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Niger : Le droit de pétition dénié aux citoyens

amendements de l’avant-projet de constitution par le csrd

D 29 septembre 2010     H 01:32     A Diori Ibrahim     C 0 messages


Dans un communiqué lu jeudi 2 Septembre dernier sur les ondes de la télévision nationale, le porte-parole du Conseil Suprême pour la Restauration de la Démocratie, le colonel Goukoye Abdoul Karim a informé l’opinion des principaux amendements portés par la junte sur l’avant-projet de constitution, à lui soumis par le Conseil Consultatif National. Si certains des amendements apportés ont été applaudis, d’autres par contre, ont marqué un recul dans la construction de la démocratie.

A l’issue d’une réunion, le Conseil Suprême pour la Restauration de la Démocratie, l’équipe du général de corps d’armée Djibo Salou, suite aux propositions faites par le Conseil Consultatif National(CCN), a décidé du « rejet de la possibilité offerte au citoyen d’exercer l’initiative des lois par voie de pétition. » Selon le CSRD, « cette disposition, outre les risques de dérapage qu’elle pourrait engendrer, est en contradiction avec le titre1 qui dispose que le peuple exerce sa souveraineté à travers ses représentants élus ou par voie de référendum. » Très curieuse sentence, quand on sait que doctrine et jurisprudence, ainsi que certaines dispositions constitutionnelles, en Afrique comme en Europe, convergent en faveur de la participation citoyenne sous le vocable de « droit d’initiative populaire » ou « droit de pétition ».

En effet, si en Suisse, terre de démocratie semi-directe, le droit de pétition a acquis une valeur constitutionnelle à partir de 1920, en France le droit de pétition est plus ancien en ce qu’il figurait expressément dans l’article 115 de la constitution du 24 juin 1793 qui reconnaît aux citoyens le pouvoir d’initier le référendum législatif mais aussi celui d’enclencher la révision constitutionnelle. Cette disposition résultait de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ancêtre de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948, qui stipule que « le droit de présenter des pétitions aux dépositaires de l’autorité publique ne peut, en aucun cas, être interdit, suspendu ni limité. » Depuis cette date, le droit de pétition a toujours survécu à presque tous les régimes, dans le domaine législatif. Et à aucun moment, l’existence de cette disposition n’a souffert d’opposition par rapport au principe selon lequel le peuple exerce sa souveraineté à travers ses représentants élus ou par voie de référendum. Mieux, à partir de la réforme constitutionnelle du 28 mars 2003, le constituant français a élargi le droit de pétition, du niveau national au niveau régional, pour combler son « déficit démocratique » en la matière. Décentralisation oblige. Pourtant, ce Titre 1 calqué sur la France, existe bien là-bas et coexiste harmonieusement et légalement avec le droit de pétition. Et pour cause, ce mécanisme d’expression directe des citoyens qu’est le droit de pétition a fait l’objet d’un « avis favorable » de la part du Conseil d’Etat français, dans son avis du 10 octobre 2002.

En République du Burkina Faso, la constitution est tellement claire en cette matière, qu’elle invite à faire économie de tout commentaire. Ainsi stipule t-elle en son article 98 que « le peuple exerce l’initiative des lois par voie de pétition constituant une proposition rédigée et signée par au moins quinze mille (15.000) personnes ayant le droit de vote dans les conditions prévues par la loi. » Quant à l’alinéa 2 de la loi N° 002 du 27 janvier 1997, du même pays, il précise que « la pétition est déposée sur le bureau de l’Assemblée Nationale. » Le droit d’amendement appartient aux députés et au gouvernement quelle que soit l’origine du texte ». A l’évidence, aucun argument tiré par les cheveux ne peut justifier le caractère hautement anachronique de la décision de la junte au pouvoir à Niamey.

En tout état de cause, en vertu de quoi y aurait-il contradiction entre le fameux « Titre I » et le droit de pétition ? Même s’il y en aurait, pourquoi les restaurateurs de la démocratie estiment que c’est sur le pouvoir du mandant qu’il faille empiéter et non celui du mandataire ? Ceci d’autant plus que l’avant-projet de constitution, et l’ensemble des instruments juridiques internationaux ratifiés en la matière reconnaissent exclusivement que la souveraineté appartient au peuple et non aux gouvernants. C’est dire qu’il reste encore du temps au Conseil suprême pour la restauration de la démocratie pour se racheter en retirant purement et simplement sa décision de rejet de la possibilité d’initiative populaire et laisser les citoyens nigériens pétitionner, s’ils le jugent nécessaire, au nom de la démocratie, la véritable démocratie.

En outre, la décision portant « rejet de la saisine de la cour constitutionnelle par les organisations de défense des droits de l’homme » sous le prétexte « d’éviter un engorgement de ladite cour au point d’en affecter le fonctionnement » est également passible des mêmes critiques. Pour s’en convaincre, il suffit simplement de se rendre compte qu’au Niger, la hantise des princes au pouvoir est surtout d’accorder la possibilité aux organisations de la société civile de saisir la cour constitutionnelle pour freiner leurs dérapages.

Au Bénin par exemple, c’est aux citoyens que la constitution donne la possibilité de saisir la cour constitutionnelle pour renforcer la vigilance contre l’infiltration involontaire de l’illégalité dans l’ordre démocratique. Dans cette optique l’article 122 de ladite constitution dispose que « tout citoyen peut saisir la Cour Constitutionnelle sur la constitutionnalité des lois, soit directement, soit par la procédure de l’exception d’inconstitutionnalité invoquée dans une affaire qui le concerne devant une juridiction. Celle-ci doit surseoir jusqu’à la décision de la Cour Constitutionnelle qui doit intervenir dans un délai de trente jours. » Et, l’article 26 de la loi organique prise en cette matière indique tout simplement que « la Cour Constitutionnelle », saisie conformément à la disposition constitutionnelle susvisée « avise immédiatement le Président de la République, le Président de l’Assemblée nationale, et le cas échéant, les Présidents de la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication et du Conseil Economique et Social, lorsqu’ils sont concernés. » « Ces derniers en informent les membres de l’Assemblée et des organes en question ». Et pourtant on n’a jamais appris que la cour constitutionnelle béninoise a été victime d’un « engorgement au point d’en affecter son fonctionnement »

Pour mieux responsabiliser les citoyens et garantir un large contrôle du respect de la légalité et subséquemment de promotion de l’Etat de droit, il importe d’ouvrir le droit de saisine de la cour constitutionnelle aux citoyens individuellement pris ou, au moins, aux Organisations de la Société Civile (OSC) pour renforcer la vigilance contre la violation des droits et libertés reconnus et garantis par la constitution. Ce qui aura le mérite de donner aux citoyens le pouvoir d’accomplir le devoir de veiller au « respect de la constitution et de l’ordre juridique de la République. » Il est également nécessaire d’ouvrir constitutionnellement la possibilité aux organisations de la société civile, suivant leur domaine d’intervention, de saisir les cours et tribunaux compétents en cas de violations des droits humains.

Par contre, on peut soupçonner la légitimité de la possibilité offerte aux parlementaires de se substituer au peuple pour modifier une loi constitutionnelle, même à l’unanimité. Le pouvoir d’adoption de constitution étant exclusivement réservé au peuple souverain, il est peu compréhensible que celui qui n’a pas le ‘‘pouvoir de faire’’ puisse avoir ‘‘celui de défaire’’. Et lorsque les parlementaires seraient tentés volontairement ou involontairement de prendre des lois restrictives des libertés ou des droits constitutionnellement garantis, là apparaîtra la pertinence de conférer aux OSC et/ou citoyens la qualité de déférer des lois querellées devant la cour constitutionnelle pour contrôle de constitutionnalité. Ce qui peut non seulement offrir l’avantage de renforcer la vigilance citoyenne en matière de défense et de protection du contrat social incarné par la constitution, mais aussi de favoriser l’éclosion d’une jurisprudence constitutionnelle propre au renforcement de capacité des gouvernants et des gouvernés. Ce serait aussi un facteur de rapprochement entre les citoyens et la justice constitutionnelle qui ne sera plus réduite à ne dire le droit qu’à la demande du parlement ou de l’exécutif. De toute façon, la possibilité de saisir la cour par les OSC peut aider à réduire certains meetings fantaisistes car, lorsque la cour se prononcera sur une loi querellée, quelle que soit la nature de la décision (pour ou contre), n’importe quelle organisation est tenue d’accepter le verdict et ce, au nom de l’autorité de la chose jugée, dès lors que les arrêts de la cour constitutionnelle sont sans recours. Alors, de quoi a-t-on peur finalement ?

Quant au droit de pétitionner, loin de comporter « un risque », au demeurant inexistant, « de dérapage », peut constituer une invite à l’intelligence nationale pour se mettre très volontairement, dans une démarche participative fixée par la loi, au service de la consolidation du processus démocratique, sans négliger le capital de légitimité qui sous-tendrait les lois qui en résulteraient.

Encore une fois, il n’est toujours pas trop tard pour le général de corps d’armées et ses collaborateurs de résister aux voeux des politiciens pour restituer au peuple nigérien son droit de pétitionner et de saisir la cour constitutionnelle, celle-là même qui dit le droit au nom du peuple.

Diori Ibrahim

Source : http://www.alternativeniger.org