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Mali : Nouvelle vague d’exécutions de civils

D 19 mars 2022     H 05:30     A Human Rights Watch     C 0 messages


L’armée et les islamistes armés devraient cesser de commettre des atrocités, et des enquêtes indépendantes devraient être ouvertes de toute urgence

L’armée malienne et des groupes islamistes armés auraient tué au moins 107 civils dans le centre et le sud-ouest du Mali depuis décembre 2021, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Les victimes, dont la plupart auraient été exécutées sommairement, incluent des commerçants, des chefs de villages, des responsables religieux et des enfants.

Le gouvernement de transition malien devrait mener des enquêtes crédibles et impartiales sur ces meurtres présumés, dont au moins 71 impliqueraient des membres des forces gouvernementales, et 36 impliqueraient des membres de groupes islamistes armés, aussi appelés djihadistes. Les deux parties devraient mettre un terme aux exactions et veiller au respect des lois de la guerre, qui s’appliquent au conflit armé au Mali.

« On constate une hausse dramatique du nombre de civils, y compris de suspects, tués par l’armée malienne et des groupes islamistes armés », a déclaré Corinne Dufka, directrice pour le Sahel à Human Rights Watch.

« Ce mépris total pour la vie humaine, qui se traduit notamment par des crimes de guerre manifestes, devrait faire l’objet d’enquêtes et les personnes impliquées devraient être punies comme il se doit. »

Les autorités devraient également faciliter la conduite d’enquêtes indépendantes par la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH) et la mission de maintien de la paix des Nations Unies au Mali.

Depuis que l’actuel conflit armé a éclaté au Mali il y a une décennie, des groupes islamistes armés, des rebelles séparatistes, des milices ethniques et des membres des forces de sécurité gouvernementales ont tué des centaines de civils. La plupart de ces meurtres ont été commis dans le centre du Mali, qui depuis 2015 constitue l’épicentre de la violence, des exactions et des déplacements. Les groupes islamistes armés ont aussi tué des centaines de membres des forces de sécurité maliennes, dont 27 militaires lors d’une attaque à Mondoro le 4 mars 2022.

Plusieurs membres des groupes islamistes armés ont été poursuivis pour des délits pénaux, mais pratiquement personne des forces gouvernementales ou progouvernementales n’a fait l’objet d’investigations, et encore moins été tenu de rendre des comptes. La violence a provoqué le déplacement de plus de 320 000 personnes.

De janvier à mars 2022, Human Rights Watch, qui suit la situation au Mali depuis 2012, s’est entretenu en personne et par téléphone avec 49 personnes qui avaient connaissance de huit incidents, dont des chefs communautaires, des commerçants, des gens du marché, du personnel médical et des diplomates étrangers. Ces incidents se sont produits entre le 3 décembre 2021 et début mars 2022 dans les villes, villages ou hameaux de Boudjiguiré, Danguèrè Wotoro, Feto, Nia Ouro, Petaka, Songho, Tonou et Wouro Gnaga, dans les régions maliennes de Ségou, Mopti et Koulikoro, ou à proximité de ces lieux.

Des habitants locaux ont affirmé que des combattants islamistes avaient tiré des coups de feu sur un bus conduisant des commerçants à un marché à Bandiagara début décembre 2021, tuant 32 civils, dont au moins six enfants. De nombreuses victimes ont été brûlées vives après que l’autobus a pris feu. « Je me suis retrouvé face à un véritable carnage… une scène imaginable », a raconté un témoin. « La plupart des morts présentaient des brûlures terribles, si bien qu’il est difficile de savoir s’ils sont morts fusillés ou à cause de l’incendie du bus. »

Les forces de sécurité maliennes ont commis des exactions lors d’opérations antiterroristes en réponse à la présence croissante de groupes islamistes armés liés en grande partie à Al-Qaïda. Autour du 2 mars, des militaires se seraient livrées à des exécutions extrajudiciaires contre au moins 35 suspects dont les corps calcinés ont été retrouvés près du hameau de Danguèrè Wotoro, dans la région de Ségou. Il s’agit là de l’allégation la plus grave impliquant des membres de l’armée gouvernementale depuis 2012.

À Tonou, des villageois ont déclaré que 14 civils de l’ethnie dogon auraient été exécutés sommairement par des militaires, apparemment en représailles de la mort par engin explosif improvisé (EEI) de deux militaires non loin de là. « Les militaires ont traîné deux octogénaires et quatre autres personnes jusque sur le lieu de l’explosion de la mine et ils les ont exécutés sur place », a indiqué un témoin.

Le 4 mars, Human Rights Watch a adressé un courrier au gouvernement malien résumant les conclusions de ce rapport. Dans sa réponse du 11 mars, le secrétaire général du ministère de la Défense et des Anciens combattants a indiqué que la gendarmerie avait ouvert des enquêtes sur les incidents à Tonou et Nia Ouro, qui étaient toujours en cours. Le ministère a qualifié les accusations d’exécutions sommaires commises à Danguèrè Wotoro de « ‘fake news’ […] dont l’objectif est de discréditer les FAMA », précisant toutefois que l’État-major des Armées avait ouvert une enquête sur l’incident le 5 mars. Le ministère a nié que l’armée soit responsable d’abus à Feto, Wouro Gnaga et Boudjiguiré, mais a indiqué être en train de recueillir plus d’informations pour déterminer qui était responsable.

Toutes les parties au conflit armé au Mali sont tenues de respecter le droit international humanitaire, notamment l’article 3 commun aux Conventions de Genève de 1949 et le droit coutumier de la guerre, qui stipulent le traitement humain des combattants capturés et des civils en détention. Les individus qui commettent des violations graves du droit de la guerre, y compris des exécutions sommaires et des actes de torture, devraient être poursuivis pour crimes de guerre. Les autorités maliennes sont également tenues de respecter le droit international des droits humains, qui garantit le respect de la procédure aux personnes soupçonnées d’avoir commis un crime. Le Mali est un État partie au Statut de Rome de la Cour pénale internationale, laquelle a ouvert une enquête sur les crimes de guerre présumés commis au Mali depuis 2012.

Le ministère de la Défense devrait mettre à pied le personnel militaire impliqué dans des exactions graves et veiller à ce que la gendarmerie prévôtale, chargée du respect de la discipline et des droits des détenus, soient présente lors de toutes les opérations militaires, a déclaré Human Rights Watch.

« Les magistrats et les procureurs militaires maliens devraient enquêter de manière impartiale sur les exactions présumées commises par toutes les parties », a précisé Corinne Dufka. « La CPI a une enquête ouverte sur le Mali et reste la juridiction de dernier ressort lorsque les autorités nationales ne peuvent ou ne veulent pas enquêter et poursuivre les crimes les plus graves. »