Vous êtes ici : Accueil » Afrique de l’Ouest » Nigeria » Nigeria : Les survivantes de la traite confrontées à la pauvreté et la (...)

Nigeria : Les survivantes de la traite confrontées à la pauvreté et la détresse Les autorités devraient renforcer le soutien à ces femmes au lieu de les maintenir dans des centres d’hébergement

D 22 septembre 2019     H 05:25     A Human Rights Watch     C 0 messages


À leur retour au Nigeria, de nombreuses survivantes de la traite et de l’exploitation sexuelles ainsi que du travail forcé se heurtent à de graves difficultés, qu’il s’agisse de leur santé, de la pauvreté et de conditions de vie abjectes, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport rendu public aujourd’hui. Les autorités nigérianes n’ont pas prêté à ces survivantes l’assistance dont elles auraient besoin pour reconstruire leurs vies, tout en détenant illégalement dans des centres d’accueil de nombreuses femmes et filles déjà traumatisées.

Le rapport de 90 pages, intitulé « “You Pray for Death” : Trafficking of Women and Girls in Nigeria » (« “Tu pries pour mourir” : Traite des femmes et des filles au Nigeria »), examine en détail les modalités de la traite humaine au Nigeria. Human Rights Watch a constaté que ce cauchemar ne prend pas fin lorsque les survivantes réussissent à rentrer dans leur pays d’origine. Le gouvernement nigérian devrait prendre des mesures en vue de remédier aux graves problèmes de santé, d’exclusion sociale et de pauvreté auxquels sont confrontées les survivantes et cesser de les traumatiser davantage en les contraignant à rester dans des refuges.

« Les femmes et les filles victimes de la traite au Nigeria et à l’étranger ont subi des abus épouvantables aux mains des trafiquants, mais elles n’ont pas reçu de soutien médical, psychologique et financier suffisant pour se réinsérer socialement », a déclaré Agnes Odhiambo, chercheuse senior auprès de la division Droits des femmes de Human Rights Watch. « Nous avons été choqués de constater que des survivantes traumatisées étaient retenues contre leur gré dans des centres administrés par le gouvernement, et dans l’incapacité de communiquer avec leurs familles des mois durant. »

Human Rights Watch a interrogé 76 survivantes de la traite au Nigeria, ainsi que des responsables gouvernementaux, des dirigeants de la société civile et des représentants de gouvernements donateurs et d’institutions appuyant les efforts de lutte contre la traite au Nigeria.

Les nombreux cas de traite de Nigérianes transportées de force vers l’Europe ou la Libye ont attiré l’attention de médias internationaux ces dernières années, poussant les autorités nigérianes à agir. Nombreuses également sont les femmes et filles à être détenues au Nigeria dans des conditions parfois analogues à celles de l’esclavage.

Les autorités nigérianes ont pris certaines mesures importantes pour s’attaquer au problème répandu de la traite dans le pays, notamment en créant des centres d’accueil, en fournissant des soins médicaux et en lançant des programmes de formation et d’aide économique destinés aux survivantes.

Toutefois, les autorités privilégient les centres d’accueil, plutôt que les services communautaires, comme principal moyen de venir en aide aux victimes. Elles ont également retenu contre leur gré des survivantes de la traite dans ces refuges, le plus souvent pendant des mois, en violation des obligations juridiques internationales qui incombent au Nigeria. La protection ne doit pas constituer une excuse pour placer en détention arbitraire des femmes et des filles et les priver de leur liberté de mouvement, a souligné Human Rights Watch. De telles conditions mettent en péril leur convalescence et leur bien-être.

« Je suis ici depuis presque six mois… Je mange, je dors et je crie. Ils n’ouvrent pas le portail… », a témoigné une jeune femme âgée de 18 ans, retenue dans un refuge administré par l’Agence nationale pour l’interdiction de la traite humaine (NAPTIP). « J’ai dit à la NAPTIP que je ne voulais pas rester ici ; je veux rentrer chez moi. Ils ont dit qu’ils m’autoriseraient à partir. Je ne me sens pas bien ici. Je ne peux pas rester sans rien faire. »

Le chemin qui mène à la traite est semé d’épreuves et il est difficile d’obtenir des secours. Human Rights Watch a documenté la manière dont les trafiquants, la plupart du temps connus de leurs victimes, manipulent femmes et filles, assurant leur transport à l’intérieur ou au-delà des frontières nationales, avant de les soumettre au travail forcé.

Celles-ci croient le plus souvent qu’elles sont sur le point de migrer pour trouver un travail bien rémunéré à l’étranger comme employées de maison, coiffeuses ou personnels hôteliers. Elles sont alors choquées de découvrir qu’elles ont été induites en erreur pour être en réalité livrées à l’exploitation, avec des « dettes » considérables à rembourser. Elles ont expliqué que leurs ravisseurs les avaient soumises à la prostitution et au travail domestique forcé des heures durant, sans congés ni salaire. Ces individus les ont obligées à avoir des rapports sexuels avec des hommes sans préservatif et souvent à subir des avortements dans des conditions d’hygiène déplorables, en l’absence d’analgésiques et d’antibiotiques.

Les survivantes ont fait état d’expériences horribles à l’origine de traumatismes durables. L’une d’entre elles a expliqué avoir été forcée, à l’âge de 18 ans, de se prostituer en Libye, où elle est restée en détention pendant environ trois ans. Sur place, elle dit avoir été enlevée par des membres de l’État islamique et à avoir été témoin d’exécutions et d’attentats à la bombe et ballotée d’un trafiquant à un autre. Cette jeune femme est tombée enceinte mais a perdu son nouveau-né lors d’un bombardement. « Parfois, je ne veux voir personne. Parfois, j’ai l’impression que je vais me donner la mort. Je ne dors pas bien », a-t-elle confié.

Certaines femmes et filles ont fait état de troubles durables de la santé mentale et physique et d’une stigmatisation sociale à leur retour au Nigeria, où elles ont eu du mal à obtenir de l’aide et des services adaptés. Beaucoup d’entre elles ont affirmé manquer d’argent pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles. Des survivantes ont déclaré se sentir profondément stressées et désespérées.

Les victimes ont déclaré que les prestataires de services ne les consultaient généralement pas en amont s’agissant des décisions liées à l’assistance dont elles ont besoin, et que les informations fournies étaient insuffisantes. Certaines ont traversé de longues périodes pendant lesquelles elles ont été privées d’assistance, malgré leurs demandes d’aide.

En dehors des refuges administrés par le gouvernement, un réseau d’organisations non gouvernementales prête assistance aux victimes de la traite, notamment en assurant un hébergement dans des centres d’accueil, en procédant à l’identification et à la recherche des familles, ainsi qu’en facilitant la réadaptation et la réintégration. Toutefois, certaines de ces organisations ont déclaré être mal financées et ne pas pouvoir répondre aux besoins considérables des survivantes en matière d’assistance globale à long terme.

Les efforts de réadaptation et de réintégration au Nigeria sont également entravés par la trop grande importance accordée à la formation professionnelle à court terme, laquelle renforce également les rôles traditionnels dévolus aux hommes et aux femmes, de même que par les efforts insuffisants des autorités pour identifier les victimes, les problèmes de financement et de coordination et les contrôles insuffisants.

Les autorités nigérianes, y compris les responsables de la NAPTIP, devraient s’employer de toute urgence à améliorer l’assistance et les services dont ont besoin les victimes de la traite qui ont été identifiées et rapatriées, notamment en mettant fin à la pratique consistant à refuser la liberté de mouvement à celles qui sont accueillies dans des refuges. Les autorités nigérianes devraient veiller à ce que les politiques et pratiques en matière de prise en charge respectent les droits fondamentaux des victimes, que personne ne soit détenu contre son gré dans des centres d’accueil, et évaluer l’impact de leur approche en matière de refuges « fermés ».

« Les autorités nigérianes, qui sont en proie à une crise liée à la traite, travaillent dans des conditions difficiles, mais elles peuvent faire mieux en se mettant à l’écoute des victimes qui ont beaucoup à dire sur leurs besoins et attentes », a conclu Agnes Odhiambo. « Pour mettre fin à la traite et briser les cycles d’exploitation et de souffrances, les survivantes ont besoin que le gouvernement les aide à surmonter le traumatisme qui en résulte et à gagner décemment leur vie au Nigeria. »

Pour consulter le rapport en anglais, intitulé « “You Pray for Death” : Trafficking of Women and Girls in Nigeria » (« ‘‘Vous priez pour mourir’’ : traite des femmes et des filles au Nigeria »), veuillez suivre le lien :
https://www.hrw.org/report/2019/08/27/you-pray-death/trafficking-women-and-girls-nigeria

Pour consulter d’autres communiqués de Human Rights Watch sur le Nigeria, veuillez suivre le lien :
https://www.hrw.org/fr/africa/nigeria

Pour consulter d’autres communiqués de Human Rights Watch sur la traite humaine, veuillez suivre le lien :
https://www.hrw.org/fr/tag/traite-des-personnes

Pour consulter d’autres communiqués ou rapports de Human Rights Watch sur les droits des femmes, veuillez suivre le lien :
https://www.hrw.org/fr/topic/droits-des-femmes

Sélection de témoignages extraits du rapport

Périple et captivité éprouvants

Juliana P., âgée de 23 ans, a été victime de la traite en Libye en 2015. Elle a déclaré avoir été bloquée en mer avant d’être placée en captivité en Libye :

Nous sommes restées en mer cinq jours durant. Il n’y avait plus rien à manger. Nous ne savions pas où nous étions. Un homme est mort et a été poussé à l’eau. Les gens pleuraient en disant qu’ils ne savaient pas qu’ils allaient tant souffrir. Nous avons rencontré un groupe d’Arabes ; ils nous ont fait monter à bord de leur bateau et conduit en prison. Nous y sommes restées six mois. Sur place, la nourriture qu’ils nous ont servie, c’était du pain, du chai [thé] et des spaghettis avec de l’eau. L’eau était très salée ; la peau pelait à son contact. Nous pleurions et ils nous passaient à tabac.

Victimes d’esclavage sexuel, de prostitution forcée et de travail forcé

Joy P. a raconté avoir été victime de la traite à l’âge de 12 ans en 2017, depuis son domicile à Anambra, dans l’État de Lagos, où une femme l’a manipulée, en lui assurant qu’elle contribuerait à son éducation si elle s’occupait de ses enfants. Cette femme a forcé Joy à faire des travaux ménagers et à cuisiner pendant deux mois sans lui verser de salaire, avant de la conduire dans une maison close pour la forcer à s’y prostituer :

Un jour, elle m’a emmenée dans un hôtel. J’ai retrouvé une des filles que j’avais connues à Anambra. Elle s’est rendue chez le propriétaire des lieux et lui a dit : « Je vous ai amené une autre fille. » L’homme a répondu que j’étais trop jeune pour rester là-bas. Elle m’a ramenée à la maison et acheté des drogues pour me faire prendre du poids. Trois semaines plus tard, elle m’a ramenée mais [il] ne m’a pas acceptée. Elle m’a conduite dans un autre bordel dont le propriétaire m’a accepté. J’ai dit à la femme : « Ce n’est pas pour ça que tu m’as amenée ici. » Elle a dit que je devais rembourser l’argent qu’elle avait dépensé pour me conduire à Lagos avant que je puisse revenir.

Elle m’a donné des préservatifs et dit que des hommes viendraient pour moi. Elle m’a placée dans une chambre. Différents hommes venaient coucher avec moi. Je ne sais plus combien il y en a eu. Je me suis enfui deux jours plus tard. Ma souteneuse a envoyé des gens à ma recherche, ils m’ont retrouvée et ramenée chez elle. Elle m’a battue et dit que je devais la payer. Elle m’a apporté quelque chose à boire pour me faire promettre que je ne m’enfuirai plus. Elle m’a conduit au premier bordel venu, où j’ai été acceptée. C’était horrible. Je pleurais tout le temps.

Uma K., âgée de 32 ans, a déclaré avoir été victime de la traite en Libye en 2013, aux mains d’un homme qui vivait dans sa rue à Benin City. Elle a dit qu’une souteneuse l’avait maintenue, elle et d’autres filles, dans une servitude pour dettes et sexuellement exploitée. Cette proxénète a forcé Uma à subir de multiples avortements, lui a fait payer ces interventions et l’a contrainte à reprendre la prostitution presque immédiatement après :

Je suis tombée malade, elle a dit : « Tu es infirmière, tu peux te soigner. » La femme me passait à tabac. Tu manges une fois par jour. Tu te réveilles à 4 heures du matin. Elle te frappe pour te réveiller, elle et son mari. Les hommes couchent avec nous sans utiliser de préservatifs. Je suis tombée enceinte à quatre reprises. Elle pratiquait les avortements pour nous… Si elle verse 40 dinars à l’infirmière ; elle te réclame le double. Immédiatement après, tu recommences à travailler.

Âgée de 13 ans et originaire du Bénin, Georgina K. a déclaré qu’elle se trouvait au Nigeria depuis quatre ans lorsque Human Rights Watch l’a interrogée en 2017. Sa mère, a-t-elle expliqué, n’avait pas assez d’argent pour la scolariser et sa tante avait offert de l’aider :

Elle m’a amenée ici [au Nigeria] pour travailler afin de gagner de l’argent pour financer ma formation professionnelle. Elle m’a présentée à un vendeur de nourriture. J’y vendais de l’amala [plat nigérian à base de maniocs séchés ou de farine d’igname]. Ils ne m’ont rien donné à manger. Je n’ai rien mangé le matin ; ils ont dit que je mangerai quand je reviendrai vers 15 heures. J’ai aussi fait le ménage. Elle m’a frappée et insultée. Elle a dit que je ne travaillais pas bien, mais je travaillais tout le temps. Ils ont payé ma tante, qui a dit qu’elle enverrait de l’argent à mes parents. Je ne suis pas sûre qu’elle l’ait jamais fait. J’étais malade et ils ne m’ont pas soignée.

La vie au Nigeria après la traite

Uma K. a décrit la vie au Nigeria après avoir fui l’exploitation sexuelle en Libye :

Parfois, mes amis se moquent de moi. Un collègue [infirmier] s’est moqué de moi sur Facebook en disant que j’étais allée me prostituer en Libye… Parfois, je pleure. Je pense que certains membres de ma famille ont honte de moi parce que lorsque nous sommes en présence d’autres gens, ils ne m’adressent pas la parole. Parfois, j’ai l’impression que les gens se moquent de moi, même lorsque je me promène. Je n’ai pas demandé de soutien parce que j’ai honte ; je ne sais pas ce qui va m’arriver. Certaines personnes pourraient se moquer de vous et ne pas vous aider.

Joan A., âgée de 13 ans, a déclaré que, parfois, elle ne pouvait se permettre d’acheter de la nourriture :

Je vis seule ; ma tante m’a laissé la maison où je vis… elle achète de la nourriture. Parfois, l’église me donne à manger. Parfois, je n’ai rien à manger.

Adaku G., âgée de 31 ans, a appris par un voisin qu’il pouvait l’aider à trouver du travail en France. Mais au terme d’un long et douloureux périple à travers le désert du Sahara, elle s’est retrouvée piégée en Libye, où une proxénète l’a forcée à se prostituer. Elle a développé des problèmes de santé persistants à la suite de cette épreuve :

Ma santé n’est pas bonne. Je suis toujours malade… J’ai un truc après l’autre. Ma famille a payé pour le traitement…. J’ai mal au bas-ventre, au dos, [et] je ne peux pas me pencher. Mon aine me fait souffrir.

Détention dans des refuges

Ebunoluwa E., âgée de 18 ans, une survivante de la traite placée dans un refuge de la NAPTIP, a déclaré :

Depuis que je suis ici, je n’arrive pas à dormir. Un pasteur vient tous les dimanches faire son prêche. Nous faisons la prière quotidienne. Je n’ai pas suivi de formation professionnelle. Ils ne m’ont pas demandé ce que je voulais faire. Hier, ça faisait trois semaines que j’étais ici. Je n’ai pas parlé à ma mère. Je suis allé voir le responsable et lui ai dit que je voulais signaler à ma mère ma présence ici. Elle m’a demandé pourquoi je ne l’avais pas dit à la JDPC [Commission Caritas pour le développement de la justice et la paix], [une] ONG venue nous interroger. La NAPTIP a mon téléphone. Je n’ai pas mon passeport. Je l’ai vu en possession de la JDPC. Je suis tellement triste que je veux rentrer chez moi. Je n’aime pas cet endroit, il y a trop de règlements. Nous sommes réveillés le matin par une cloche pour prier. On ne m’a pas dit quand je rentrerai chez moi… Je n’arrête pas de pleurer depuis ce matin.

Gladness K., âgée de 24 ans, a déclaré avoir passé trois semaines dans un refuge de la NAPTIP, avant d’être transférée dans un autre pendant une semaine sans être informée de la date de son retour chez elle :

Je veux aller chez ma mère… À Lagos, ils ont dit que je devrais être heureuse de revenir car beaucoup de gens souffrent et sont exploités. Ils m’ont demandé si je voulais apprendre à travailler, j’ai dit que je voulais rentrer chez moi. Ils ne m’ont pas dit quand je pourrais rentrer à la maison ; j’ai appelé ma mère cet après-midi et je ne sais pas quand elle viendra me chercher.