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Nigeria : L’armée détient des enfants suspectés de liens avec Boko Haram

D 19 septembre 2019     H 05:50     A Human Rights Watch     C 0 messages


Des milliers d’enfants sont détenus à long terme dans des conditions déplorables

L’armée nigériane détient des milliers d’enfants dans des conditions inhumaines et dégradantes en raison de leur appartenance présumée au groupe armé islamiste Boko Haram, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui. Ils sont nombreux à être emprisonnés sans inculpation pendant des mois ou des années, dans des baraquements sordides et très surpeuplés, sans aucun contact avec le monde extérieur.

Le rapport de 50 pages, intitulé « ‘They Didn’t Know if I Was Alive or Dead’ : Military Detention of Children for Suspected Boko Haram Involvement in Northeast Nigeria » (« ‘Ils ne savaient pas si j’étais mort ou vivant’ : Détention militaire d’enfants suspectés d’être membres de Boko Haram dans le nord-est du Nigeria »), analyse la façon dont les autorités nigérianes placent des enfants en détention, avec souvent peu ou pas de preuves. Les enfants ont décrit les coups violents, la chaleur omniprésente, la faim récurrente et l’entassement dans les cellules avec des centaines d’autres détenus, « comme des lames de rasoir dans leur paquet », selon les mots d’un ancien détenu.

« Des enfants sont emprisonnés depuis des années dans des conditions effroyables, avec peu ou pas de preuves de leur appartenance à Boko Haram et sans même avoir été présentés devant un juge », a déclaré Jo Becker, directrice du plaidoyer auprès de la division Droits des enfants de Human Rights Watch. « Beaucoup d’entre eux ont déjà survécu à des attaques de Boko Haram. Le traitement cruel que leur réservent les autorités ajoute à leur souffrance et ils se voient infliger en quelque sorte une double peine. »

Le gouvernement nigérian devrait signer et mettre en œuvre un protocole de transfert afin de garantir que les enfants arrêtés par l’armée soient rapidement transférés aux autorités de protection de l’enfance, en vue de leur réhabilitation et de leur réinsertion familiale et communautaire. D’autres pays de la région, comme le Tchad, le Mali et le Niger, ont déjà signé de tels protocoles.

D’après l’ONU, entre janvier 2013 et mars 2019, les forces armées nigérianes ont placé en détention plus de 3 600 enfants, dont 1617 filles, suspects d’être membres de groupes armés non étatiques. Beaucoup sont détenus à la caserne militaire de Giwa à Maiduguri, le principal lieu de détention militaire de l’État de Borno.

En juin 2019, Human Rights Watch a rencontré à Maiduguri 32 enfants et jeunes adultes qui avaient été détenus à la caserne de Giwa alors qu’ils étaient enfants, pour leur appartenance présumée à Boko Haram. Tous ces enfants ont témoigné qu’ils n’avaient jamais été présentés à un juge, n’avaient pas mis le pied au tribunal. Un seul d’entre eux avait vu quelqu’un qui, selon lui, était peut-être un avocat. Aucun d’entre eux n’était au courant d’éventuels chefs d’inculpation contre eux. L’un avait été détenu alors qu’il n’avait que cinq ans.

Les autorités nigérianes ont arrêté ces enfants lors d’opérations militaires, de rafles sécuritaires ou de procédures de tri des personnes déplacées internes, sur la base de renseignements fournis par des informateurs. De nombreux enfants ont expliqué qu’ils avaient été arrêtés après avoir fui les attaques de Boko Haram contre leur village ou au moment où ils cherchaient refuge dans un camp pour déplacés internes. L’un d’eux a rapporté qu’il avait été arrêté, puis détenu pendant plus de deux ans, pour avoir supposément vendu des patates douces à des membres de Boko Haram. Par ailleurs plusieurs filles avaient été enlevées par Boko Haram ou forcées à devenir l’« épouse » d’un de ses membres.

Environ un enfant interrogé sur trois a témoigné que les forces de sécurité l’avaient frappé lors de l’interrogatoire suivant son arrestation ou à la caserne de Giwa. Une fille qui avait été forcée à épouser un membre de Boko Haram a ainsi raconté que lorsque les soldats l’avaient capturée, « ils nous battaient avec leurs ceintures, en nous insultant et en nous jurant que nous aurions affaire à eux parce que nous étions des épouses de Boko Haram ». D’autres ont déclaré qu’ils étaient frappés s’ils niaient tout lien avec Boko Haram.

Les enfants ont décrit qu’ils partageaient une seule cellule, d’environ 10 mètres sur 10, avec plus de 250 détenus. Selon eux, la puanteur de l’unique latrine de la pièce était souvent suffocante et les détenus s’évanouissaient parfois du fait de la chaleur. À Maiduguri, la température maximale moyenne annuelle est de 35 degrés Celsius et il peut facilement faire plus de 40 degrés.

Près de la moitié des enfants ont témoigné qu’ils avaient vu des cadavres d’autres détenus à la caserne de Giwa. Beaucoup ont confié qu’ils souffraient souvent de la soif ou de la faim.

Quinze avaient été détenus pendant plus d’un an et certains pendant plus de trois ans. Aucun n’avait été autorisé à contacter des membres de leur famille, et les autorités n’avaient contacté aucune famille de leur côté. Ces cas peuvent donc relever de la disparition forcée, une grave violation des droits humains.

Les enfants ont expliqué que Giwa possédait une cellule pour les garçons de moins de 18 ans, où on trouvait même des enfants de 7 ans ou moins. L’armée place également des enfants en détention dans des cellules d’adultes, où d’après les enfants il y avait encore moins à manger et à boire et où la surpopulation était encore plus forte. Les très jeunes enfants et les bébés restaient avec les mères et les filles les plus âgées, dans une cellule à part. Trois filles ont témoigné qu’elles avaient vu des soldats faire des avances sexuelles à des détenues, ou faire sortir des filles de la cellule pendant de longues périodes, à des fins d’exploitation sexuelle, pensent-elles.

L’armée ne prévoit à Giwa aucune éducation formelle et aucune activité de réinsertion pour les enfants. Les enfants ont raconté que leurs seules activités étaient la prière, la télévision et des cours informels que certains enfants donnaient à d’autres. La surpopulation rendait toute activité physique impossible et certains enfants ont témoigné qu’ils avaient des escarres à force de rester sans bouger.

Depuis janvier 2013, les autorités nigérianes ont libéré au moins 2 200 enfants, presque tous sans aucune inculpation. D’après l’ONU, 418 enfants ont été placés en détention en 2018, soit une nette diminution par rapport à 2017, où plus de 1 900 avaient été placés en détention.

Suite à leur libération, certains enfants ont déclaré qu’ils étaient socialement stigmatisés comme membres de Boko Haram, même s’ils n’avaient aucun lien avec ce groupe. Presque tous ont confié qu’ils auraient aimé aller à l’école, mais beaucoup expliquaient que les écoles existantes étaient trop éloignées ou qu’ils n’avaient pas de quoi payer le transport.

Les autorités nigérianes devraient immédiatement libérer les enfants actuellement placés en détention militaire. Si les services de l’armée ou des renseignements ont des preuves crédibles de délits pénaux commis par des enfants, elles devraient les transférer auprès des autorités judiciaires civiles pour qu’ils soient traités conformément aux normes nationales et internationales de la justice pour mineurs.

« Les rebelles de Boko Haram représentent un redoutable défi pour le Nigeria, mais placer des milliers d’enfants en détention n’est pas la solution », a déclaré Jo Becker. « Les enfants affectés par le conflit ont besoin d’être réinsérés et scolarisés, pas d’être emprisonnés. »

Pour consulter le rapport « ‘They Didn’t Know if I Was Alive or Dead’ : Military Detention of Children for Suspected Boko Haram Involvement in Northeast Nigeria » (« ‘Ils ne savaient pas si j’étais mort ou vivant’ : Détention militaire d’enfants suspectés d’être membres de Boko Haram dans le nord-est du Nigeria »), veuillez suivre le lien :
https://www.hrw.org/node/333438

Pour lire un entretien avec Jo Becker (en anglais) sur la détention par les autorités militaires d’enfants suspectés de liens avec Boko Haram, dans des conditions déplorables, veuillez suivre le lien :
https://www.hrw.org/news/2019/09/10/interview-children-languishing-nigerias-military-prison