Nigeria : Boko Haram résiste à la répression
26 février 2014 16:22 0 messages
ABUJA - En mai 2013, les forces nigérianes ont lancé des mesures de répression dans l’espoir de neutraliser Boko Haram. Elles ont fait des descentes dans des villages, rassemblé des centaines de jeunes et mitraillé les cachettes présumées des membres de la milice, qui a dû reculer mais continue de tourmenter les civils et d’attaquer les forces de sécurité.
Lors de la dernière attaque, le 15 février, une centaine de personnes ont été tuées dans le nord-est de l’État de Borno par des hommes armés soupçonnés d’appartenir à Boko Haram. [ http://news.yahoo.com/nigeria-gunmen-39-kill-dozens-39-150548066.html;_ylt=AwrBEiTXJwNTCRkABgvQtDMD ]
Dans le cadre de sa campagne de répression, l’armée a par ailleurs été accusée par des groupes de défense des droits de l’homme de mener des arrestations et des exécutions arbitraires et d’être responsables de disparitions et d’autres formes de brutalité. [ https://www.amnesty.org/fr/node/43664 ]
L’état d’urgence a été décrété dans les États de Borno, Yobe et Adamawa, dans le nord-est du pays. Au cours de l’opération militaire, des descentes ont eu lieu dans des marchés, des maisons et des salles de prière. Des hommes et parfois des enfants ont été arrêtés, empilés les uns sur les autres dans des camions et immédiatement placés en détention, où ils ont été maintenus pendant longtemps sans procès. [ http://www.irinnews.org/report/99130/detainee-abuses-monumental-in-northern-nigeria ]
« Beaucoup n’ont jamais été revus », a dit à IRIN Mausi Segun, chercheuse pour Human Rights Watch’s (HRW) au Nigeria.
Les civils se sentent pris au piège entre les attaques de Boko Haram et les opérations militaires. Des groupes d’autodéfense se sont créés pour lutter contre les insurgés et coopérer avec les forces de sécurité. [ http://www.irinnews.org/report/98294/nigeria-school-attacks-spur-vigilante-groups ]
Des causes profondes qui restent à résoudre
Déployer des soldats sans mettre en place une stratégie plus large visant à résoudre les causes de la rébellion ne fera que la perpétuer, ont dit des analystes.
« La force brutale et la répression militaire contre les insurgés ne fonctionneront pas », a dit Michael Olufemi Sodipo, fondateur du Peace Initiative Network, basé à Kano. « La clé sont les opérations fondées sur le renseignement. La quête d’une solution durable à la crise doit commencer par la compréhension des causes sous-jacentes et des motivations idéologiques qui poussent les jeunes à participer à [cette] campagne radicale et violente. »
« Des interventions violentes peuvent étouffer temporairement la révolte, mais elles ont plus de chances de simplement engendrer des variantes du groupe », a expliqué M. Sodipo.
Le mouvement s’est retrouvé sur le devant de la scène au début des années 2000 en défendant l’application du droit islamique dans le nord du Nigeria. Le groupe était également motivé par le mécontentement relatif au sentiment de marginalisation du Nord, à la corruption régnant au sein de la classe dirigeante et à l’idéologie selon laquelle le mode de vie occidental est contraire à la religion.
À mesure que l’influence de Boko Haram s’est développée et que ses rangs ont grossi, le mouvement est devenu une menace pour la sécurité locale. Selon certains observateurs, la répression policière aurait été déclenchée par une dispute politique entre le fondateur du mouvement, Mohammed Yusuf, et les autorités locales.
Depuis l’exécution de M. Yusuf par les forces de sécurité en 2009, Boko Haram est devenu plus violent. Le groupe est soupçonné d’entretenir des liens avec des mouvements inspirés d’Al-Qaida tels qu’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) et ses attaques sont de plus en plus sophistiquées. Les combattants n’utilisent plus seulement des machettes, des gourdins et des pistolets, mais également des bombes.
En septembre 2013, le mouvement a mené l’attaque la plus violente depuis des années, faisant 140 morts en une seule embuscade dans l’État de Borno. Des dizaines d’hommes armés ont bloqué un axe routier et massacré des civils. Le groupe a également revendiqué l’enlèvement d’étrangers au Cameroun voisin. [ http://www.hrw.org/news/2013/11/29/nigeria-boko-haram-abducts-women-recruits-children ]
En 2009, une forte répression policière a entraîné une brève accalmie jusqu’en décembre 2010, lorsque le chef actuel de Boko Haram, Abubakar Shekau, est revenu et a déclenché une série d’attaques.
Les attentats du groupe contre des postes de police, des bases militaires et d’autres installations gouvernementales sont souvent considérés comme une vengeance de la mort de M. Yusuf. Mais le mouvement - terme qui a été remis en question en raison de doutes concernant la cohésion au sein de Boko Haram - sert aussi désormais à couvrir des activités criminelles.
Tentatives de paix
Les tentatives visant à mettre fin à l’insurrection de manière pacifique se sont soldées par un échec.
Après un an de négociations informelles, le président Goodluck Jonathan a dit fin 2012 que les pourparlers étaient au point mort. « [Boko Haram] n’a pas de visage et nous n’avons donc personnes avec qui discuter », a-t-il dit.
À la suite des pourparlers de 2011 avec l’ancien président Olusegun Obasanjo, Boko Haram avait demandé comme condition à un cessez-le-feu la fin des arrestations et des exécutions de ses membres, le paiement d’indemnisations aux familles des membres de la secte tués par les forces de sécurité et la poursuite en justice des policiers responsable de la mort de M. Yusuf. Ces demandes n’ont jamais été satisfaites. [ http://www.irinnews.org/fr/report/97540/au-nigeria-la-tr%C3%AAve-reste-incertaine ]
« Le gouvernement a beau lutter, le dialogue est toujours extrêmement nécessaire. Aucune paix ne peut s’installer sans [parler à M. Shekau], mais j’ai essayé à deux reprises et ce ne sont pas les membres de Boko Haram qui m’ont déçu », a dit Shehu Sani, directeur du Civil Rights Congress, un groupe nigérian de défense des droits de l’homme. M. Sani et M. Obasanjo ont tous deux tenté d’amorcer des pourparlers entre le gouvernement et Boko Haram.
« Le gouvernement a déclaré haut et fort vouloir entamer un dialogue, mais comment peut-on dialoguer lorsque l’état d’urgence assure que les insurgés qui y contreviennent seront arrêtés ou tués ? Le gouvernement qui parle de dialogue a également déclaré le mouvement hors la loi et qualifié de crime toute communication avec ses membres. Comment dialoguer avec un groupe dont la tête du chef a été mise à prix ? » a dit M. Sani.
Extrémisme
L’islam radical a des racines historiques profondes dans le nord du Nigeria et la violence n’y est pas nouvelle. La manipulation politique de la division nord-sud depuis l’époque coloniale, les différends ethniques et religieux et la corruption endémique ont alimenté la violence extrémiste dans le Nord à prédominance musulmane. Dans le Sud, le Nigeria a été obligé de signer un accord d’amnistie avec les rebelles dans la région pétrolifère du delta du Niger.
Pour répondre à la violence extrémiste, il est nécessaire de renforcer la gouvernance, de lutter contre la corruption et de répondre aux doléances socio-économiques de la population, ont dit des analystes.
« L’idée que le Nigeria, qui ne répond pas aux besoins de sa population sous bien des aspects et qui compte de trop nombreux pillards à sa tête, puisse accomplir tout cela est presque fantaisiste. Le scénario le plus probable est celui d’une poursuite de la détérioration de la situation sur tous les fronts et d’une réponse désastreuse à l’insurrection privilégiant l’intervention militaire qui ne fait qu’inciter de plus en plus de jeunes hommes à prendre un fusil ou fabriquer une bombe », a commenté Andrew Stroehlein en 2012, lorsqu’il était directeur des communications du groupe de réflexion International Crisis Group. [ http://www.crisisgroup.org/en/regions/africa/west-africa/nigeria/op-eds/stroehlein-nigeria-on-the-trail-of-boko-haram.aspx?ReturnID={EB9BC2B3-E575-4B9A-BA24-6C745312BF61} ]
« Lutter contre l’extrémisme violent nécessite tout un éventail d’initiatives, incluant l’appréhension des leaders extrémistes, des investissements dans le développement durable des communautés marginalisées, la promotion des valeurs d’intégration pour limiter la propagation de l’idéologie extrémiste et la réinsertion des anciens combattants radicalisés », a dit M. Sodipo à IRIN.
Depuis la recrudescence de la violence en 2009, des milliers de Nigérians du Nord ont été contraints de fuir et certains ont dû se réfugier dans les pays voisins. Les services essentiels comme les soins de santé et l’éducation ont été interrompus.
À l’approche des élections de 2015, Mme Segun, de HRW, a averti que les groupes d’autodéfense qui ont émergé en réponse à l’insurrection pourraient renforcer l’insécurité s’ils ne sont pas maîtrisés. « Ils représentent une armée prête à intervenir et si le groupe d’activistes [Boko Haram] voit qu’ils coopèrent avec les hommes politiques, cela ne fera qu’aggraver la situation pour eux et pour le reste des habitants. »
Source : http://www.irinnews.org/
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