8 novembre : le Sénégal à la croisée des ruptures
8 novembre 2025 12:30 0 messages
À la veille du rassemblement de PASTEF où Ousmane Sonko doit s’adresser au pays, le Sénégal entre dans un moment de vérité. Entre les attentes du peuple, les hésitations du pouvoir et la profondeur des défis à venir, se joue plus qu’un tournant politique : la fidélité ou le reniement d’une révolution.
À la veille du TERA meeting de PASTEF prévu ce 8 novembre, où Ousmane Sonko doit faire une déclaration que d’aucuns annoncent décisive, le Sénégal retient son souffle. Depuis l’élection du 24 mars 2024, le pays vit dans une étrange tension entre espoir et attente. Le peuple, victorieux des urnes, observe désormais un pouvoir hésitant à se définir.
Les atermoiements du Président Bassirou Diomaye Faye, jusque-là perçus comme une prudence tactique, prennent aujourd’hui la forme d’un malaise politique plus profond : celui d’un État en transition qui peine à choisir sa ligne de front. Et dans ce silence, les impatiences montent. Ce 8 novembre pourrait bien être le moment de vérité — celui où se mesurera la cohérence entre les promesses de la rupture et les lenteurs du pouvoir.
Le contexte ne saurait être minimisé. Comme je le soulignais dans un récent billet, le débat sur la « haine » et la « vengeance » orchestré par les ralliés de la vingt-cinquième heure n’est qu’une diversion : le vrai problème n’est pas moral, il est politique. Il tient à la direction que doit désormais prendre le pays, et à la capacité du pouvoir de rester fidèle à son mandat populaire — celui de reconstruire le Sénégal sur des bases souveraines, sociales et panafricaines.
Un État prisonnier de ses formes
Le premier défi du Sénégal est d’ordre structurel. L’État sénégalais demeure colonial dans son architecture : centralisé, bureaucratique, régi par un droit et une langue qui le rattachent encore à la matrice française.
La continuité du franc CFA, les accords de défense et les réflexes technocratiques de la haute administration illustrent cette dépendance. L’audit des finances publiques et la révélation de la dette cachée de 4 300 milliards FCFA ont mis à nu un système politique où l’État servait d’abord les créanciers avant de servir les citoyens.
La rupture institutionnelle annoncée par le Président Bassirou Diomaye Faye suppose donc plus qu’une bonne gouvernance : elle exige une refondation historique. Ce n’est pas seulement la manière de gérer qu’il faut changer, mais la manière de concevoir le pouvoir. Tant que les institutions resteront extraverties, la souveraineté demeurera un mot d’ordre et non une réalité.
Économie : produire pour vivre ou importer pour survivre
Sur le terrain économique, le choix est tout aussi tranché. Depuis plus d’un demi-siècle, le Sénégal vit selon le schéma de l’économie extravertie décrit par Samir Amin : exportation de matières brutes, dépendance aux importations alimentaires, endettement chronique, domination des bailleurs.
Le Plan Sénégal émergent (PSE) de Macky Sall, censé moderniser le pays, a surtout accru la dépendance financière et élargi le fossé social.
Le nouveau pouvoir a amorcé une inflexion : souveraineté alimentaire, industrialisation nationale, contrôle du contenu local dans les hydrocarbures. Mais cette orientation se heurte à la rigidité du cadre monétaire, à la pression des institutions de Bretton Woods et à la résistance des élites administratives.
Le choix est existentiel : produire pour vivre ou importer pour survivre. Et cette décision ne se prendra pas dans les bureaux, mais dans les champs, les ateliers, les écoles et les ports — là où se fabrique la richesse réelle.
Diplomatie et géopolitique : entre prudence et audace
Sur la scène régionale, le Sénégal joue une partition délicate. Au moment où la CEDEAO se fissure, où l’AES s’affirme comme un pôle alternatif, Dakar tente de concilier médiation et fermeté.
La diplomatie sénégalaise revendique une neutralité active : dialoguer avec tous, mais ne se soumettre à personne. La France, l’Allemagne, la Chine, la Turquie, la Russie, l’Arabie Saoudite, etc. ; — tous veulent leur part du « nouveau Sénégal ». Le pays cherche, dans cette mêlée, à bâtir une politique étrangère fondée sur la réciprocité et la dignité.
Mais l’équilibre est précaire. Une erreur d’orientation, et le pays pourrait retomber dans la vassalisation ou l’isolement. Le 8 novembre devra donc aussi être un moment de clarification géopolitique : dire clairement avec qui et pourquoi nous voulons coopérer.
Les forces sociales de la souveraineté
Le sort du projet dépend désormais de la société sénégalaise elle-même. Trois forces peuvent ou non faire basculer l’histoire.
La première est la jeunesse, immense et impatiente, qui a fait tomber le régime de Macky Sall. Elle a soif de participation, non de clientélisme ; de dignité, non d’assistanat. Le risque est qu’elle se sente trahie si le pouvoir ne lui ouvre ni l’économie ni la parole.
La deuxième est la classe laborieuse — ouvriers, paysans, fonctionnaires modestes, pêcheurs, transporteurs — qui porte silencieusement le pays. Sans leur mobilisation, la politique de production et de redistribution restera un vœu pieux.
La troisième enfin, c’est l’intelligentsia critique, celle qui relie la pensée à l’action : universitaires, artistes, journalistes, militants. Leur rôle est de redéfinir le récit national, de donner un sens à la rupture et de défendre la cohérence du projet face aux tentations bureaucratiques ou opportunistes.
Le dilemme du pouvoir
Le Sénégal doit choisir entre deux voies. Celle du réformisme prudent, qui rassure les partenaires extérieurs, mais déçoit le peuple ; ou celle du réalisme révolutionnaire, qui assume les tensions pour reconstruire sur le long terme.
Le président de la République, jusqu’ici, oscille entre les deux : il mesure ses mots, ménage les uns, temporise avec les autres. Mais à force d’équilibre, on risque l’immobilisme. Comme l’écrivait Chroniques sénégalaises : « Rompre le silence, c’est retrouver le sens. » Le pays attend un cap.
Le 8 novembre ne sera pas un simple rassemblement partisan. Il peut devenir un moment de bascule : soit le pouvoir assume la profondeur de la rupture, soit il se laisse engloutir par la routine d’État. Les choix à venir — économiques, diplomatiques, institutionnels — détermineront si le Sénégal reste prisonnier de la dépendance ou s’engage dans la souveraineté réelle. Mais l’histoire, elle, n’attend jamais : elle passe ou elle se venge.
Nous faisons confiance à Ousmane Sonko, président de PASTEF, pour trouver les mots justes et prendre la pleine mesure des enjeux. Il connaît le souffle du peuple, parce qu’il en est le fruit et la voix. Il est le souffle même de cette révolution, celle qui ne se mesure pas à la durée d’un mandat, mais à la profondeur d’une espérance collective : celle d’un Sénégal debout, lucide et souverain.
Voir en ligne : Chroniques sénégalaises
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