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Hommage à Oumar Blondin Diop

Par Madièye Mbodj

D 11 mai 2021     H 10:00     A Madièye MBODJ     C 0 messages


A la famille d’Omar Diop Blondin, en homage à Omar, que je n’ai pas personnellement connu mais dont les frères Jaalo, Alioune et Amala ainsi que tous les proches et amis ont millie fois raison d’exhumer le parcours et d’oeuvrer à perpétuer la mémoire, contre tous les pouvoirs assassins de ce bas monde.

11 mai 2021 : 48ème anniversaire de l’assassinat d’Omar Diop Blondin : ma réaction au synopsis de « L’Attrape-nigauds », un projet de film d’Omar, rendu public récemment par sa famille.

Pour ma part, je peux dire d’emblée que, je n’ai pas eu le temps de tomber dans la nasse de « l’Attrape-nigauds » ou d’être happé par « la folie des grandeurs » de ce personnage obsédé par « l’idéologie de l’élite », « faisant du monde des grandes écoles le seul qu’il admette comme référence ». Un grand malentendu au départ : « Nous voulions faire de toi quelqu’un », un grand quelqu’un, m’avait avoué un de mes profs de grec, surpris par mon retour subit à Dakar sans l’agrég de lettres classiques en poche ! Son inséparable compagnon, le chef de département, m’avait pourtant mis en garde : « J’ai confiance en l’excellent étudiant que tu es, mais sache bien que si tu veux avoir l’agrég, tu mets des œillères et tu oublies le monde pendant deux ans » ! Pourquoi deux ans ? Là aussi en effet, pour ce qui est du concours de l’agrég, comme pour la prépa évoquée par Omar, le candidat « en général, le rate la première fois. C’est une bonne chose car si le concours se réussissait du premier coup comme le bac, ce serait un droit et non une faveur. Or précisons-le il ne s’agit pas de former des hommes solides et bien armés sur le plan intellectuel ; il s’agit de former des hommes supérieurs, des élus. »

Quand je débarquai à Paris pour l’ENS d’Ulm à l’automne de l’année 1975, avec comme bagage la maitrise ès-lettres, admis à Ulm en qualité d’auditeur libre pour préparer le concours d’agrég, au moment où je commençais à me documenter sur le programme et à acheter les bouquins indiqués et autres ouvrages, mes camarades étudiants français quant à eux, bien au fait du contenu et des règles du jeu, entamaient quasiment déjà leurs … révisions ! il est vrai que, dans mon cursus scolaire et universitaire, je n’avais jamais redoublé, j’avais même sauté une classe. Dans toutes les disciplines, j’étais régulièrement ou premier ou second- sauf en EPS, dessin et musique ! Je n’avais jamais veillé des nuits et des nuits pour préparer un devoir, une composition ou un examen. Et à Ulm, malgré le challenge, je n’avais pas voulu changer ma conduite habituelle : ne rater aucun cours ni aucun devoir, travailler avec sérieux et régularité, sans excès ni excitants.

Par ailleurs avant Ulm, j’avais déjà fait à Dakar mes « classes préparatoires » d’aspirant maoïste dans des cadres clandestins de cellule syndicale et de cercle de formation politico-idéologique de militants étudiants. Débarqué à Paris, je n’ai donc pas eu le temps d’être happé par « l’Attrape-nigauds », ni par « la folie des grandeurs ». J’ai été par contre immédiatement plongé dans le tourbillon de l’agitation estudiantine, de l’effervescence des échos des luttes de libération nationale en Afrique, Asie et Amérique latine (‘’la zone des tempêtes’’ des années 70) ainsi que des controverses du « Grand Débat sino-soviétique » faisant suite aux thèses « révisionnistes » de Khrouchtchev à l’occasion du XXe congrès du Parti communiste d’Union soviétique en 1956, développées davantage lors de la ‘’Réunion des 81 partis communistes’’ à Moscou en novembre 1960. Voilà le décor campé et aussitôt accueilli à Paris, aussitôt propulsé Président de la MAF (Section Maison d’Afrique de l’Association des Etudiants Sénégalais en France-AESF). La MAF était considérée à l’époque comme le bastion imprenable des maoïstes au sein d’une AESF dominée par les ‘’révisionnistes’’ alliés aux ‘’trotskystes’’ ! Les militants étudiants de la MAF que nous étions, s’illustraient dans les tâches d’alphabétisation et d’intervention dans les foyers de travailleurs immigrés, à travers les CLET (Comités de Liaison Etudiants-Travailleurs) et se distinguaient particulièrement par leurs efforts significatifs dans le domaine de la création et de l’animation culturelles, contribuant ainsi à l’éclosion et à la propagation de ’’la culture nouvelle’’ ou caada gu bees, qui sera officiellement lancée et portée par le Front Culturel Sénégalais /Làngug Caada Senegaal à partir de la publication de son « Manifeste », à Dakar en Mai 1977. D’un côté, les multiples soirées culturelles rythmées par les sons de la musique traditionnelle sénégalaise, les danses, les sketchs, les poèmes et chants en français comme en langues nationales, de l’autre les réunions syndicales houleuses, les nombreuses manifs à Paris et en province à l’initiative de « détachements révolutionnaires » de peuples du monde entier se retrouvant dans le creuset d’un melting pot propice aux débats et aux luttes, tout cela entre autres laissait certainement peu de temps et de place à « l’Attrape-nigauds » ou à « la folie des grandeurs » !

Etait-ce une énième occasion manquée, selon les reproches formulés à mon endroit par mon oncle et confident, vieil instituteur des premières générations post indépendance ? Ou plutôt une chance, celle de ne pas s’être laisse prendre dans le corset de ce personage “”préfabriqué’’ ou ‘’predestine’’ à emprunter le chemin tracé par d’autres pour vous et pour des motivations qui, bien souvent, vous échappent ou vous dépassent ? Ou alors la vérité se trouverait-elle quelque part entre ces deux bouts extremes ?

Dakar, le 10 Mai 2021

Madieye Mbodj, ancien auditeur à
l’Ecole Normale Supérieure de la Rue d’Ulm, Paris- 7505-, France