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La tarification de l’eau dans les villes sénégalaises et l’accès à l’eau des populations pauvres

D 25 août 2011     H 04:13     A Moussa DIOP     C 0 messages


L’augmentation de la capacité de production a été réalisée grâce à deux programmes d’investissements : le Projet Sectoriel Eau (PSE) mené sur la période de 1996-2003 et le Plan Sectoriel à Long Terme (PELT) sur la période 2003-2007. Les investissements mobilisés ont atteint 216 milliards de francs CFA dans le cadre du PSE, auxquels se sont ajoutés 300 milliards de FCFA supplémentaires dans le cadre du PELT (1) . Au total, ces deux grands programmes d’investissement auraient permis d’augmenter la production d’eau potable à Dakar de 83% entre 1996 et 2006, soit de 192 000 à 350 000 m3/jour (SDE, 2004). Ces programmes auraient également permis de développer considérablement le service de distribution d’eau potable à travers une politique volontariste de raccordement aux branchements privés et d’extension du réseau des bornes fontaines, notamment dans les quartiers périphériques de Dakar. Entre 1996 et 2005, le nombre de clients de la Société des eaux (SDE) aurait augmenté de 60%. Ainsi, 76% de la population dakaroise aurait aujourd’hui accès à l’eau via un branchement privé.

Un effort particulier a été poursuivi pour améliorer l’accès à l’eau des populations les plus défavorisées grâce à la mise en place d’un programme de branchement sociaux subventionnés – de nombreux ménages ne disposant pas de ressources financières suffisantes pour payer le branchement au raccordement privé, dont le coût est en moyenne de 100 000 à 200 000 FCFA, soit 150 à 300 euros. En dix ans (1996-2005), environ 105 000 branchements sociaux auraient été installés gratuitement dans les quartiers jusque-là non desservis. Parallèlement, de nouvelles bornes-fontaines ont été implantées dans les quartiers périphériques. Celles-ci permettent aux ménages non raccordés aux branchements privés (ou à ceux dont l’abonnement a été suspendu ou résilié pour factures impayées) de s’alimenter en eau potable. Le nombre de bornes fontaines serait passé de 2 620 à 4 250 entre 1999 et 2003, soit une augmentation de 62%. En 2002, 18% de la population de la zone couverte par la SONES/SDE s’approvisionnait auprès de ces bornes.

LA POLITIQUE DE GESTION DE LA DEMANDE

Malgré l’augmentation des capacités de production d’eau potable, les autorités sénégalaises prévoient un déséquilibre entre l’offre et la demande à l’horizon 2015. Pour y faire face, elles ont cherché à améliorer la gestion de la demande par la mise en place d’une politique tarifaire visant trois objectifs :

 atteindre l’équilibre budgétaire du secteur (en 2003) par une augmentation annuelle du prix de l’eau entre 1998 et 2003 de 2,96% par an.

Permettre aux ménages les plus défavorisés d’avoir accès au minimum de mètres cubes d’eau potable nécessaire à la satisfaction des besoins de base,

 Utiliser le prix comme un signal de rareté de la ressource mais aussi comme une incitation dissuasive au gaspillage.

Pour répondre à ces objectifs, le Sénégal, comme la plupart des pays en développement, a choisi d’adopter une tarification progressive de l’eau potable qui dépend du volume d’eau consommé. Pour les abonnés domestiques, le système de tarification comporte trois tranches - tranche sociale, tranche pleine (ou normale) et tranche dissuasive - pour les lesquelles le tarif varie dans un rapport de un à quatre : 191,32 de francs CFA/m3 dans la première et 788,67 de francs CFA/m3 dans la troisième.

Le prix de vente de l’eau aux branchements privés

Malgré le tarif subventionné de 60% (par rapport au tarif plein) sur la première tranche de 20 m3 consommés par bimestre, le coût de l’eau reste toujours élevé. L’eau est devenue plus chère, au vu des difficultés de paiements des factures (coupures et résiliations) auxquelles les ménages pauvres sont confrontés. L’intérêt d’une subvention aussi élevée pour une tranche sociale qui bénéficie à tous les ménages sans discrimination n’est pas justifié si l’on sait que pour les ménages pauvres l’eau est devenue plus chère avec la réforme qui a introduit une nouvelle grille tarifaire et des augmentations de tarifs de l’ordre de 2,96% par an.

Bien qu’on observe un comportement de rationalisation des consommations par les ménages, les factures dépassent souvent 5000 F. La consommation bimestrielle de la plupart des ménages dépasse le seuil de la tranche sociale (les 20 premiers mètres cubes par bimestre) et se situe entre 21 et 40 m3, ce qui les classe dans la tranche pleine (ou tranche normale) facturée à 629,88 francs CFA le m3. Ce mode de tarification a eu des effets négatifs pour certains ménages démunis qui ne sont pas raccordées au réseau et qui doivent acheter l’eau chez des voisins, car la consommation cumulée de plusieurs familles fait monter le prix moyen du m3 et oblige ainsi ces familles à payer l’eau plus cher qu’un ménage à revenu plus élevé qui dispose de son propre branchement à domicile.

LE PRIX DE L’EAU AUX BORNES-FONTAINES

L’eau distribuée par borne-fontaine publique est vendue par la SDE à un prix intermédiaire entre le tarif de la tranche sociale et celui de la tranche pleine. Il est fixé à 322,31 Fcfa/m3 ou à 263,98Fcfa/m3 selon que l’on est dans une ville assainie ou non assainie.

De plus, les fontainiers appliquent en général une marge d’au minimum 100%. C’est pourquoi, il y a lieu de s’interroger sur le bien-fondé d’une tarification à la borne fontaine supérieure à la tarification sociale au niveau du branchement individuel car les populations qui s’approvisionnent à la borne fontaine sont a priori des populations qui ne peuvent pas être raccordées au réseau, soit qu’elles n’en ont pas les moyens, soit qu’elles en sont trop éloignées géographiquement. Elles devraient donc particulièrement bénéficier de mesures d’accompagnement social.

Quant aux tarifs de revente de l’eau à la borne fontaine, il semblerait qu’ils n’aient apparemment jamais fait l’objet d’une approbation formelle par décret ou arrêté interministériel comme c’est le cas pour la grille tarifaire par borne fontaine. Leur application sur le terrain est libéralisée et la bassine d’eau de 20 à 25 litres est vendue dans une fourchette de tarifs comprise entre 15 et 35 francs CFA (soit l’équivalent de 600 à 1400 francs CFA par m3) selon le quartier et le préposé. Un tel niveau de tarif finit par être très dissuasif pour les ménages pauvres auxquels ce mode d’accès était initialement destiné. Une des conséquences de cette pratique de tarifs exorbitants au niveau de la borne fontaine est la désaffection des ménages pauvres pour les bornes-fontaines au profit de sources nouvelles d’approvisionnement, moins onéreuses, mais qui procurent une eau de mauvaise qualité.

Aussi, il est à déplorer le manque de transparence dans le mode de calcul, la fixation des tarifs de revente, leur diffusion et affichage publics pour que nul usager n’en ignore les niveaux et les unités de mesures utilisées (bassine de 25 litres, seau de 10 litres, fût de 40 ou 200 litres, etc.). Il est impossible pour l’usager de la borne-fontaine d’effectuer un autocontrôle en raison de l’inexistence de règles claires de vente de l’eau à la borne-fontaine. Ce défaut montre l’absence notoire de contrôle des tarifs appliqués et de la qualité du service offert par les préposés aux bornes fontaines et incombe certes à la responsabilité de la SONES, de la SDE et aux autorités municipales, garantes de la qualité du service offert aux usagers sur le territoire communal. Mais, plus généralement, il permet de s’interroger sur l’action citoyenne des associations d’usagers et de consommateurs, au niveau national, alors que certaines comme l’ADEETELS et l’ASCOSEN (Ndlr : des associations de consommateurs), censées plaider pour la révision totale des textes qui régissent la régulation du secteur, siègent au comité de pilotage du Programme d’Eau Potable et d’Assainissement du Millénaire (PEPAM).

BILAN

Les efforts consentis dans le cadre du PSE et PELT ont certes contribué globalement à l’augmentation du taux d’accès (de 70% en 1996 à 85% en 2006 en milieu périurbain de Dakar), mais ils n’ont toutefois pas permis de gommer les disparités des ménages face à l’accès à l’eau, notamment entre Dakar la capitale (76% par BP), les villes régionales (57% par BP) et les quartiers péri-urbains. Parmi ces disparités, nous pouvons noter que :

 Les quartiers spontanés ou non lotis où vit une frange importante des populations défavorisées sont exclus par le cahier des charges de la SONES des extensions de réseau et ne peuvent donc pas prétendre aux branchements sociaux pourtant destinés aux pauvres.

 Les bornes fontaines autorisées dans ce type de quartier ont eu certes l’avantage de fournir le service rapidement à ces zones défavorisées, mais elles n’ont pas permis de fournir de l’eau au plus bas prix aux plus pauvres.

 L’eau des bornes-fontaines est nettement plus chère que le tarif social destiné aux plus pauvres.

 Beaucoup de poches de pauvreté ne bénéficient pas du tout du tarif social parce qu’ils ne disposent pas de branchement privé.

 Dans les zones à faible revenu où les branchements sont peu nombreux, beaucoup de ménages partagent un seul branchement et consomment l’essentiel de leurs besoins dans une tranche tarifaire supérieure à la tranche sociale.

 La carence de critères d’éligibilité aux branchements sociaux destinés en priorité aux pauvres, fait que les ménages aisés profitent davantage de la subvention.

La situation de l’accès à l’eau est très critique dans les quartiers périurbains de l’agglomération dakaroise (Pikine Guinaw rails,Thiaroye, Grand Yoff, etc.). À cause des lotissements irréguliers, il existe peu d’efforts de mise en place d’un système d’accès à l’eau potable planifié ; or ce sont des zones qui concentrent la majorité des populations pauvres de Dakar qui n’a pas toujours les moyens de se payer un branchement particulier. Le fait qu’un quartier doive être loti pour être éligible aux branchements sociaux exclut de fait les populations des quartiers dits spontanés, dont le statut économique et social est pourtant des plus précaires. Pour ces quartiers, la réponse technique de la SONES est l’installation de bornes-fontaines, qui certes offrent aux usagers un accès « raisonnable » à l’eau potable, mais à un coût très élevé.

NOTE

(1) Le PSE a été finance par une dizaine de bailleurs de fonds, dont la Banque Mondiale (44%) et l’Agence Française de Développement (28%). La Banque Mondiale a également finance le PELT à hauteur de 52%. Les bailleurs de fonds des deux projets (Projet Sectoriel Eau et Projet Eau Long Terme) sont : l’AFD, la KFW, La BEI, la BOAD, la BADEA, la SONEES et surtout l’IDA. Regroupés autour d’un pool bancaire composé de la Citybank et de la CBAO et à cause d’un contexte de réduction de l’aide publique au développement, ces partenaires ont avant tout une logique financière cherchant à garantir le remboursement des prêts contractés par l’État du Sénégal. Cette logique financière se traduit par une démarche allant dans le sens du renforcement des capacités institutionnelles et opérationnelles de gestion du sous-secteur et par une approche techniciste des programmes et des projets qui sont d’abord lus à travers le prisme de la rentabilité financière et de la rationalité économique.

* Moussa DIOP est sociologue - Laboratoire IRISES (Paris Dauphine) - Cet article fait partie d’un numéro spécial sur l’eau et la privatisation de l’eau en Afrique, réalisé dans le cadre d’une collaboration entre Transnational Institute, Ritimo, et Pambazuka News. Ce numéro spécial est publié en anglais English et en français French.

Source : http://www.pambazuka.org