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Le venin des mots qui tue le vivre ensemble malien

D 4 août 2014     H 05:34     A Françoise Wasservogel     C 0 messages


Quand un pays est touché par une crise, qu’elle soit politique, sécuritaire ou économique, il est courant qu’une communauté soit stigmatisée. Le Mali n’échappe pas à ce phénomène. Et pourtant, les Maliens sont fiers de leur pluralité culturelle et de leurs alliances matrimoniales interculturelles. Ils sont fiers du Sanankouya, ce cousinage à plaisanterie qui déroute le non initié, mais qui permet de dépasser les querelles au quotidien.

Depuis les événements de 2012, les rebelles armés du Mnla font sienne l’image de l’homme bleu du désert et, à ce titre, revendiquent le droit à l’auto-détermination en tant que peuple, alors que personne ne les a jamais mandatés. Souvent, ceux qui s’expriment qualifient de touareg les actes criminels perpétrés par ce groupe armé. Que ce soit les politiques, les médias, les simples citoyens, tant à l’échelle nationale qu’internationale, en faisant cet amalgame, ils mettent en danger le vivre ensemble malien ancestral.

En février 2013, des Touaregs maliens prenaient la parole. Dans la pétition rédigée sous forme de lettre, intitulée : « Nous, Touaregs maliens », ils tenaient à se « démarquer clairement du Mnla qui agit et revendique, injustement et sans aucun mandat, au nom de tous les Touaregs du Mali et ce, depuis sa création ». Ils assuraient « qu’il est de notre devoir de nous dissocier officiellement et publiquement d’un mouvement armé qui a utilisé et utilise encore des moyens violents pour s’exprimer en notre nom, en celui de notre peuple, sans jamais avoir consulté au préalable ses populations, ses leaders traditionnels, ses responsables politiques et religieux, faisant ainsi fi de toutes les valeurs morales, traditionnelles, coutumières et ancestrales de la société Touareg ».

En avril 2013, la Plate-forme des cadres et leaders des Kel Tamasheq (Touaregs), lors de son lancement, a rejeté, avec force, les clichés forts malheureusement médiatisés de « rébellion des Touaregs du Mali contre leur pays et de conflits intercommunautaires au Mali ». La Plate-forme s’est démarquée « sans ambiguïté de la violence », a exigé « le démantèlement de toutes les milices et la neutralisation de tous les groupes armés » et réaffirmé « clairement son attachement à la République et à l’Etat de droit ».

Le 8 juin dernier, l’ex-Premier ministre, Ahmed Mohamed Ag Amani, président d’honneur de la Plate-forme des Kel Tamasheq, a, selon un article du journal 22 septembre, « recommandé aux médias d’être prudents dans le traitement des articles, car les médias sont considérés comme les facteurs de la création de la cohésion sociale, mais peuvent aussi être un facteur de division », concluant qu’il « faut donc une véritable presse citoyenne dans la résolution de cette crise ». En effet, choisir l’adjectif touareg pour qualifier les actes commis par un ou des membres du groupuscule armé, jette le discrédit sur toute la communauté et attise la haine interculturelle au sein de la société malienne.

Le dernier exemple en date est le vocabulaire utilisé dans les premiers communiqués concernant l’évasion de la prison centrale de Bamako. Sur la liste des quinze prisonniers évadés, apparaît le nom de celui qui avait été arrêté suite à l’enlèvement de deux Occidentaux en décembre 2011. Tout Malien reconnaît immédiatement l’origine culturelle d’un patronyme, à quoi bon préciser qu’il est Touareg ? Ce fuyard est à rechercher, non pas pour ce qu’il est, mais pour les actes criminels dont il est accusé. Pourquoi tomber dans la facilité de l’amalgame qui est, depuis des mois, l’arme de communication favorite que le groupe armé lui-même utilise avec dextérité devant tous les micros qui lui sont tendus ? Pourquoi se comporter comme les porte-paroles du Mnla qui exploitent à la perfection cette confusion quand ils sont invités à l’extérieur par des associations indépendantistes non maliennes ? Leurs revendications y sont toujours présentées comme étant celles de « tout leur peuple et de tous les peuples » vivant au Nord du Mali.

Cela fut encore le cas, lors des rencontres de l’ODTE, Organisation de la Diaspora Touareg en Europe, à 90km au Nord de Paris, du 29 mai au 1er juin 2014. Dans sa déclaration d’intention du 25 janvier 2014, l’ODTE avait rappelé « sa détermination à se structurer pour contribuer à une meilleure intégration de ses membres dans leurs pays d’accueil et à participer à l’essor global du peuple touareg ». Sous une tente plantée dans le parc du château où cet événement avait lieu, tous ceux qui étaient venus, pouvaient s’exprimer, qu’ils soient originaires de Libye, du Niger, du Mali ou d’ailleurs, et quel que soit leur pays de résidence actuelle. C’est encore une fois, Moussa Ag Assarid, en bazin bleu et turban blanc, qui s’y est exprimé. Il a raconté, heure par heure, le déroulement des derniers événements à Kidal, tels que vécus par le Mnla, auprès duquel il se trouvait, précisant, entre autres, qu’il était au Gouvernorat le 20 mai.

Le même week-end, le 31 mai, à Paris, Tamazgha, association « berbère d’Afrique du Nord », appelait à un rassemblement « en soutien à l’Azawad ». Sur des banderoles tendues entre les arbres, les rares passants pouvaient lire leurs slogans : « Stop à l’ethnocide des Touaregs » et « Pour la libération de l’Azawad ». Un membre de cette association expliquait l’objectif de ce rassemblement, ne faisant aucune distinction entre le Mnla et les Touaregs. Cet amalgame fait entre la communauté Kel Tamasheq et le mouvement armé, est redoutable, destructeur, et nourrit le jeu de ceux qui œuvrent contre la paix au Mali. Il doit être évité au quotidien, car la parole est le venin sournois qui fragilise l’esprit d’un peuple déstabilisé par une crise qui perdure. S’il est difficile d’agir contre ceux qui, à l’extérieur, en abusent à des fins politiques, il est du devoir de ceux qui sont à l’intérieur d’être vigilants. Être né Malien targui n’est pas différent d’être né Malien sarakollé, sonraï ou bambara. Être assimilé à ceux qui relèvent de la cour de justice pour avoir commis des actes criminels, est insultant et douloureux.

Dans les discours politiques, les médias, les grins, ou quand on échange le soir autour du plat, il est nécessaire d’être précis et de ne jamais utiliser un mot pour un autre. Le chemin vers la réconciliation nationale passe par cette prise de conscience individuelle. La justice fera le reste.

Françoise WASSERVOGEL