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L’école essaye de guérir les divisions dans le nord du Nigeria

D 10 septembre 2014     H 05:11     A IRIN     C 0 messages


MAIDUGURI - L’enlèvement par des militants de Boko Haram de plus de 200 lycéennes d’un établissement de la ville de Chibok, située dans l’État de Borno, au nord-est du Nigeria, au mois d’avril et la campagne très médiatisée pour obtenir leur libération - restée pour l’instant sans succès - illustrent la crise de l’éducation provoquée par l’insécurité dans la région.

Depuis le mois de mars, toutes les écoles publiques sont fermées dans l’État de Borno - l’un des trois États du nord-est du pays les plus durement touchés par les violences. Le drame est que, sur les 36 États que compte le Nigeria, Borno enregistrait déjà le sixième plus faible taux d’alphabétisation chez les jeunes, quelle que soit la langue d’instruction, d’après une enquête nationale sur l’alphabétisation réalisée en 2010. À Borno, l’éducation formelle est dispensée uniquement par les quelques écoles privées qui sont encore ouvertes. [ http://nigerianstat.gov.ng/pages/download/43 ]

L’une de ces écoles offre un enseignement primaire gratuit aux orphelins et aux enfants vulnérables de Maiduguri. La Future Prowess Islamic Foundation se distingue des autres écoles par la volonté politique délibérée de Zannah Mustapha, fondateur de l’établissement, d’accueillir des enfants venant de familles des deux parties au conflit - Boko Haram et les forces de sécurité. [ https://www.facebook.com/pages/Future-Prowess-Islamic-Foundation-School/234044826662800 ]

« Nous essayons d’éviter une catastrophe », a dit M. Mustapha, un avocat qui a participé à la médiation infructueuse entre le gouvernement et Boko Haram. « Nous voulons que les ennemis deviennent amis, nous ne voulons pas qu’ils disent "Tu as tué mon père, tu as tué ma mère, je dois me venger". Non. Ils doivent apprendre ensemble. Nous offrons cette sécurité ».

L’école, qui compte sept salles de classe, propose un apprentissage mixte avec un enseignement islamique et un cursus standard approuvé par le conseil de l’éducation de l’État et dispensé en anglais. Si Boko Haram est connu pour son rejet de l’éducation « occidentale » et que certains parents (dont beaucoup de veuves) se sont opposés à ce qu’ils considéraient être des leçons « païennes », l’école les a aidés à remettre en cause leurs croyances.

« L’anglais n’est qu’une langue, bon nombre de Britanniques sont aussi musulmans », a dit M. Mustapha. « Et les mathématiques, qu’est-ce que cela a d’occidental ? Elles ont été inventées par les Arabes ».

Le conflit qui sévit depuis cinq ans a entraîné une dégradation des indicateurs sociaux historiquement mauvais du Nord-Est. Plus de 42 pour cent des enfants présentent un retard de croissance lié à la malnutrition (contre seulement 16 pour cent des enfants du Sud-Est), d’après l’Enquête démographique et de santé réalisée en 2013 par le gouvernement. Le bouleversement profond de l’économie locale provoqué par les violences a aggravé la situation, en entraînant une hausse des prix et une contraction du marché de l’emploi. [ http://dhsprogram.com/pubs/pdf/PR41/PR41.pdf ]

La réponse de l’école a été de proposer un programme de petit-déjeuner à ses 420 élèves. « C’est du riz et des haricots ou du moi-moi [un gâteau à base de haricots], quelque chose qui cale l’estomac un bon moment », a dit Suleiman Aliyu, directeur de l’école. « Un enfant ne peut pas apprendre correctement s’il a l’estomac vide ».

Ce programme est financé par des bienfaiteurs locaux, « et avec la mise en ouvre du programme, beaucoup de parents inscrivent leurs enfants - pas pour l’enseignement, seulement pour le petit-déjeuner ».

Une communauté traumatisée

Cette communauté est traumatisée par les violences - les fusillades, les attentats à la bombe et les enlèvements perpétrés par Boko Haram ; les passages à tabac en représailles, les arrestations et les exécutions extra-judiciaires par les forces de sécurité. « Nous servons d’enseignants et de parents à ces enfants orphelins », a dit Hassan Sharif al-Hassan, qui enseigne l’islam.

« Bon nombre d’entre eux n’ont pas de tuteur à la maison. Quand ils viennent à l’école, nous leur apprenons des choses qui peuvent leur être utiles dans la vie en termes de respect, en termes de comportement. Mais ils n’ont pas une enfance normale. Parfois, vous demandez à un élève pourquoi il ne parle pas et l’enfant se met à pleurer. Nous comprenons qu’ils aient des problèmes psychologiques ».

Abubaker Tijjani, 14 ans, veut devenir comptable. Mais aujourd’hui, il voudrait juste que son père, qui est mort il y a un an, revienne. « Ça me rend triste, il me manque », a-t-il dit à IRIN. « La vie ne me convient pas ».

Un hôpital local propose des séances mensuelles de soutien psychologique aux membres d’une association de veuves créée par l’école. « Les gens ne se rendaient pas compte que leurs symptômes de stress, leur hypertension artérielle, leurs insomnies étaient liés à des problèmes psychologiques », a dit M. Aliyu. « Nous avons noté des changements positifs ».

Le fonds de microcrédit renouvelable de l’association essaye également de fournir une aide financière en réalisant de petits investissements. Les enfants des familles vulnérables vont dans la rue après l’école pour vendre des cacahouètes, des bonbons et de l’eau.

La communauté soutient l’école et des membres importants de cette communauté parrainent certains élèves. D’après le directeur de l’établissement, M. Mustapha a investi une grande partie de son argent pour que l’école reste ouverte, notamment avec la construction d’une ferme piscicole qui offre une certaine indépendance financière et permet de payer les salaires des enseignants ainsi que de fournir des uniformes et des livres gratuitement aux élèves.

Outre les aides fournies par l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) - qui s’est récemment engagée à fournir des bureaux - et par l’ambassade de Suisse - qui rémunère le conseiller venant en aide aux personnes traumatisées - la communauté ne reçoit pas d’aide extérieure.

« Les partenaires internationaux viennent rarement ici à cause de l’insécurité », a dit M. Mustapha. « Les individus seuls ne peuvent pas nous donner ce dont nous avons besoin. Nous avons besoin que des institutions comme les Nations Unies et l’UNICEF nous viennent en aide ».