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Affaire du ministère de la défense nationale : Faut-il s’en remettre à la justice nigérienne ?

D 2 juillet 2020     H 07:30     A Moussa Tchangari     C 0 messages


Au Niger, l’indépendance de la justice est comme celle de l’Etat lui-même ; elle est plus nominale que réelle aussi bien aux yeux des citoyens que de ceux qui la rendent en leur nom. C’est bien connu de tous, prouvé et éprouvé depuis fort longtemps déjà ; mais, l’illusion de l’indépendance de la justice y persiste toujours, entretenue par des petites phrases prononcées, parfois sur un ton sérieux, par des personnalités politiques de haut rang, des prévenus ou des avocats célèbres : « je fais confiance en la justice de mon pays », « laissons la justice faire son travail », « seule la justice est habilitée à trancher », etc.

Ces derniers jours, les Nigériens ont entendu ces petites phrases, on ne sait plus combien de fois, dans la bouche de ceux qui sont agacés par le brouhaha suscité par le scandale des malversations du ministère de la défense. Elles dessinent à la fois une ligne de défense et une stratégie tendant à calmer la colère de ceux et celles qui découvrent aujourd’hui que la guerre contre le terrorisme n’a jamais été pour ceux qui dirigent le pays autre chose qu’un business des plus lucratifs et une opportunité historique de dérouler le tapis rouge aux armées néo-coloniales (françaises, américaines, italiennes, allemandes, etc.).

Sur les réseaux sociaux, ces petites phrases reviennent également sans cesse dans les posts de quelques rares personnes qui s’efforcent encore de prendre la défense d’un régime dont l’image est désormais par terre ; mais, elles ne résonnent plus dans nombre d’oreilles que comme un curieux chant de partisans désemparés, qui nous dit : Ohé citoyens, n’écoutez pas « le vol lourd des corbeaux sur nos plaines », « les cris sourds d’un pays qu’on enchaine », les plaintes du soldat mort pour la république, attendez que le juge donne son verdict, il vous rendra certainement quelques milliards ».

Devant l’ampleur de ce scandale, qui éclabousse fort opportunément les visages jadis jovials de ceux qui se sont enrichis de la guerre, des voix s’élèvent donc pour nous inviter à nous en remettre à la justice ; mais, une image, puis une annonce, sont venues montrer hier que cette justice en laquelle croient les partisans désemparés, est celle dont les principaux piliers sont nommés par ceux envers lesquels ils doivent être indépendants : le ministre de la justice, qui propose, le président de la république, qui décrète. C’est légal et prévu ainsi par la Constitution, mais on peut (on doit) s’interroger.

En tout cas, l’image et l’annonce d’hier, qui sont celles du président Issoufou présidant une réunion extraordinaire du conseil supérieur de la magistrature à l’issue duquel un nouveau procureur de la république a été nommé au tribunal de grande instance de Niamey, sont éloquentes à plus d’un titre ; elles expliquent suffisamment pourquoi les soutiens du régime en place, mais aussi ses principaux ténors, n’ont plus qu’une seule réponse à l’immense colère qui gronde dans le pays : « Ohé compatriotes, l’enquête est bouclée, la justice est saisie, faisons lui confiance pour sanctionner, soyons patients, le président y veille ».

Oui, la justice est saisie depuis près d’un mois déjà ; mais, d’un rapport remanié abaissant le montant volé. L’enquête de la police judiciaire est bouclée ; mais, aucune personnalité politique, ni ministres de la défense, ni ministres de finances, ni Premier ministre, n’a été entendue. Ceux-là bénéficient d’une immunité constitutionnellement garantie ; ils ne peuvent donc être entendus par des « petits policiers » pour d’éventuelles fautes commises dans l’exercice de leurs fonctions. Le président Issoufou ne veut se séparer d’eux, pour des raisons évidentes, et la justice ordinaire ne peut les atteindre ; et c’est pour ça qu’on nous invite à leur faire confiance, sachant bien que rien de significatif ne sera fait avant que les valises du chef ne soient faites.

Comme l’a dit un ami malien, nous avons le choix : croire en la justice de notre pays, comme y croient ceux qui ont un pouvoir réel sur elle, ou croire en la force du peuple, dont la mobilisation est le moteur de l’histoire. Les forces vives du Mali, pays voisin qui vit le même drame, ont choisi la lutte ; elles ont compris que elle seule, peut rendre à la justice son indépendance confisquée, et au peuple sa dignité bafouée. « Quand l’injustice pousse la justice hors de ses assises, la révolte vole à son secours », a écrit fort justement professeur Farmo Moumouni ; non sans prévenir que « tout gouvernement qui entretient l’injustice attise le feu de la révolte ».

Moussa Tchangari

Source : http://www.alternativeniger.net/