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Nigeria. L’inaction face au viol enhardit les agresseurs et réduit les victimes au silence

D 4 décembre 2021     H 04:30     A Amnesty International     C 0 messages


Les cas de viol, qui ont atteint un niveau endémique, sont sous-déclarés en raison de la réprobation sociale et de la culpabilisation des victimes
Les manquements de la police à son devoir d’enquêter sur les violences sexuelles privent les victimes de justice
11 200 cas de viol ont été signalés l’an dernier ; plusieurs fillettes ont notamment été violées à mort

Bien que les autorités nigérianes aient décrété l’« état d’urgence » en relation avec les violences sexuelles et liées au genre, le viol persiste à un niveau de crise, puisque la plupart des victimes sont privées de justice, les violeurs échappent aux poursuites, et des centaines de cas ne sont pas signalés en raison d’une corruption généralisée, de la stigmatisation et du rejet de la faute sur les victimes, écrit Amnesty International dans un rapport diffusé mercredi 17 novembre.

Ce rapport, intitulé Nigeria : A Harrowing Journey ; Access to Justice for Women and Girls Survivors of Rape, couvre des cas déchirants de violence sexuelle contre des femmes et des filles, dont une fillette de six ans et une autre de 11 ans agressées si sauvagement qu’elles en sont mortes. Le rapport révèle comment des stéréotypes culturels néfastes, les manquements des responsables de l’application des lois à leur devoir d’enquêter sur les cas de viol, une misogynie toxique et un soutien insuffisant aux victimes ont créé une culture du silence et de l’impunité, dans laquelle des centaines de femmes et de filles continuent à se retrouver livrées à elles-mêmes chaque année.

« Aucune action concrète n’a été adoptée pour lutter contre la crise du viol au Nigeria avec le sérieux que la situation mérite. Des femmes et des filles continuent à être négligées par un système dans lequel il est de plus en plus difficile pour les victimes d’obtenir justice, tandis qu’il est permis aux auteurs de violations flagrantes des droits humains d’échapper aux sanctions », a déclaré Osai Ojigho, directrice d’Amnesty International Nigeria.

« La peur de ne pas être crues ou même de se voir reprocher le fait d’avoir été violées, crée une culture du silence dangereuse qui empêche les victimes de demander justice. Il est inacceptable que les victimes de viol et d’autres formes de violences liées au genre doivent traverser de telles épreuves pour obtenir justice, ce qui ne fait qu’aggraver leurs souffrances. Il s’avère que l’"état d’urgence" n’était qu’une déclaration creuse, qui n’a pour l’instant permis aucune amélioration de la protection des femmes et des filles au Nigeria. »

Le rapport s’appuie sur des recherches effectuées entre mars 2020 et août 2021, notamment des entretiens réalisés avec 14 femmes et filles victimes de viol, âgées de 12 à 42 ans. Amnesty International a également recueilli les propos de sept parents de victimes mineures. Les entretiens ont été menés dans plusieurs États du pays : Abuja, Lagos, Kano, Sokoto et Bauchi.

Pandémie de viol

Le viol continue à être l’une des formes de violations des droits humains les plus fréquentes au Nigeria.

Après que des mesures de confinement ont été imposées afin de prévenir la propagation du Covid-19 en 2020, le nombre de cas de viol a fortement augmenté. En juin 2020, la police nigériane a déclaré avoir enregistré 717 viols entre janvier et mai 2020. En avril 2020, Pauline Tallen, la ministre nigériane des Affaires féminines, a déclaré qu’au moins 3 600 cas de viol avaient été enregistrés durant le confinement, tandis que la Commission nationale des droits humains a reçu 11 200 signalements de viol pour l’année 2020.

Face à l’explosion du nombre de signalements à travers le Nigeria, les gouverneurs, au niveau des États, ont décrété un « état d’urgence » sur le viol et les violences liées au genre en juin 2020. Ils ont également promis d’établir un registre des délinquants sexuels. Or, plus d’un an depuis cette annonce, rien n’a changé, et les signalements de viol ont continué à augmenter.

Vera Uwaila Omosuwa, une étudiante en microbiologie de 22 ans, a été violée et sauvagement agressée en 2020 dans une église près de chez elle à Benin, dans l’État d’Edo. Elle est décédée quelques jours plus tard des suites de ses blessures. Hamira, cinq ans, a été droguée et violée par son voisin en avril 2020. Ses blessures étaient si graves qu’elle ne pouvait plus contrôler sa vessie.

Barakat Bello, une étudiante de 18 ans, a été violée lors d’un cambriolage à son domicile à Ibadan, dans l’État d’Oyo. Ses violeurs l’ont attaquée à coups de machette et elle est morte le 1er juin 2020. Favour Okechukwu, une fillette de 11 ans, a été violée à mort par plusieurs hommes à Ejigbo, dans l’État de Lagos. Une femme de 70 ans a été violée dans l’État d’Ogun. En mai 2021, une petite fille de six ans a été violée à mort dans l’État de Kaduna.

« La pandémie de Covid-19 n’a fait que mettre en évidence une réalité existant de longue date. Non seulement des femmes et des filles sont violées au Nigeria, mais lorsqu’elles trouvent le courage de faire un signalement, des policiers les traitent avec mépris en les accusant de mentir et de chercher à attirer l’attention - insultes qui les blessent encore plus profondément », a déclaré Osai Ojigho.

Des lois obsolètes et des problèmes d’application des lois

Malgré l’obligation faite au Nigeria, en vertu du droit international, de promulguer, de mettre en œuvre et de suivre des textes de loi visant à lutter contre toutes les formes de violence à l’égard des femmes, les femmes et les filles continuent à être victimes de discrimination, dans le droit et la pratique.

La définition du viol dans le Code criminel, qui est applicable dans le sud du Nigeria, et le Code pénal, qui s’applique dans le nord, est obsolète. La Loi relative à l’interdiction des violences faites aux personnes a élargi son champ d’application et la définition du viol, mais ne mentionne pas le consentement.

« Bien que la définition du viol ait été étendue sur le plan juridique, la Loi relative à l’interdiction des violences faites aux personnes et d’autres lois similaires ont une portée limitée. Même dans les États où cette loi et d’autres ont été incorporées à la législation, elles ne sont pas respectées ou mises en œuvre », a déclaré Osai Ojigho.

Les victimes et les organisations non gouvernementales rencontrées dans le cadre de ces recherches ont déclaré que la réprobation sociale et la culpabilisation des victimes sont des obstacles majeurs au signalement des viols. Des victimes ont partagé des exemples alarmants de ces deux attitudes, et déclaré à Amnesty International qu’elles n’avaient pas porté plainte parce qu’elles avaient peur de ne pas être crues et d’être pointées du doigt. Les mineures, qui sont de plus en plus souvent victimes de violences sexuelles, sont confrontées à des difficultés particulières lors du signalement de ces crimes, faute de processus adapté aux enfants.

Certaines victimes ont déclaré avoir été dissuadées de chercher à obtenir justice par l’attitude toxique des policiers face aux violences liées au genre, qui prend la forme de questions humiliantes et du rejet de la faute sur les victimes. Par ailleurs, les postes de police, délabrés, ne disposent souvent pas de l’espace nécessaire pour que les victimes puissent faire leurs déclarations dans un lieu privé.

Onyinye, 14 ans, a été violée par son voisin lorsque sa mère l’a envoyée chez lui pour l’aider à réparer son téléphone. Quand Onyinye et sa mère se sont rendues au poste de police pour signaler les faits, non seulement une policière a giflé l’adolescente et lui a tiré l’oreille, mais la mère d’Onyinye a également été réprimandée pour n’avoir pas donné à sa fille une « bonne éducation ».

Des militant·e·s et avocat·e·s ont déploré la piètre qualité des enquêtes de police sur les affaires de viol. Dans certains cas, les auteurs soudoient les policiers afin que ceux-ci ne mènent pas d’investigation. La police a également conseillé à des victimes et des agresseurs de régler l’affaire en dehors du système de justice pénale, ce qui ne fait que perpétuer les atteintes aux droits des femmes et l’impunité pour le viol.

Il est temps d’agir

Amnesty International demande aux autorités nigérianes d’agir maintenant afin de protéger les femmes et les filles contre ces violences sexuelles effrénées. Tous les cas de viol doivent donner lieu à des enquêtes exhaustives et impartiales dans les meilleurs délais, et les auteurs doivent être poursuivis et, s’ils sont déclarés coupables, être condamnés à des peines appropriées. Les lois en vigueur qui sont discriminatoires doivent être abrogées et laisser la place à un cadre concret d’application.

La police nigériane doit fournir le soutien nécessaire aux victimes et agir conformément à son code de déontologie, en permettant aux victimes de signaler en toute sécurité un viol et d’autres violences liées au genre, et d’obtenir justice.

Les tribunaux doivent veiller à ce que les cas de violences sexuelles donnent lieu dans les meilleurs délais à des poursuites équitables. Concernant le traitement des cas de viol, il faut s’attaquer au moindre retard susceptible de créer des obstacles à l’accès à la justice pour les victimes.

« Le Nigeria doit défendre les femmes et les filles en garantissant que les auteurs de viol soient traduits en justice et que les victimes reçoivent une protection et un soutien psychosocial et médical. Il faut renverser sans attendre le courant de la violence sexuelle contre les femmes et les filles », a déclaré Osai Ojigho.

CONTEXTE

Amnesty International a réalisé des entretiens avec 14 femmes et filles victimes de viol, âgées de 12 à 42 ans. L’organisation a également recueilli les propos de sept parents de victimes mineures. Les entretiens ont été menés en personne, ainsi que par téléphone et appels vidéo.