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Niger : Cinq ans pour tenir ses promesses

Mahamadou Issoufou enfin Président de la République

D 5 avril 2011     H 04:21     A H B Tcherno     C 0 messages


Les électeurs nigériens ont porté leur choix sur Mahamadou Issoufou, candidat du Parti Nigérien pour la Démocratie et le Socialisme (PNDS) pour succéder au chef de la junte militaire au pouvoir depuis le 18 février 2010. Le nouveau président a cinq ans pour concrétiser ses promesses de campagne électorale. Son mandat ne sera pas de tout repos, tant les défis à relever sont nombreux.

Plusieurs fois finaliste malheureux à la course pour la magistrature suprême, le chef historique de l’opposition Mahamadou Issoufou, candidat du PNDS a remporté haut les mains le second tour du scrutin présidentiel du 12 mars l’ayant opposé à l’ex Premier ministre Seyni Oumarou, qui défendait les couleurs du Mouvement national pour la société de développement (Mnsd- Nassara). Selon les résultats provisoires proclamés par la Commission électorale nationale indépendante (CENI), il a obtenu 1.820.639 voix (57,95 %) contre 1.321.248 bulletins favorables (42,05 %) pour son challenger. Le taux de participation à ce scrutin est de 48,17% contre 51,02% au premier tour. Cette victoire qui ne constitue point une surprise - les alliances le donnaient arithmétiquement gagnant - reste à être confirmée par le Conseil constitutionnel.

De l’avis des observateurs nationaux et internationaux, le déroulement du scrutin n’ayant connu ni irrégularités, ni incidents susceptibles d’entacher la validité des résultats proclamés par la Ceni, il est peu probable que la décision de la juridiction suprême vienne inverser le verdict des urnes. Du reste, le perdant ayant déjà accepté sa défaite avec fair-play, le vainqueur peut se tranquilliser et attendre sagement l’investiture prévue début avril.

« Je prends acte des résultats provisoires rendus par la CENI. Je présente mes sincères félicitations ainsi que mes vœux de bonne chance et de succès à son Excellence Monsieur Issoufou Mahamadou pour tout ce qu’il entreprendra de bien pour le Niger » a déclaré Seyni Oumarou lors d’une visite au domicile privé du vainqueur. A présent que les urnes ont parlé, les yeux de nos concitoyens sont déjà rivés sur Mahamadou Issoufou qui, sauf cataclysme, aura la lourde et exaltante mission de présider pendant cinq ans aux destinées du Niger.

Les défis du mandat

Le nouveau président hérite d’un pays économiquement à genoux, et en proie à d’innombrables maux qui ont pour noms : pauvreté endémique, déliquescence de l’école publique, banqueroute du système de santé, tensions intercommunautaires, insécurité, activisme d’Al Qaeda, trafics en tout genre, corruption, défi démocratique, crises alimentaires récurrentes, chômage, etc.

Autant donc de défis majeurs pour le tout nouveau président qui doit prouver qu’il est un homme d’Etat qui incarne « la renaissance », le slogan de campagne grâce par lequel il a séduit une bonne partie de l’électorat. En effet, pour le vainqueur, la vraie bataille commence après l’investiture. A partir du 6 avril prochain, il devra transformer ses promesses électorales en actions concrètes au risque de décevoir l’espoir placé en lui par ses concitoyens.

La responsabilité de Mahamadou Issoufou alias Zaki pour ses partisans est grande, car ses premiers actes seront très déterminants pour la direction vers laquelle il entend mener notre cher pays le Niger. S’ils sont positifs, ce sera le début d’un nouveau départ vers un avenir de paix et de prospérité. Dans le cas contraire, on retournera en arrière, vers une situation d’instabilité sociale et politique qui pourrait donner à nouveau un alibi à l’armée.

Avant toute chose, Mahamadou Issoufou doit d’abord se mettre au dessus de la mêlée, rassurer ses compatriotes par des actes concrets qu’il est le président de tous les nigériens et non celui des militants de la coalition qui l’a portée au palais présidentiel. Ensuite, il doit s’atteler à résoudre les équations liées à la forte demande sociale, à la soif de justice et d’équité. Il doit montrer qu’il se préoccupe franchement des souffrances des citoyens ordinaires dont la survie quotidienne est une course d’obstacles. Ce faisant, son passage à la tête de l’Etat doit être l’occasion de réhabiliter le citoyen ordinaire dans sa dignité bafouée par la misère et l’injustice. Cette réhabilitation passe par la prise d’un faisceau de mesures sociales visant à garantir à chaque ménage un minimum décent. Le bon chef est celui qui met son pouvoir au service de la vie de son peuple.

Le nouveau locataire du palais doit donner le bon exemple en matière de patriotisme et d’esprit civique en commençant par respecter les biens publics, en résistant aux délices du pouvoir personnel qui a conduit bien des chefs d’Etat sur le mauvais chemin. La réussite de son mandat passe aussi par la création de bonnes conditions de travail dans une administration publique gangrenée par la corruption, la lutte contre l’absentéisme des agents, la mise à l’écart des « brebis galeuses » qui pullulent dans certains corps comme ceux de la justice, de la douane, de la police.

Sur le plan judiciaire, plusieurs gros dossiers de détournements de deniers publics sont rangés étrangement dans les tiroirs. Au cours de la transition qui s’achève, les inspections réalisées par les services de l’Etat ont mis à jour d’innombrables crimes économiques portés à la connaissance des autorités militaires sans que leurs auteurs ne soient punis. Pendant que des petits délinquants vieillissent en prison, des bandits à cols blancs mènent une vie de pacha avec l’argent du contribuable sans être inquiétés. Cela est inacceptable dans un Etat de droit. Le changement passe d’abord par la lutte contre l’impunité, parce que celle-ci génère frustrations et révoltes, toutes choses à l’origine de l’instabilité.

Parallèlement, sitôt formé, son gouvernement doit renouer le fil du dialogue social avec les syndicats notamment des agents du secteur de la santé et des contractuels de l’enseignement dont les appels aux débrayages continuent.

Enfin, last but no least, le nouveau président doit démontrer qu’il est jaloux de l’indépendance et de la souveraineté de notre pays, en refusant le diktat des puissances étrangères. En commençant par dire niet à l’implantation d’une base militaire française qui se susurre dans les salons douillets.

Face à ce chapelet de problèmes qui appellent des solutions urgentes, le nouveau président doit jeter toutes ses forces dans la bataille pour empêcher de renouer avec les vieux démons qui ont installé le pays dans la quadrature du cercle. Zaki doit avoir le courage de secouer le cocotier et d’imposer des changements allant dans le sens de l’intérêt général.

En attendant de voir comment le président de la septième république compte s’y prendre pour concrétiser ses engagements pris devant Dieu et le peuple, permettez-nous de lui rappeler quelques unes des aspirations fortes de nos concitoyens.

Soif de changement

En élisant Mahamadou Issoufou, les Nigériens ne désirent pas tourner seulement la page de la gestion chaotique du pays par les régimes précédents. A travers leur choix, ils ont exprimé leur soif de changement, de rupture avec l’ordre ancien et les pratiques de gestion néo patrimoniale du pouvoir. Ils veulent d’une alternance à la tête de l’Exécutif qui se traduirait par une amélioration de leur vécu quotidien. En cela, le changement réclamé par les Nigériens commence d’abord par un changement d’hommes. Les électeurs attendent du successeur de Salou Djibo qu’il s’entoure d’un cabinet et d’une équipe gouvernementale dont les membres seront choisis sur la base de l’intégrité et du mérite. La coalition hétéroclite forte de 32 partis politiques, de syndicats et d’associations de la société civile qui l’a aidé à battre son rival Seyni Oumarou lui donnera-t-elle cette marge de manœuvre ? Wait and see ! Sans présager de l’espérance de vie de cette alliance extra idéologique, rien qu’à l’idée qu’elle compte en son sein des leaders politiques spécialistes en ‘‘vas et viens’’ entre camps politiques, il y a lieu de s’inquiéter de ce qui va suivre.

Le président élu a, tout au long de sa carrière d’opposant et surtout pendant la campagne électorale, prôné la rupture avec les habitudes du passé. Ceux qui ont voté pour lui attendent impatiemment qu’il traduise son discours en réalité. Comme dirait l’autre, le temps est venu de passer de la parole aux actes.

En choisissant l’homme de Illéla, ses partisans fondent l’espoir que son arrivée au pouvoir va faire oublier les désespoirs et souffrances qu’ils ont vécus pendant des décennies. En jetant le bulletin rose dans l’urne, chaque électeur rêvait d’un changement quelconque dans sa vie quotidienne. Pour que le rêve des millions de nigériens se réalise, Issoufou doit veiller à ce que les ressources de l’État et ses richesses soient gérées et exploitées de manière transparente, au profit exclusif des citoyens et des générations futures.

En se rendant aux urnes, les électeurs voulaient le départ des militaires du pouvoir. Il faut le dire à haute voix, nos compatriotes sont fatigués des intrusions cycliques de l’armée dans l’arène politique. Le nouveau président de la République doit donner l’assurance qu’il ne gouvernera pas en acceptant de consignes de quiconque. La caution populaire est une perche à saisir pour entreprendre des reformes de nature à écarter définitivement l’armée du jeu politique et à lui ôter tout alibi pour un retour au pouvoir.

On attend également du nouveau président d’autres gestes simples comme la réduction du train de vie de l’Etat qui passe par la limitation de la taille du gouvernement, la diminution des fonds politiques, l’interdiction d’achat de véhicules de luxe, la réintroduction de la scolarisation gratuite, la continuation de la gratuité des soins de santé pour certaines couches sociales etc.

Des réponses données à ces grands défis dépendront le socle des institutions républicaines de la septième république naissante et le fondement même d’un Etat de droit rabâché dans le discours officiel. Mahamadou Issoufou a donc du pain sur la planche pour accéder aux aspirations de quinze millions de ses concitoyens. L’histoire le regarde et il n’a pas droit au faux pas.

Les défis sont certes immenses, mais non insurmontables pourvu que les nouveaux maitres du pays soient sérieux et acceptent de mettre leur intelligence dans la réalisation du bonheur des nigériens. Il y va de la santé de notre démocratie malmenée par de sempiternelles querelles politiciennes.

H B Tcherno

Sources : http://www.alternativeniger.org