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Diplomatie Palestine : Le principe de soutien historique du Sénégal est-il en train de changer ?

Par Ndèye Khady LO BBC Afrique

D 9 juin 2021     H 19:11     A Ndèye Khady LO BBC Afrique     C 0 messages


Le 21 mai dernier au moment de la montée des violences sur l’affaire Sheikh Jarrah, des milliers de Sénégalais manifestent en faveur de la Palestine dans les rues de Dakar et dans d’autres villes du pays.

L’ambassadeur de la Palestine au Sénégal, Safwat Ibraghith, se dit avoir été surpris par le soutien des sénégalais.

"Nous avons été submergé par l’élan de sympathie des Sénégalais qui sont naturellement venus nous consoler, des Sénégalais qui souhaitent rejoindre l’armée de la Palestine et se battre à nos côtés. C’est inédit. Je n’ai jamais vécu ça et je n’oublierai jamais cela. C’est un message fort et courageux. Ça nous a touché et impressionné", dit-il à BBC Afrique.

Cependant, la situation au Sénégal devient plus complexe.

Macky Sall, le discours qui fâche
Lors de la fête de l’Aid-El Fitr en mai dernier, le président sénégalais Macky Sall, a lancé un "appel" aux Israéliens et aux Palestiniens "pour une désescalade, afin que la paix revienne et que les discussions saines et sereines puissent être engagées entre ces deux communautés dans le respect du droit international".

Cette prise de position ne correspond pas à la politique habituelle du Sénégal relative au conflit israélo-palestinien.

De Léopold Sédar Senghor à Macky Sall, la diplomatie sénégalaise a toujours été du côté de la Palestine. C’est pour cette raison que le Sénégal préside depuis 45 ans le Comité pour l’exercice des droits inaliénables du peuple palestinien créé en novembre 1975 par les Nations unies.

Vous pouvez donc comprendre pourquoi le discours de Macky suscite des interrogations.

Le Mouvement de la réforme pour le développement social (MRDS), un parti politique sénégalais à orientation islamique, souligne que le discours de Macky Sall "a bien pris soin de ménager Israël, en évitant toute dénonciation ou condamnation".

"Le discours semble annoncer un changement de cap du gouvernement du Sénégal dans sa position, d’habitude affichée, de soutien au peuple Palestinien martyr", indique le MRDS dans une déclaration.

Pape Diogoye Faye, directeur de publication du journal sénégalais Direct News, affirme pour sa part que le discours de Macky Sall "rompt avec la ligne diplomatique du Sénégal".

"Si le président met dos à dos Israéliens et Palestiniens, il y a déphasage entre le peuple et le gouvernement. La manifestation du 21 mai dernier prouve que le peuple sénégalais tient à cette tradition de soutien à la cause palestinienne. Pour des raisons géostratégiques et de sécurité car on sait qu’Israël est un pays phare de l’espionnage et sans doute le Sénégal ne veut pas se mettre à dos une telle puissance", explique le journaliste.

Des diplomates sénégalais à la retraite interrogés par BBC Afrique pointent du doigt les intérêts économiques comme une motivation possible pour ce changement de politique.

La BBC a tenté à plusieurs reprises d’entrer en contact avec le ministre sénégalais des Affaires Etrangères et le porte-parole du président Macky Sall. Sans succès.

Qu’est ce qui a changé ?

Pourtant en décembre 2016, le Sénégal avait parrainé avec la Nouvelle-Zélande, la Malaisie et le Venezuela, la résolution 2334 du Conseil de sécurité de l’ONU condamnant la colonisation israélienne dans les Territoires palestiniens. Les Etats-Unis s’étaient abstenus ouvrant ainsi la voie à l’adoption de la résolution.

Israël avait réagi en rappelant son ambassadeur au Sénégal pour consultation et en annulant purement et simplement des programmes de coopération avec le Sénégal.

La vice-ministre des affaires étrangères, Tzipi Hotovely, déclarait à l’époque "qu’on ne peut pas considérer Israël comme acquis".

"Les pays ne devraient pas pouvoir faire des pèlerinages en Israël pour s’informer sur la lutte contre le terrorisme, la cyberdéfense et les technologies agricoles, et à l’ONU faire ce qu’ils veulent", disait-elle, citée par l’AFP.

Les deux pays vont finalement renouer en 2017.

Longue tradition de solidarité vis-à-vis de la Palestine

Pourtant en décembre 2016, le Sénégal avait parrainé avec la Nouvelle-Zélande, la Malaisie et le Venezuela, la résolution 2334 du Conseil de sécurité de l’ONU condamnant la colonisation israélienne dans les Territoires palestiniens. Les Etats-Unis s’étaient abstenus ouvrant ainsi la voie à l’adoption de la résolution.

Israël avait réagi en rappelant son ambassadeur au Sénégal pour consultation et en annulant purement et simplement des programmes de coopération avec le Sénégal.

La vice-ministre des affaires étrangères, Tzipi Hotovely, déclarait à l’époque "qu’on ne peut pas considérer Israël comme acquis".

"Les pays ne devraient pas pouvoir faire des pèlerinages en Israël pour s’informer sur la lutte contre le terrorisme, la cyberdéfense et les technologies agricoles, et à l’ONU faire ce qu’ils veulent", disait-elle, citée par l’AFP.

Les deux pays vont finalement renouer en 2017.

Longue tradition de solidarité vis-à-vis de la Palestine

En 1977, Léopold Sédar Senghor devient le premier président subsaharien à recevoir Yasser Arafat, en sa qualité de chef révolutionnaire de l’Organisation de Libération de la Palestine.

"Senghor a renouvelé son soutien aux Palestiniens en prenant une décision historique qui a fait du Sénégal, un des premiers pays au monde à reconnaître l’Etat de Palestine en 1989 sous Abdou Diouf", indique Sawat Ibraghit.

Le premier président du Sénégal a ainsi posé les jalons de l’érection de l’une des premières ambassades de la Palestine en Afrique, à Dakar.

Celui qui est considéré comme le père de la nation sénégalaise rompra en 1973 tout lien avec Israël en réaction à la guerre de 1973. Les deux pays renoueront en 1992.

"Du temps de Abdou Diouf, l’ambassadeur Abassy, enterré à Dakar avec sa femme et sa fille, était le doyen du corps diplomatique. L’Etat du Sénégal n’a pas cédé à l’époque aux pressions des pays occidentaux qui ne voulaient pas de lui comme chef des ambassadeurs accrédités à Dakar", raconte M. Ibraghuith

Le président de l’Assemblée nationale du Sénégal, Moustapha Niasse, témoin privilégié de l’histoire politique de son pays en tant que ministre des Affaires Etrangères sous Senghor (1979) et Diouf (1993-1998) déclarait en octobre 2018 que son pays "n’a jamais cessé de défendre la cause palestinienne".

"Nos frères et sœurs de la Palestine se battent depuis des décennies. Nous sommes tous des Palestiniens. Il faut que soit garantie, respectée et appliquée, une mise en œuvre des droits inaliénables de nos frères de Palestine dans la paix, la sécurité, dans un État indépendant et souverain avec Jérusalem comme capitale", affirmait M. Niasse devant des parlementaires de l’OCI.

Le passeport diplomatique sénégalais de Yasser Arafat

Le président de l’autorité palestinienne Yasser Arafat, était détenteur d’un passeport diplomatique sénégalais délivré par Léopold Sédar Senghor dans les années 1970, selon Pr Babacar Samb, spécialiste des civilisations contemporaines du Monde arabo-islamique.

Une information confirmée par l’ambassadeur de la Palestine.

"Le président Senghor a placé les relations palestino-sénégalaises sous le sceau de la solidarité en attribuant à Arafat et ses proches un passeport diplomatique sénégalais pour faciliter ses mouvements en Afrique et ailleurs alors qu’il était traqué avec ses compagnons par les ennemis de la Palestine", révèle-t-il.

En hommage au Sénégal, l’Autorité Palestinienne a un projet d’érection d’une place Léopold Sédar Senghor dans cette ville siège de l’autorité palestinienne, selon l’ambassadeur.

Abdoulaye Wade, l’homme qui voulait résoudre le conflit israélo-palestinien

Abdoulaye Wade se voyait en médiateur de la crise israélo-palestinienne. A cet effet, il avait organisé à Dakar en 2008 "un processus de dialogue fraternel visant à aplanir les divergences et à réconcilier la famille palestinienne".

L’ancien ministre d’Etat Habib Sy, directeur de cabinet du président Wade pendant les dernières années de sa présidence, se souvient de la volonté de l’ancien président de résoudre le conflit.

"Nous avons accueilli ici Mahmoud Abass lors du sommet de l’OCI en 2008. Le président Wade s’est beaucoup investi pour la résolution du conflit. Il entretenait de bonnes relations avec les Palestiniens. Il avait aussi de bonnes relations avec la Communauté mondiale juive. Il a aussi réussi à nouer des relations d’amitié avec le président américain Georges Bush Jr. Tout cela c’était dans le but de résoudre le conflit", explique M. Sy.

Wade était pour une solution à deux Etats.

A l’occasion du débat général de l’Assemblée générale des Nations Unies à New York en septembre 2011, Abdoulaye Wade proposait ce qu’il a appelé un modèle nouveau pour rapprocher les Israéliens et les Palestiniens.

"Au nom de la paix et de la justice, j’en appelle une fois de plus au gel des colonies de peuplement en terre palestinienne et à l’arrêt de la violence sous toutes ses formes, conditions sine qua non d’une reprise des négociations entreprises par d’autres pays, en vue d’un règlement pacifique du conflit dans l’intérêt des peuples palestinien et israélien et pour la stabilité du Moyen-Orient dans son ensemble", avait-il déclaré.


Voir en ligne : Seneweb