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Niger- Sahel : l’échec de l’impérialisme français

D 16 août 2023     H 07:00     A Parti de Gauche (France)     C 0 messages


Le mercredi 26 juillet 2023, un nouveau coup d’Etat a lieu au Niger, mettant fin au régime du président démocratiquement élu Mohamed Bazoum. Il s’agit du 3e pays du Sahel à connaitre un coup d’Etat en trois ans.

La France risque de perdre pour l’instant, un allié stratégique dans le Sahel pour deux raisons.

La première raison s’explique par le fait que le Niger, pays pauvre, est historiquement une terre propice au capitalisme français. Il abrite d’importants gisements d’uranium qui furent longtemps indispensable au nucléaire français même si la part de l’uranium nigérien n’est plus que de 15%. Orano (ex Areva), détenue à 90% par l’Etat français et spécialisée dans le cycle du combustible nucléaire, exploite depuis 50 ans, deux mines d’uranium (Somaïr, Cominak) dans le Nord du Niger dans des conditions environnementales déplorables pour les populations.

La deuxième raison nous révèle que le Niger était le dernier point de repli de l’armée française dans le Sahel, après avoir été chassé par les régimes putschistes du Mali et du Burkina Faso. Le Niger abrite actuellement sur son sol 1500 soldats français qui opèrent conjointement avec l’armée nigérienne, dont ils étaient sous le commandement.

Le Mali et le Burkina Faso quant à eux se sont tournés vers la Russie après avoir exigé le départ des soldats français de leur territoire. Au Niger, il est par contre impossible d’attribuer le coup d’Etat aux Russes même s’ils alimentent de leur propagande les réseaux sociaux et même si des drapeaux russes sont brandis dans les rues de Niamey par une bonne partie de la population, très hostile à la France, et tenant des pancartes « à bas la France ».

La motivation de ce coup est donc à rechercher du côté du rejet par le peuple nigérien d’un régime en apparence démocratique (même si les conditions de l’élection ont été partiellement contestées) mais dans les faits depuis son élection, début 2021, Mohamed Bazoum a utilisé les mêmes instruments (répression des manifestations, arrestations de militants de la société civile) que son prédécesseur, Mahamadou Issoufou, afin de donner l’impression que tout allait bien dans son pays. Pour nombre de Nigérien.nes, le coup d’État mené par le général Abdourahamane Tiani, est la promesse d’un réel changement car leur foi dans le système démocratique s’est depuis longtemps émoussée considérant que la justice est trop facile à corrompre, que les peines sont trop clémentes pour dissuader les criminels, que la lutte contre la corruption est insuffisante. Enfin, la politique de Bazoum visant à réduire le taux de natalité (actuellement de sept enfants par femme, un des plus forts au monde) ne reflète pas les préoccupations d’une vaste partie de la population nigérienne et est même considérée comme une volonté de l’Occident d’imposer son mode de vie.

A contrario, l’armée nigérienne rassure toujours la population et dispose auprès d’elle d’un capital sympathie important même si ces dernières années, face à la crise sécuritaire, l’armée n’a pas toujours su protéger les civils contre la violence des djihadistes et a parfois elle-même commis des massacres. La situation n’a rien à voir avec les cas des juntes au Burkina Faso et au Mali. Les officiers qui ont annoncé le coup d’État le 26 juillet sont des officiers généraux et supérieurs qui ont une expérience de l’État, au contraire des jeunes militaires qui ont pris le pouvoir à Ouagadougou et à Bamako.

Un échec militaire français dans le Sahel

La France, à l’aube du nouveau millénaire, occupait une place importante dans les relations internationales. Elle était classée au rang de grande puissance diplomatique et militaire, du fait de son influence en Afrique. Deux décennies plus tard, la France perd son influence dans sa « zone de confort », avec l’échec du G5 Sahel.

A l’instar des coups d’État orchestrés au Mali et au Burkina Faso, les nouvelles autorités nigériennes justifient le putsch par « la situation sécuritaire alarmante dans le Sahel ». Ce qui signifie que l’armée française n’a pas réussi à atteindre les objectifs qu’elle s’est assignée. A savoir éradiquer les groupes armés présents au Sahel. Aujourd’hui lâchée par la majorité des Etats membres du G5 Sahel, elle est de plus, accusée par les panafricanistes de soutenir le terrorisme, afin de recoloniser l’Afrique de l’Ouest, tout en endossant la responsabilité de l’état de pauvreté de ses ex-colonies.

Dans cette situation confuse, Moscou tente de s’imposer comme un rempart contre cet « impérialisme et néocolonialisme occidental ». Sur le plan communicationnel, des influenceurs pro-russes, ont largement contribué à ternir l’image de la France en Afrique, en transformant celle de la Russie en grande puissance anticoloniale et en une option géopolitique sûre pour l’indépendance de l’Afrique. Plusieurs pays africains louent déjà les services des mercenaires de la société militaire privée « Wagner » et les populations civiles sahéliennes s’en prennent violement à l’armée française. Rappelons-nous qu’en novembre 2021, à Tera, dans l’Ouest nigérien, un convoi militaire français déjà bloqué au Burkina Faso est de nouveau pris en partie par des jeunes en colère. Des coups de feu sont entendus par la suite et 2 manifestants nigériens sont tués.

Le Niger depuis son indépendance a connu plusieurs coups d’Etat. Mais celui orchestré en juillet 2023, intervient dans un contexte de nouvelle guerre froide qui engage directement la France contre une autre puissance.

Un rejet par les Nigérien.nes d’un système politique mélange de désintérêt, de prédation et de corruption

C’est donc dans un climat délétère, imbibé d’un fort sentiment antifrançais, et que le président Mohamed Bazoum choisit d’assumer son choix de coopération militaire avec la France. A la tête d’un régime fragile, ce jeune président inexpérimenté est finalement renversé par une armée qu’il ne contrôlait plus. L’on apprit ensuite que le général Tchiani, commandant de la garde présidentielle n’a pas été nommé le président Bazoum mais plutôt par son prédécesseur Mahamadou Issoufou en 2011.

Or une grande partie des Nigérien.nes sont d’abord en colère contre leur propre gouvernement. Beaucoup considèrent que depuis plus de dix ans, ceux qui sont au pouvoir se sont comportés en prédateurs, accumulant par le biais de la corruption et du clientélisme des richesses énormes et laissant la population dans une pauvreté immense. Depuis plusieurs années, une colère sourde monte notamment dans la jeunesse, très largement majoritaire dans le pays, une jeunesse peu éduquée, qui ne vote pas, contre des dirigeants qu’elle décrit comme des voleurs qui auraient vendu le pays et ses richesses à des pays étrangers, en particulier à la France.

Une présence militaire étrangère peut aussi être l’un des éléments qui renforce les islamistes. Cette présence étrangère produit des effets de dé crédibilisation des politiciens, des armées et des militaires nigériens qui apparaissent comme vendus aux intérêts étrangers. Dans cette perspective, lorsque l’on ne croit plus dans le fonctionnement de l’État tel qu’il existe, puisqu’il ne vous offre pas de travail, pas d’avenir, que les politiciens accaparent les ressources et vendent le pays à l’étranger, on se tourne vers des gens qui vous promettent qu’avec un État islamique, la vie sera plus juste.

Les militaires nigériens quant à eux ont tout intérêt à attiser la haine anti-française, ce qui permet ainsi de faire oublier qu’ils étaient eux-mêmes au cœur des systèmes de gouvernement précédent lié au PNDS [Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme, la formation du président déchu Mohamed Bazoum] et sont issus de ce système clientéliste.

Une menace l’indépendance énergétique de la France ?

Certes l’électricité produite en France est en partie africaine mais seulement 15% de l’uranium utilisé dans les centrales nucléaires françaises provient dorénavant du Niger. L’indépendance énergétique de la France fut garantie, il y a plusieurs décennies par le général de Gaulle grâce au continent africain. Ce qui permit à la France de « rayonner » en retrouvant son rang de puissance mondiale indépendante sur la scène internationale et au général de Gaulle d’assumer pleinement son « autonomie stratégique » face aux deux grands (USA-URSS), dans une « Europe des Etats ». Cette situation n’est plus et même si l’indépendance énergétique de la France n’est pas mise en cause, la perte d’autonomie est réelle et confirme le recadrage de la France comme puissance moyenne. Le risque se situe désormais du côté du développement d’un « terrorisme nucléaire », au cas ou Al-Qaïda ou l’Etat islamique s’emparent de l’uranium nigérien.

L’uranium nigérien n’a plus autant d’importance pour la France, mais il en a beaucoup pour les Nigériens, dont c’est l’une des sources de revenus cruciales. Ainsi, lorsque Orano (ex-Areva) a fermé temporairement la mine à Imouraren, expliquant attendre une remontée des prix de l’uranium pour l’exploiter, dans son propre intérêt, cela a eu des effets dramatiques sur l’économie de cette région qui s’est retrouvée précarisée. Traiter de cette façon un partenaire est indigne d’un pays comme la France.

Une conséquence du néocolonialisme à la sauce Macron

L’opération Barkhane, officiellement terminée, a laissé place à une présence militaire se comptant en milliers d’hommes encore aujourd’hui, principalement au Tchad et au Niger, dans un cadre juridique inexistant. L’arrivée massive des militaires français en provenance du Mali et du Burkina a été le détonateur du rejet de la France.

Actuellement se joue encore une lutte pour récupérer une zone d’influence essentielle pour des ressources minières telles que le bauxite, le cuivre ou encore le zinc ; rappelons que le Niger possède des ressources d’uranium importantes pour la France, qui ne veut pas les abandonner, particulièrement à l’heure des contradictions inter-impérialistes faisant rage au Sahel avec l’État russe.

A cela s’ajoute une forme d’arrogance profondément coloniale qui ressort de propos tenus par Macron en personne sur la forte fécondité – sept à huit enfants – des Nigériennes comme cause de l’impossibilité à développer ce pays.

Enfin, en dernier lieu, la politique migratoire française et européenne est catastrophique, à la fois par le positionnement du Niger comme une base de contrôle pour l’Union européenne, base qui reçoit également les migrants refoulés d’Afrique du Nord quand ils ne sont pas abandonnés dans le désert et par une politique des visas largement décriée et contestée pour sa nature discriminatoire y compris par une bonne partie des élites culturelles et intellectuelles, lesquelles auraient pu servir d’amortisseur ou de relais.

L’impuissance de la CEDEAO

Le coup d’Etat au Niger pourrait avoir des conséquences « dévastatrices » pour le monde et faire passer la région du Sahel sous « influence » de la Russie, via les mercenaires du groupe Wagner, écrit le président élu Mohamed Bazoum dans une tribune parue jeudi soir dans le Washington Post. Par conséquent, « j’appelle le gouvernement américain et l’ensemble de la communauté internationale à aider à restaurer l’ordre constitutionnel ».

L’organisme sous-régional influencé par Paris, a ordonné un blocus économique sur le Niger et lance un ultimatum d’une semaine à la junte militaire nigérienne pour un retour à l’ordre institutionnel et n’exclut pas une intervention militaire. Les chefs d’état-major de l’organisation se sont réunis à Abuja jusqu’à vendredi, deux jours avant l’expiration de l’ultimatum. Le Nigeria a coupé son approvisionnement en électricité au Niger, qui dépend énergétiquement à 70% de son voisin. L’Allemagne, la France, l’Union Européenne ont stoppé tout flux monétaire et toute exportation au Niger pour le moment. Macron a convoqué un conseil de défense exceptionnel. Biden y est allé de son refrain pour demander la libération du président légitime et sa famille, alors qu’il est le deuxième pays le plus présent au Niger avec plus de 1000 soldats sur place (la France en a 1500). La Banque mondiale a annoncé la suspension des versements « pour toutes ses opérations et jusqu’à nouvel ordre ». L’ultimatum est dorénavant dépassé sans que rien ne se soit passé. La CEDEAO joue sa crédibilité en affichant une attitude guerrière alors que tout le monde sait qu’une guerre entre le Niger et ses alliés maliens et burkinabés versus le Nigéria, le Sénégal, le Benin et la RCI serait une catastrophe humanitaire et politique.

Négocier une transition civile ou civilo-militaire pourrait prendre du temps, ce que l’organisation régionale semble refuser. Imposer un dirigeant approuvé par la Cedeao n’est certainement pas une solution : ceux qui s’opposent à un retour des civils au pouvoir, Bazoum en l’occurrence, dénoncent déjà la mainmise des élites ouest-africaines et françaises, ces élites qui ne se soucient pas de la vie des gens ordinaires, des difficultés qu’ils doivent endurer et des risques que prennent les forces armées pour lutter contre le terrorisme.

Dans une large part de la population, les positions ne se sont pas encore radicalisées. En revanche, la plupart des Nigériens sont opposés à une intervention militaire de la Cedeao. Si cela se produisait, des factions beaucoup plus radicales se formeraient, alors qu’elles s’expriment déjà de manière à peine voilée. Les structures qui maintenaient en place les institutions démocratiques étaient faillibles avant le coup d’État. Elles ne sauraient être réinstallées sans la promesse d’un changement en profondeur.


Même si, pour le Parti de Gauche, la prise du pouvoir par l’armée ne constitue en rien un renversement révolutionnaire de l’État néocolonial en faveur du peuple nigérien, il signifie l’échec absolu de l’État français, en première ligne militairement au Sahel. Le Mali et le Burkina Faso furent les précédents pays désirant s’émanciper d’une présence militaire dont le rôle est devenu de plus en plus clair pour les masses populaires du Sahel : préserver les intérêts de l’impérialisme français au Sahel, plutôt qu’en finir avec le djihad.

Il n’y a aucune séparation entre les luttes des travailleuses et travailleurs français pour leurs retraites, contre les violences policières, et la lutte des masses populaires nigériennes pour leur droit à l’auto-détermination à tous les niveaux. La question stratégique suivante se pose : les richesses du sous-sol nigérien continueront-elles d’être exploitées par les firmes monopolistes françaises ou par des monopoles d’autres impérialismes ? Le peuple du Niger peut faire sa propre expérience, mais il s’apercevra vite qu’en remplaçant un impérialisme par un autre, aucun problème ne sera résolu. Ce qui importe est la lutte du peuple nigérien pour sa souveraineté et pour le socialisme.

En dépit de l’accumulation des signaux, le gouvernement français ne veut pas comprendre les critiques et refuse de discuter d’une sortie volontariste de la Françafrique. Il faut attendre que la France soit rejetée pour assister à une réaction qui semble davantage relever d’un orgueil blessé qui rentre dans le jeu de la provocation à savoir l’arrêt de l’aide au développement, comme sanction à la suite du putsch au Niger mais aussi envers le Burkina Faso.

Le Parti de Gauche exige le respect de la souveraineté nationale et populaire du Niger et condamne toute ingérence politique et toute intervention militaire extérieure.

Le Parti de Gauche réaffirme qu’une véritable politique de décolonisation doit être mise en place en lien avec les peuples africains qui manifestent leur volonté légitime de faire leur révolution selon les voies qu’ils considèrent comme leurs.

Oris Bonhoulou et Pierre Boutry

Déclaration de la commission Afrique du Parti de Gauche