du 19 mai 2015 fixant le SMIG encore moins la Convention 189 de l’OIT. A l’exception du décret n° 96-178/P-RM du 13 juin 1996, qui est en réalité un instrument visant l’amélioration des conditions de vie et de travail du personnel de maison dont font partie les “bonnes”. Mais un travail de plaidoyer est nécessaire pour que l’Etat s’assume.

C’est vrai que de plus en plus de structures, comme l’ONG Bureau National Catholique de l’Enfance (BNCE-Mali), partenaire de Educo Mali à travers le projet « Jigitugu » pour la promotion des droits et la protection des filles travailleuses domestiques, accompagnent les aide-ménagères défavorisées ou qui ont des problèmes avec leurs familles d’accueil.

Ainsi par le biais de « Jigitugu », les jeunes filles apprennent des métiers comme la teinture, la coiffure, la couture, l’art culinaire, toutes choses indispensables tant pour le présent que dans le futur, confie Coulibaly Amanda, du projet « Jigitugu ». Avec ces acquis, toute aide-ménagère pourra être traitée normalement comme toute autre personne. Cette philosophie est d’ailleurs celle de toutes les associations et ONG qui luttent pour les droits de la femme ainsi que contre les violences basées sur le genre et spécifiquement à l’endroit des aides ménagères. Ce qui cadre parfaitement avec l’objectif du projet visant à contribuer à la reconnaissance et à la jouissance effective des droits de l’enfant, en général et des filles travailleuses domestiques, en particulier.

A l’Association de Défense des Droits des Aide-ménagères et Domestiques (ADDAD), on ne dit pas moins. Toutes les actions de cette organisation visent à ralentir le phénomène de maltraitance des domestiques, avec pour credo la promotion des droits des aides ménagères.

L’ADDAD, à la veille des grandes migrations vers les grandes villes, va même sur le terrain et organise des campagnes de sensibilisation à l’endroit des parents pour les dissuader d’envoyer leurs filles, surtout mineures, en ville. Ce plaidoyer cible aussi les autorités nationales souvent interpellées pour faire appliquer les lois, ratifier et appliquer la Convention 189 de l’OIT. Celle-ci offre une protection spécifique aux travailleurs domestiques. Elle fixe les droits et principes fondamentaux et impose aux États de prendre une série de mesures en vue de faire du travail décent une réalité pour les travailleurs domestiques.

C’est justement la raison pour laquelle ADDAD sensibilise les femmes leaders engagées en général dans la défense des droits de la femme, mais qui manquent parfois de culture générale sur les droits des aide-ménagères. Pourtant, ce sont elles qui les emploient à 80 % comme le dit une affiche de campagne très expressive de l’ADDAD : « Etre aide-ménagère ne doit pas m’exclure des droits de la femme et de l’enfant ».

Des études scientifiques récemment réalisées confirment d’autres réalités ahurissantes. Ainsi, presque chaque famille de Bamako emploie au moins une aide-ménagère. Selon une étude de l’ONG Groupe de Recherche Action Droit de l’Enfant Mali (GRADEM) datant de 2014, 30 % des travailleurs domestiques ont moins de 15 ans et 87 % d’entre elles se réveillent avant 6 heures pour commencer le travail. La même étude indique que 59 % des domestiques sont agressées verbalement, tandis que 38 % le sont physiquement.

Sur le terrain de la défense des filles migrantes, il existe en réalité beaucoup d’acteurs dont la pionnière au plan national est l’association d’Appui à la Promotion des Aides Familiales-APAFE Muso (Dignité de la Femme) née officiellement en 1991. Pour l’APAFE, l’usage de l’expression « bonne à tout faire » n’est pas fortuit. Il indique clairement que ces filles sont méprisées, exploitées et qu’une fois les corvées ménagères effectuées, elles peuvent aussi servir à assouvir les besoins et envies de leurs patrons. Beaucoup sont victimes d’une surcharge de travail, elles sont souvent méprisées, frappées et insultées quand elles ne sont pas abusées sexuellement.

C’est pourquoi son combat intègre plusieurs dimensions, notamment :

 redonner aux jeunes filles migrantes le sens de la dignité, à commencer par lutter contre toutes les dénominations qui leur sont habituellement attribuées ;
 négocier un meilleur salaire et réduire les pratiques abusives ;
 offrir une formation de cuisine et de nettoyage afin de les rendre plus employables ;
humaniser le cadre de travail des aides familiales ;
 former les jeunes migrantes aux techniques et aux modes de vie citadins en leur apprenant à utiliser le gaz au lieu du charbon, des casseroles au lieu des calebasses, les réfrigérateurs, ou encore la climatisation, etc. ;
 alerter les autorités locales en cas d’abus et de violence.

La solution aux problèmes des aide-ménagères passe par une prise de conscience nationale et le développement d’un environnement protecteur qui promeut et garantit les droits fondamentaux de la petite fille. Pour y parvenir, il suffit d’appliquer les instruments internationaux déjà ratifiés par le Mali, notamment la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant (CDE) et la Charte africaine sur les droits et le bien-être de l’enfant (CADBE). La Journée internationale de la fille est célébrée chaque année depuis le 11 octobre depuis 2012 et reste une autre opportunité de plaidoyer. En attendant, le calvaire des aide-ménagères reste effectivement à plusieurs visages.

Enquête réalisée par Mariam ALDIOU, avec l’appui de la Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest (CENOZO)
https://cenozo.org/