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Sénégal : Déclaration sur les 7 et 8 mars

D 8 mars 2023     H 08:36     A Yoonu Askan Wi ( Sénégal)     C 0 messages


Le mois de mars s’est imposé progressivement un peu partout dans le monde comme une période dédiée aux femmes en raison du fait qu’elle abrite la journée internationale des femmes qu’est le 8 mars. Ce constat est valable si l’on considère l’évolution des choses sous un angle historique avec la manifestation originelle des ouvrières américaines le 8 mars 1857 ou les rassemblements du 8 mars contre la guerre durant la première guerre mondiale et celle des femmes russes le 8 mars 1917 à la veille de la révolution d’octobre. Il en est également ainsi d’un point de vue institutionnel, depuis la fixation officielle de la première journée internationale des femmes à la Conférence de Copenhague en 1910 sur l’initiative de Clara Zetkin jusqu’à la déclaration des Nations Unies en 1977 en passant par les différentes conférences onusiennes (Mexico, Nairobi et Copenhague) qui ont précédé cette dernière. Sans oublier le Protocole de Maputo initié les 8 et 9 mars dans le cadre de la préparation au niveau africain de la conférence de Beijing. Mais, dans ce panorama chronologique, l’évènement qui a le plus marqué les esprits est peut-on dire, le drame qui a frappé le mouvement ouvrier le 25 mars 1911 avec la mort dans l’incendie d’un atelier textile à New York, de 140 ouvrières dont une majorité d’immigrantes enfermées à l’intérieur d’une usine. Evènement qui rattache de ce fait, la question féminine à la situation générale des travailleuses et celle des ouvrières plus spécifiquement. Evènement devenu mondial et auquel se rattache en plus, en raison de la tonalité dramatique qu’ils partagent tous deux, l’épopée des femmes de Ndeer qui, plusieus décennies auparavant, ont fait preuve d’un courage, d’une vision et de valeurs incommensurables, par l’acte de don de soi légué à la postérité, via l’immolation qu’elles se sont elles-mêmes infligée volontairement.

Cependant aujourd’hui, cette coïncidence suscite çà et là, des propositions qui, en toute bonne foi sans doute, suggèrent de remplacer le 8 mars par le 7 mars en soutenant que cette dernière date participe d’un événement qui nous appartient en propre alors que la première elle, nous serait tout simplement étrangère. De pareilles suggestions qui semblent en apparence aller de soi, ne tiennent pas suffisamment compte du fait que les femmes déjà soumises en général à diverses formes d’asservissement domestique, subissent en plus comme travailleuses, à l’instar de toutes les autres composantes des masses laborieuses, le diktat d’un système global régi par le déploiement du capital. Cet état de fait donne la mesure de l’erreur de taille que constituerait l’affaiblissement de l’impact d’un 8 mars renouant avec sa véritable signification dans notre agenda d. En ce XXIème siècle, c’est en effet de façon globale que les larges masses féminines continuent de subir de plein fouet les conséquences désastreuses de l’impérialisme contemporain. L’un et l’autre, le 8 mars et le 7 mars de Talaatay Ndeer expriment la même nécessité d’incorporer pleinement dans la lutte contre l’esclavagisme mercantiliste, l’exploitation impérialiste et l’oppression néocoloniale, le rejet des antivaleurs patriarcales qui, depuis des temps immémoriaux, façonnent des pratiques et des mentalités d’aliénation et de dépossession des femmes de leur droits et devoirs fondamentaux. Réalité contre laquelle, les femmes du Waalo et les Linguères qui ont assuré leur leadership à la tête de ce royaume historique situé entre le Fouta Toro des almamis et les émirats maures, ont su ramer à contre-courant. Seule une telle intégration peut permettre de réunir les conditions pour inscrire au cœur de la lutte de libération globale, l’exigence de suppression des inégalités de sexe et l’oppression spécifique qu’elle génère dans tous les secteurs de la vie sociale. Comme quoi, des références historiques s’élaborant dans des contextes géographiques, culturels ou politiques variés peuvent porter des enjeux de prime abord divergents, comme cela semble être le cas pour les épisodes historiques des 7 et 8 Mars. Alors qu’en vérité, les logiques historiques dont elles procèdent, loin d’appeler au rejet de l’un ou de l’autre évènement auquel renvoient ces références, doivent au contraire dans leur lame de fond, être considérées comme des facteurs de complémentarité et d’enrichissement mutuel, des moments convergents d’appropriation du patrimoine historique dont les femmes du peuple sont porteuses dans la dynamique de l’égalité de genre et de la transformation sociale.

Force est de constater cependant que de façon générale, à l’encontre de la volonté des femmes de s’engager pleinement dans la lutte pour la souveraineté et la démocratie contre le colonialisme, le néocolonialisme et leur politique élitiste de déculturation systématique, plusieurs obstacles se dressent dans notre pays, comme autant de remises en cause de la nécessité de réaliser l’égalité citoyenne entre les sexes. Parmi ces obstacles, le défaut d’application des dispositions juridiques existant concernant par exemple les violences de toutes sortes faites aux femmes et aux filles ; une situation socio-économique délétère avec l’appropriation égoïste des produits collectifs du labeur populaire par une minorité exploiteuse, les multiples entraves sociales, les difficultés économiques qui aggravent la précarité et la paupérisation dans laquelle se compte une grande partie de femmes et leurs familles, confrontées à de grandes difficultés sociales malgré les projets brandis autour du PSE et de ses Plans d’Action Prioritaires, censés améliorer leur quotidien (PUDC, DAP, PUMA, carte d’égalité des chances, bourses familiales, DER, etc. Il est important de mener la lutte pour l’application des résolutions en faveur des femmes adoptées par les différentes institutions susmentionnées. Il est aussi vrai que la victoire de l’opposition aux élections locales dans les grandes villes et les percées notables effectuées ailleurs par des listes citoyennes autonomes et par la coalition Yewwi Askan Wi en particulier, peuvent et doivent rendre possible au plan de l’éducation fonctionnelle en faveur des femmes, l’acquisition de savoirs et de savoir-faire immédiatement applicables dans leurs différentes activités pour démultiplier leurs compétences en les développant dans différents domaines économiques, sociaux, culturels et autres. Il s’agit là de conditions nécessaires mais cependant pas suffisantes. Pour que la lutte des femmes puisse être portée à une nouvelle échelle, il importe aussi en effet pour le mouvement démocratique des femmes de se doter d’une plate-forme programmatique portant sur les spécificités des besoins des femmes, dans les domaines sociaux, économiques, socioculturels et politico- juridiques. Autant de points de revendications à préciser en vue de se mobiliser pour leur matérialisation effective.

De cette manière, engagée dans la conquête d’une citoyenneté inclusive et désaliénée pour mettre un terme définitif à leur exclusion de la vie publique, elles affirmeront leur rôle aux côtés des forces motrices sociales et politiques, actrices de cette étape de transformation sociale complexe, perpétuant ainsi les traditions de lutte des 7 et 8 mars. Elles le feront en capitalisant la conscience historique dont les femmes du peuple sont porteuses en tant que catégorie sociale particulière et gardienne des valeurs de justice, de solidarité ainsi que des œuvres de culture et de civilisation au sein de la formation sociale sénégalaise. Elles le feront enfin sans omettre de conduire une révolution des mentalités et des comportements pour une conscience désaliénée dans le mouvement démocratique, pouvant mettre fin notamment aux effets pervers de la fausse conscience féminine dans l’ensemble de la société, aux pratiques qui les reproduisent ainsi qu’à leur instrumentalisation, électoraliste en particulier, par les forces de domination.

Pour s’élever au niveau de la symbolique que véhicule le 8 mars, il convient d’y ajouter les revendications spécifiques pour les travailleuses autour des axes ci-dessous, à préciser et compléter : Le droit au travail pour les femmes à considérer comme des membres à part entière de la société en tant que citoyennes ayant le même droit que les hommes de travailler et de bénéficier du fruit de leur travail.

Par conséquent, la lutte pour la préservation de la dignité et de l’identité nationale-communautaire menée par les femmes de Ndeer contre le mercantilisme esclavagiste, ne doit pas être coupée de la dynamique de prise en compte de la globalité de la condition féminine sur le socle de l’identité de classe, symbolisée par les luttes féminines ouvrières qui ont donné naissance à l’épopée du 8 mars.

Fait à Dakar le 6 mars 2022

LA COMMISSION NATIONALE DES FEMMES DE YOONU ASKAN WI