80 ans après - L’État français et le massacre de Thiaroye… Sénégal, 1944
3 décembre 2024 05:00 0 messages
Le 22 novembre, mon ouvrage « Le Massacre de Thiaroye 1er décembre 1944, histoire d’un mensonge d’État » sera disponible dans toutes les bonnes librairies. À trois semaines de la commémoration du 80e anniversaire au Sénégal, une question me taraude : que va faire l’État français ?
Alors que les préparatifs s’accélèrent au Sénégal pour la commémoration du 80e anniversaire du massacre de Thiaroye perpétré par l’armée française sur d’ex-prisonniers de guerre originaires de l’Afrique occidentale française (AOF) qui réclamaient les rappels de solde, des décisions doivent être prises par l’État français à rebours de celles, choquantes, depuis la commémoration du 70e anniversaire que j’ai qualifiée dans mon livre de mascarade indécente.
Je devrais être pessimiste depuis le rejet incompréhensible de l’État français, en septembre 2024, d’un règlement à l’amiable initié par la CEDH (Cour européenne des Droits de l’Homme) pour rembourser à Biram Senghor (86 ans) les sommes que son père n’a pas perçues et restées dans les caisses de ce même État.
Je devrais être pessimiste à la lecture d’une ordonnance de rejet (donc pas de conclusion du rapporteur public ni d’audience) par le tribunal administratif de Melun trois années après le dépôt d’une requête – que de temps perdu – pour faire modifier la date d’embarquement au prétexte que cette date ne fait pas grief au fils d’un rapatrié spolié. Encore un contournement du mensonge d’État car la bonne date a été falsifiée justement pour camoufler la spoliation des rappels de solde à ce contingent.
Je devrais être pessimiste lorsque je lis les propos de M. Jean-Louis Thiériot, ministre délégué aux Anciens combattants et à la Mémoire lors de la commission défense du 14 octobre 2024 :
« Toutes les archives concernant la mort des tirailleurs ont été scannées et transmises au gouvernement sénégalais. Rien ne prouve à ce jour l’existence de fosses communes. Le gouvernement sénégalais a créé une commission mais n’a transmis aucune demande financière à la France. Quant à la reconnaissance officielle de la responsabilité de la France, le Président de la République François Hollande l’a faite en 2014 à Dakar, en rendant hommage à ces tirailleurs ».
Quel rétropédalage ! Non, toutes les archives consultables n’ont pas été remises au Sénégal en 2014. Il manque justement celles qui prouvent la spoliation des soldes et la diminution du nombre de rapatriés pour camoufler le nombre de victimes. J’en ai eu confirmation que tout récemment avec l’inventaire des archives remises au Sénégal.
Pourquoi le ministère oublie aujourd’hui ce qu’il a partagé, via la DPMA (Direction du Patrimoine de la Mémoire et des Archives) en 2020 au député Philippe Michel-Kleisbauer avec la présence de trois fosses communes sous les tombes du cimetière de Thiaroye – les plus importantes étant à l’endroit de l’ancien camp – Tome I – Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation – 15e législature – Assemblée nationale
Ce même ministère a, à plusieurs reprises, signifié que les tombes étaient des monument symboliques in memoriam. À la veille du 80e anniversaire, le ministre Thériot pourrait nous dire où les nombreuses victimes sont enterrées si elles ne sont ni dans des tombes, ni dans des fosses communes. De quelle commission parle le ministre ? Je ne connais que le comité chargé de préparer la commémoration du 80e anniversaire.
Le président Hollande n’a pas reconnu le massacre et, en évoquant la répression sanglante, il suggère la présence d’une mutinerie et d’une rébellion armée. Il s’agit bien d’une exécution extra-judiciaire.
Je devrais être pessimiste quand j’entends Jean-Marie Bockel, répondre à mon député, Damien Girard – que je remercie – que des Sénégalais sont venus voir les archives en France. La délégation n’est toujours pas partie. Ce n’est pas sérieux. Commission de la défense : M. Jean-Marie Bockel, envoyé personnel du Président de la République pour l’Afrique – Mercredi 6 novembre 2024 – Vidéos de l’Assemblée nationale mais, et c’est plus rassurant, il dit aussi : « Il y a la question d’établir précisément les faits,[…] le nombre de victimes précises. Que faire par rapport à cette réalité ? »
La réponse ne serait-elle pas dans les archives toujours pas consultables alors que le ministère des armées s’évertue à dire que ces archives n’existent pas ou n’existent plus ou ont été perdues ou ont été détruites ? Il faut aider l’État français à se sortir de ce bourbier et interroger la DMCA qui gère la mémoire et les archives.
Je devrais être pessimiste quand le ministère de la Justice dit que le garde des Sceaux ne peut saisir la commission d’instruction de la Cour de Cassation pour faire aboutir le procès en révision et innocenter les condamnés au prétexte que le ministère des armées ne leur donne pas les éléments. L’attribution de la mention « Mort pour la France » est un élément nouveau important qui prouve qu’il n’y a jamais eu de rébellion armée.
Je devrais être pessimiste quand je constate que l’administration ne prend pas en compte les recherches des historiens. J’ai signalé d’autres hommes assassinés le 1er décembre 1944 qui auraient pu aussi recevoir la mention « Mort pour la France ». Ils n’ont pas rejoint la liste initiale des six pas plus que trois condamnés, morts durant leur détention qui n’ont pas été amnistiés.
Je devrais être pessimiste quand des personnes organisent une cabale sur la base de propos fallacieux pour faire oublier leur discours contraire à la réalité des faits.
Je devrais être pessimiste à la lecture du courrier d’un directeur de Cabinet mettant en cause mon intégrité en mentant comme un arracheur de dent.
Mais je suis optimiste
À en croire le général Paulus, dernier commandant des forces françaises du Cap Vert où sont restées une partie des archives et ancien Chef du SHD : « Plus le temps passera, plus ils [les documents] seront accessibles. Il est clair qu’un jour on pourra tout savoir sur Thiaroye » [Entretien téléphonique avec Yves Monteil, 2 mai 2023.]]. 80 années semble un temps suffisamment long.
La conférence-plaidoyer du 4 novembre 2024 à l’assemblée nationale initiée par Karfa Diallo, élu régional et fils de tirailleur ayant vécu à Thiaroye, qui a rassemblé descendants, avocats, historiens, députés sans oublier le comédien Sidiki Bakaba restera gravée comme un moment fort et représente un tournant attendu dans la prise en compte du massacre avec des actes politiques qui seront posés prochainement.
La commémoration du 80e anniversaire, cette fois ci organisée par le Sénégal, va contribuer à remettre le massacre de Thiaroye au centre des enjeux diplomatiques avec une demande de transparence et de sincérité qui a tant fait défaut durant toutes ces années. Les hommes de Thiaroye et leurs descendants vont enfin recevoir les honneurs tant mérités.
Sans décisions implacables et irréversibles de l’État français d’ici à la commémoration, le malaise va s’amplifier comme le montre le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères ce 12 novembre REPLAY : retrouvez l’entretien exclusif de Jean-Noël Barrot, ministre des Affaires étrangères – France 24 qui ne peut dire si la France est invitée à la commémoration et qui la représentera.
L’État français pourrait :
– Permettre la consultation de l’intégralité des archives et sans faire de tri ;
– Nommer toutes les victimes en leur accordant la mention « mort pour la France » ;
– Rembourser aux descendants les sommes spoliées ;
– Indemniser Biram Senghor pour l’assassinat de son père ;
– Avec l’autorisation du Sénégal et si c’est le souhait de son fils Biram, offrir une sépulture individuelle à M’Bap Senghor avec fouille des fosses communes, exhumation des corps et recherche ADN ;
– Saisir la commission d’instruction de la Cour de Cassation par le garde des Sceaux pour faire aboutir le procès en révision et publier un décret pour restituer les grades ;
– Mettre la bonne date de départ de Morlaix sur tous les ESS (état signalétique des services) ;
– Désocculter l’archive caviardée ;
– …..
Il y a urgence, nous avons perdu trop de temps. Je pense à Biram Senghor qui m’a transmis sa ténacité et son espoir. L’État français, au lieu de rejeter ses demandes systématiquement, devrait l’honorer et le dédommager.
Armelle Mabon
P.-S.
• Blog (Mediapart). 14 novembre 2024 :
https://blogs.mediapart.fr/armelle-mabon/blog/141124/letat-francais-et-le-massacre-de-thiaroye-80-ans-apres
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