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De quoi la vague de mobilisations contre l’homosexualité au Sénégal est-elle le nom ?

D 18 décembre 2021     H 05:00     A Maniang Fall     C 0 messages


Au Sénégal, décidément les mouvements se suivent, mais ne se ressemblent pas. Le précédent mouvement en février-mars 2021 a été un tsunami insurrectionnel qui a failli balayer le régime politique. Ce mouvement fut l’expression d’un ras-le-bas contre les injustices, les inégalités, les prédations, la corruption et la pauvreté même si le déclencheur a été l’instrumentalisation d’un présumé viol attribué à l’opposant Ousmane Sonko pour l’écarter du jeu politique.

Par contre la mobilisation contre l’homosexualité a connu un point d’orgue avec la manifestation du 23 mai 2021. Elle semble être portée par une volonté de mettre un frein à une présumée ou réelle tentative d’imposition d’un agenda pro-LGBT par des lobbies internes ainsi que leurs soutiens ou parrains extérieurs réels ou présumés. On pourrait s’interroger sur les ambiguïtés ou les faux-semblants des revendications ou le credo de la défense des « valeurs morales » ou des « mœurs traditionnelles » dans ce mouvement.

Faux-semblants sur les objectifs de la mobilisation et Credo de la préservation des « valeurs morales et des bonnes mœurs »

A entendre et à se limiter uniquement aux échos des ténors du mouvement contre l’homosexualité, ils seraient plutôt sur la défensive contre une infernale mécanique de dépravation des mœurs dont l’homosexualité serait le cheval de Troie. Cela est d’autant paradoxal que l’homosexualité est déjà un délit et que le mot d’ordre principal de la mobilisation est en fait sa criminalisation. .Pourtant le bon sens et l’examen attentif et scrupuleux des faits montrent que les homosexuel-le-s veulent qu’on les laisse en paix. Elles ou ils aspireraient surtout à un droit à l’indifférence On imaginerait mal une communauté déjà stigmatisée essayer de provoquer et faire monter les enchères dans un contexte de recul de la gauche, des forces progressistes et d’une montée des intolérances presque partout dans le monde.

Les croyances religieuses et les traditions sont invoquées et sont convoquées pour justifier la diabolisation et l’acharnement envers les homosexuel-le-s. Pourtant, il y a quelques années, les LGBT étaient tolérés, même s’ils continuaient toujours à faire l’objet de stéréotypes équivoques les considérant comme les mascottes ou les comiques de leur environnement. Entre temps ni le corpus des doctrines religieuses, ni celui des traditions n’ont changé. Au même moment, qu’en est-il des autres « valeurs » comme les valeurs éthiques recommandant de respecter le patrimoine public et de le gérer dans l’intérêt exclusif des populations. Là où le LGBT pratiquant sa sexualité dans son intimité n’attente à la vie de personne ICI ET MAINTENANT. Alors que les prédateurs ou prédatrices de ressources publiques destinées à des projets de santé, d’éducation, d’infrastructures, d’investissements productifs sont de véritables bourreaux ICI ET MAINTENANT. Il y a quelques décennies, ce sont ces bourreaux qui étaient réprouvés. Maintenant, on dit souvent d’eux : « Da Nio Am Bopp »ii. Quant aux LGBT, ils ou elles risquent le lynchage face à une hystérie collective.

Avec les interférences extérieures réelles condamnables, l’anti-homosexualité se draperait du boubou patriotique de la « souveraineté nationale »

Un mouvement patriotique contre l’Occident, les injonctions d’Obama, de Trudeau

L’acte fondateur des USA et du Canada est le génocide des Amérindien-ne-s, suivi de la Traite esclavagiste transatlantique des Nègres. En ce qui concerne les USA, il ne se passe pas une décennie en général sans qu’ils agressent un État. Les dernières victimes sont l’Irak et la Libye pour l’agression de laquelle, ils ont apporté un soutien en renseignements et en ravitaillement aérien à la France et au Royaume-Uni.

Avec un tel passé et un tel passif, on ne saurait être crédible en prétendant défendre les droits des homosexuel-le-s au nom des « Droits de l’Homme ». C’est comme si, parmi les animaux de la cour, le porc donnait des leçons de d’hygiène et de propreté !

Ces ingérences occidentales sont condamnables et doivent être condamnées. Mais cela ne devrait pas cacher que la question de l’homosexualité est un phénomène polarisant dans toutes les sociétés jusqu’à présent. Même si une reconnaissance officielle des droits des LGBT dans plusieurs pays Occidentaux a eu lieu, des forts clivages subsistent toujours, parfois d’une manière violente. Rappelons qu’en Occident, il y a quelques décennies les LGBT furent bannis. Le cas le plus emblématique de la chasse et de la furie contre l’homosexualité fut celui de l’éminent mathématicien anglais Alan Turing contraint au suicide suite à des persécutions subies à cause de son homosexualité. Alan Turing fut l’architecte de « Enigma » qui a permis de casser les codes de l’armée hitlérienne en 1939-1945 contribuant ainsi d’une manière importante à la victoire contre le nazisme. En tant que brillantissime mathématicien, il fut aussi le concepteur de la « Machine de Turing » qui fut le précurseur de l’ordinateur actuel. Actuellement, Alan Turing est réhabilité et célébré partout au Royaume-Uni. A l’aune de cette répression de l’homosexualité en Occident jusqu’à récemment, l’obsession et la hargne envers l’homosexualité n’ont rien « d’anti-occidentales » ou ni « d’originales ». Probablement, le sort des homosexuel-le-s en Afrique était plus enviable que dans plusieurs pays occidentaux, il y a quelques décennies. Donc cette hystérie actuelle contre l’homosexualité représenterait plutôt une terrible régression qu’un progrès social.

Encore une fois de plus il faut fermer les yeux pour ne pas voir que les clivages sur l’homosexualité entre l’Afrique et l’Occident ne sont pas un face à face d’un « Bloc homogène » contre un autre « Bloc Homogène ». Les courants homophobes les plus violents sont les régimes politiques de la Hongrie, de la Pologne, de la Tchéquie, du Brésil ainsi que la droite extrême et l’extrême-droite en Europe occidentale et en Amérique du Nord en particulier avec la mouvance évangéliste pro-Trump aux USA. Des lobbies néoconservateurs occidentaux financent des programmes contre la contraception, le planning familial, l’homosexualité en Afrique. « Aujourd’hui, on voit des associations américaines rédiger les textes de loi anti-LGBT en Ouganda, ou des organisations américaines type l’Alliance Defending Freedom (ADF) financer le mouvement anti-choix européen. Une organisation elle-même financée par le mexicain Patrick Slim, le fils du milliardaire Carlos Slim. En 2012, l’ADF dégelait 700 000 euros pour des initiatives anti-IVG et anti-LGBT en Europe. En 2015 c’est passé à 2,6 millions. Cette rentrée d’argent a permis de professionnaliser cette nouvelle génération. Les anti-IVG ne sont plus seulement des militants, certains sont des salariés »iv.

L’article 319 alinéa 3 du code pénal au Sénégal réprimant l’homosexualité est hérité de la période coloniale. Comment se proclamer anticolonialiste ou anti-néocolonialiste en luttant pour le durcissement de cet arsenal législatif sans se couvrir de ridicule ou bien sans faire rire s’il n’y avait pas des victimes innocentes en ligne de mire ?

Enfin sur ce registre, il faudrait tordre le cou aux idées reçues selon lesquelles l’homosexualité serait un produit importé en Afrique. Des recherches ont montré qu’elle a existé en Afrique bien avant la colonisation, certes peut-être sous une forme refoulée ou taboue. C’est le point de vue exprimé par le sociologue camerounais Charles Gueboguo pour qui l’homosexualité « est un exutoire aux problèmes sociaux ». Si l’homosexualité sert d’exutoire, c’est qu’il y aurait diversion pour épargner d’autres lobbies, d’autres ingérences et d’autres cibles responsables du malaise économique, social et moral subi par la grande majorité du peuple sénégalais.

Par ailleurs, il est important de souligner qu’il n’y a aucun rapport de causalité entre l’homosexualité, la dénatalité et le déclin démographique. Des États comme la Russie, la Chine, le Japon etc. connaissent des problèmes démographiques sans pour autant mettre cela sur le compte de l’homosexualité ou l’avortement.

Lobbies et Lobbies, Ingérences & Ingérences ?

Au Sénégal, c’est une évidence qu’il y a des lobbies défendant plus ou moins discrètement l’amélioration du sort des homosexuel-le-s comme les Francs-Maçons, Rotary club, Lions club, les clubs Soroptimists, etc. Mais c’en est une autre évidence qu’il existe aussi d’autres lobbies ayant un agenda complètement différent comme l’Opus Dey, la secte Moon, etc. L’agenda de ces lobbies comporte entre autres la lutte contre l’avortement, le planning familial, l’homosexualité, le « communisme ». Sans compter les lobbies salafistes, wahhabites, évangélistes, pentecôtistes qui se développent dans plusieurs pays d’Afrique.

Les lobbies salafistes comprennent le courant des « Frères Musulmans » financé par la Turquie et le Qatar d’une part, et le courant Wahhabite financé par l’Arabie Saoudite et les autres monarchies du Golfe Persique d’autre part. Ce sont ces lobbies qui ont réussi à propager et à implanter un Islam de plus en plus rigoriste avec une diffusion du voile, une séparation croissante entre garçons et filles. C’est l’Islam obscurantiste des égorgeurs, des décapiteurs, des charcutiers ou des équarrisseurs de journalistes comme Jamal Khashoggi dans l’ambassade saoudienne en Turquie. Rien à voir avec l’Islam de la dite période arabo-andalouse, - surtout durant l’épisode abbasside avec le califat basé à Bagdad -, où régna un rayonnement scientifique avec entre autres le développement de l’astronomie, de la médecine, l’invention de l’algèbre durant un « Moyen-âge » où le reste de l’Europe sombrait dans les ténèbres. Il y eut aussi une cohabitation harmonieuse entre autres entre les Juif-ve-s, les Musulman-e-s. L’éminent savant Maïmonide, appelée le « second Moïse », contribua à ce rayonnement culturel et scientifique de même que l’immense savant Avicenne qui écrivit ses œuvres en langue arabe bien qu’étant Perse. Actuellement dans ces pays d’origine de ces lobbies salafistes, des millions d’immigré-e-s venant d’Afrique, du Pakistan, du Bangladesh, des Philippines sont soumis-e-s à des conditions esclavagistes du parrainage, c’est-à-dire du « Kafala ». Le système du « Kafala » permet aux employeurs de détenir le passeport des étranger-e-s et d’exercer un droit sur leur embauche par d’autres employeurs. L’arbitraire avec les salaires non versés partiellement ou totalement, les traitements humiliants, le droit de cuissage et les agressions sexuelles contre les femmes sont monnaie courante et impunies. Dans ces pétromonarchies théocratiques le droit associatif, syndical est tout simplement interdit. Comment expliquer une dénonciation sélective de certains lobbies, une indignation sélective envers certains lobbies alors que d’autres sont protégés de facto ?

Quant aux ingérences, les anti-homosexuels semblent faire la politique de l’Autruche devant celles qui sont les plus flagrantes. Après plus de 60 années d’indépendance politique : - des bases militaires étrangères sont toujours présentes dans notre pays - les langues nationales sont négligées ou sacrifiées au profit des langues étrangères comme le français en tant que langue officielle, mais aussi de plus en plus l’arabe avec le soutien des lobbies salafistes - notre monnaie, le CFA, est arrimée à une monnaie étrangère, l’Euro, etc.

Quelles perspectives : se focaliser sur les réelles priorités

Le mouvement actuel contre l’homosexualité a pour NOM un sentiment d’impuissance, une expression d’une impasse politique du système impérialiste et néocolonial devant une crise économique, sociale qui plonge l’écrasante majorité de la population dans la pauvreté et le désarroi.
Il ne faut pas tourner autour du pot. Il faut regarder la réalité en face. Le Sénégal est la « Thaïlande » de l’Afrique de Ouest, voire de l’Afrique en tant que destination de tourisme sexuel avec à la clef le développement fulgurant d’une prostitution HÉTÉROSEXUELLE ET HOMOSEXUELLE. Des millions d’enfants, avenir potentiel du pays, sont abandonnés à eux-mêmes ou à elles-mêmes pour s’adonner à la mendicité, à tous les trafics imaginables. Les adolescents, les jeunes se ruent à corps perdus vers le présumé eldorado européen. Quitte à faire de l’Océan Atlantique, de la Mer Méditerranée et du Sahara le cimetière de ce qui devait être le pilier de l’avenir du Sénégal. Toute cette jeunesse fait tout pour fuir un pays qui aurait été béni par Dieu ainsi que par de « Grands Hommes » ! De même que la quasi-totalité des « sans-papiers » luttent de toutes les forces pour ne pas être expulsés vers l’enfer de leur pays natal !

Il ne saurait être question d’accabler cette jeunesse dans la mesure où la marmite bout quotidiennement dans d’innombrables foyers grâce à l’argent envoyé par les Fatou-Fatou et les Modou-Modou. Pourtant pour gagner cet argent, elles ou ils endurent des situations très difficiles dans des pays « Chrétiens » ou des pays où il y a une sécularisation par rapport à la question de la religion : les Églises sont vides ! Dans ces pays, elles ou ils subissent un racisme, une islamophobie portés entre autres par des courants homophobes et fascistes. Ces courants sont aussi xénophobes et racistes comme l’illustrent les attaques contre l’ex-ministre de la justice Christiane Taubira en France dépeinte en guenon par les membres de « La Manif pour Tous ».

La conjoncture anti-homosexualité actuelle est un pain béni pour le pouvoir sénégalais. Alors que ses dignitaires se terraient durant l’insurrection de février-mars 2021, maintenant ils ou elles ont le beau le rôle pour jouer les arbitres, les positions d’équilibre entre les revendications des « extrémistes » ou jusqu’au-boutistes de la mobilisation anti-homosexualité d’une part, et « les demandes » des soutiens en Occident des LGBT d’autre part.

Non, non, non la question fondamentale au Sénégal n’est pas seulement identitaire. Elle est aussi surtout principalement sociale. La meilleure manière de protéger son peuple et d’assurer son avenir, c’est offrir à tou-te-s ses enfants un niveau décent d’éducation, de santé, de bien-être minimal grosso-modo lui permettant d’affronter et de relever les défis du développement pour un épanouissement matériel et moral général.

Le principal obstacle à cet épanouissement est l’oligarchie prédatrice néocoloniale qui accapare le patrimoine public et brade les ressources du pays. Une oligarchie dont les composantes sont une oligarchie féodale maraboutique et une oligarchie bureaucratique qui dilapide en donnant leur part du larcin à la chefferie maraboutique complice vénale comme assurance à l’impunité.

Il incombe aux forces de gauche résistantes, aux forces progressistes démocratiques et aux classes sociales laborieuses intéressées par la libération nationale de descendre dans l’arène d’assumer leurs convictions et de donner « la vraie parole » aux aspirations et à la lutte du peuple multiethnique, multi-religieux, multiculturel du Sénégal !

Comment, en élaborant un programme de renversement du régime semi-colonial et semi-féodal en place au Sénégal depuis 1960 basé sur les axes suivants : - Instauration d’une laïcité basée sur la liberté de conscience de chacun-e et le droit de chacun-e à pratiquer sa croyance - Retrait des bases militaires étrangères - Réforme agraire distribuant la terre à celles ou ceux qui la travaillent - Réorientation et modernisation de l’agriculture basée sur les cultures vivrières - Réorientation de l’économie vers une industrialisation à la place du tertiaire commercial et informel - Création d’une monnaie nationale ou en rapport avec d’autres peuples de la sous-région ou d’Afrique - Accès à l’éducation, à la santé, à l’eau courante et potable, à la l’électricité, à la connexion numérique pour l’immense majorité de la population, surtout rurale ou frontalière - Élaboration et diffusion d’une culture scientifique de masse contre toute forme d’obscurantisme.

Maniang Fall

Source : Fernent juin 21