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Sénégal : Le refus d’un choix

D 21 mars 2012     H 12:38     A Adama Gaye     C 0 messages


La perpétuation du pouvoir honni est la principale certitude qui attend le Sénégal, au lendemain du 25 mars prochain. Au milieu des ralliements en tous genres qui rappellent une autre transition démocratique ratée en l’an 2000, celle qui se profile à l’horizon n’augure rien de bon pour le Sénégal. Je m’excuse d’emblée de devoir jouer les destructeurs d’illusions et de lever ici un drapeau rouge. D’alerte !

Je ne parviens pas à comprendre que les leçons infligées par Abdoulaye Wade n’aient pas rendu nos compatriotes plus exigeants. Dès l’aube de son arrivée au pouvoir, sa désinvolture, sa gestion solitaire, son goût prononcé pour la capture des biens financiers et matériels de la nation à des fins privées et familiales, mais aussi au service de rapaces adeptes de la démocratie du ventre, autant que sa propension à n’écouter que les larbins, laudateurs et lascars avaient indiqué la faillite du projet de changement qualitatif qu’il prétendait porter.

Déjà, alors, les appels pour le « laisser travailler » pendant qu’il causait dégât sur dégât étaient un symptôme grave de la culture de la compromission qui ronge le peuple sénégalais. Aujourd’hui, voyant venir la fin de celui dont il acceptait tous les caprices, sa précipitation à se jeter dans les bras d’un sous-produit, partie intégrante des méfaits du wadisme, traduit sa capacité inquiétante à accepter l’intolérable, mais surtout à retourner la veste sans se poser les questions de fond incontournables. La crainte de tomber de Charybde en Scylla ne semble point le faire douter...

Largué au passage, Wade devrait ruminer l’histoire de son échec monumental. Voici un homme qui aurait pu copier le modèle Mandela, mais qui n’est plus qu’un cas digne d’être enseigné dans nos écoles. Comme contre-modèle de comportement civique ! Seul l’horizon du déshonneur s’offre désormais à lui. Le tribunal de La Haye mériterait de l’accueillir pour qu’il rende compte des crimes qui lui sont imputés. A coup sûr, il devra rendre des comptes à la nation. Tant de ressources ont été spoliées sous sa (mal) gouvernance. Protecteur des médiocres et des détourneurs, complice des amplificateurs de contrats pour ramasser commissions et rétro-commissions, promoteur de projets mirifiques dont les principaux objectifs visent à satisfaire un ego surdimensionné, mais aussi à couvrir des marchés douteux, homme léger et superficiel, Wade mérite donc ce qui lui arrive. Traitre à la cause démocratique qu’il voulait remplacer par un projet monarchique, il est allé au bout de l’impensable, en révélant le triste sire qu’il est. Qu’il s’étonne que les cris de joie qu’il déclencha naguère se soient transformés, comme lors de son vote, le 26 février dernier, en huées stridentes, n’a fait que confirmer une réalité de premier ordre : il a perdu le sens des évidences. Comme tous les dictateurs arrivés en fin de course.

De là à absoudre celui qui lui fera face au second tour, le 25 mars, il y a un pas lourd de conséquences que je refuse, pour ma part, de franchir. J’ai connu Macky Sall grâce à Abdoulaye Wade précisément. C’était au début de l’alternance. A l’époque, malgré mon opposition à son avènement pour des raisons qui m’étaient propres, parce que je connaissais mieux l’animal politique que les Sénégalais célébraient, je n’en avais pas moins estimé de mon devoir de mettre au service de mon pays mes contacts et mon expérience pour aider, à distance. C’est ainsi que, pour faire obtenir au Sénégal un contrat de pétrole et de fioul, j’avais introduit Wade auprès d’un de mes amis, un ancien président de l’OPEP, vivant alternativement entre Vienne et Abuja. A la suite de quoi, une lettre fut rédigée par nos soins (j’en ai gardé une copie annotée de Wade !).

Wade l’envoya à Obasanjo à travers une délégation conduite par Macky Sall. Lorsque cette délégation se retrouva au Nigéria sans m’avoir averti et fut sur le point d’échouer en dépit d’une audience accordée par l’ancien président nigérian, je reçus un appel désespéré de Macky, au nom du président, pour sauver la situation, à partir de Londres où je me trouvais alors. Ce que je fis. Mon ami donna le lendemain un contrat pétrolier de 30000 barils de pétrole par jour et des milliers de tonnes de fioul pour la SENELEC. Son compte rendu du comportement de la délégation sénégalaise à l’annonce de sa décision est trop problématique pour que je l’évoque ici. Serigne Mboup, président du Conseil d’administration de la Sar, Carmelo Sagna, ex-Dg de la Sar et une autre personne avaient aussi fait partie de ce voyage. Un représentant de l’ambassade du Sénégal au Nigéria était également du lot.

Par la suite, j’ai suivi les comportements de certains membres de l’entourage de Macky et n’en garde pas le meilleur souvenir ! Demandez à ceux qui savent. J’ai vu en eux les mêmes méthodes wadistes dégoûtantes. Elles consistent à récupérer des commissions sur contrat mais aussi à comploter avec les partenaires que d’honnêtes compatriotes amènent au pays dans le but de les évincer de relations d’affaires légitimes. Wade le faisait cyniquement en oubliant combien, au temps où les portes des autorités africaines et des milieux d’affaires lui étaient fermées, quand il vivotait dans l’opposition, il savait se montrer doux comme un agneau pour qu’on l’aide à gagner sa vie. Ayant trahi ses bienfaiteurs d’alors, les Kadhafi et Bongo de ce monde, il a été logique avec lui-même dans son attitude honteuse ! Macky ne serait-il qu’un clone de celui qui l’a fait politiquement et financièrement ? On ne peut s’empêcher de le penser...

Aussi bien, au moment où, sous la pression combinée de la crise et des désillusions causées par la gestion monarchique et médiocre de Wade, les Sénégalais sont prêts à se contenter de la peste, qui se pose en alternative, je préfère, pour ma part, aller à la pêche.

Je ne veux pas être demain complice de quelque régime qui pourrait n’être que le bras armé d’un mercantilisme français, apeuré par l’émergence de nouveaux partenaires venant du Sud, et qui en est devenu encore plus arrogant surtout après ses incursions en Côte d’Ivoire et en Libye.

Faire l’autruche, c’est refuser de se poser certaines questions déterminantes à ce stade de l’évolution du Sénégal : celui qui veut prendre le leadership du pays en a-t-il les capacités ? Qui est derrière Macky Sall ? Qui le finance ? D’où sort sa soudaine richesse ? Les sous de Taiwan ? Que faut-il penser de ces industriels occidentaux dont on dit, à tort ou à raison, qu’ils suivent avec gourmandise son parcours dans l’espoir de récupérer la mise, demain ? Quel est son projet politique ? Qui sont ces déchets du régime libéral l’entourant ? Que veulent ces autocrates ou autres forces maçonniques de l’ombre qu’on dit être derrière lui ? Peut-on, doit-on, passer par pertes et profits sa contribution à la destruction des valeurs tangibles et intangibles du Sénégal tout au long de son cheminement avec Wade qu’il n’a quitté que forcé et contraint, et que dire de ses atermoiements sur la ligne de conduite retenue par le M23 ?

Dans quelle mesure la démocratie a-t-elle un avenir avec un acteur qui a préféré jouer en solo au moment où les autres tentaient, vaille que vaille, de créer les conditions d’une vraie transition démocratique ? Comment peut-on passer sous silence sa participation au scrutin frauduleux de l’an 2007 qui est la mère de toutes les dérives qui étranglent le Sénégal ? Depuis cette consultation-là, j’ai, pour ce qui me concerne, compris que voter n’était rien d’autre que conforter la pire des situations, celle qui résulte, on le voit, en la possibilité d’un wadisme sans Wade, avec, à la clé, l’absolution de toutes les magouilles du régime libéral. La démocratie ne peut se ramener à ce rituel électoral dont on sait combien il a fini par transformer les rêves démocratiques en cauchemars sur le continent...

Que les ténors de la soit-disante opposition classique aient contribué à ce qu’aucune véritable transition en profondeur ne se présente pour les Sénégalais, comme l’exige la gravité des défis de l’heure, n’est qu’un pas de plus dans le rôle négatif que la plupart d’entre eux ont joué, surtout ceux d’entre eux qui ont imposé leur candidature en brisant le mythe superficiel de l’unité qui faisait encore la force de Bennoo. D’avoir aussi accepté de recycler tous les voleurs du régime libéral wadien pour leur donner une nouvelle virginité est une autre bévue que l’histoire se chargera de leur coller demain...

Certes, le pouvoir est donné par Dieu à qui il veut, nous enseigne le Coran. Mais le Seigneur n’a jamais dit que l’homme n’avait pas le droit de marquer sa défiance. De s’opposer si besoin, étant entendu que ‘Yalla yalla bayy sa toll’ (aide-toi, le ciel t’aidera). Parce que je ne crois pas à cette transition, produit d’un processus malhonnête, où l’argent malhonnêtement acquis a joué un rôle décisif, je choisis, en mon âme et conscience, de dire non au choléra et à la peste. Comme j’avais pris le parti de m’inscrire à contre-courant de l’euphorie générale entourant l’arrivée de Wade au pouvoir, en l’an 2000, au point de subir ses foudres que je savais non fondées en raison, et surtout ingrates de la part d’un homme à qui j’avais rendu des services multiples de toutes sortes, je préfère me mettre dans le camp de l’opposition à ce tissu politique arlequin masquant tous les défis pour mettre le pays au régime donormil.

Le réveil sera brutal après ce rêve onirique autour d’un homme dont la face cachée, sombre, doit plutôt inciter à la réserve, à la prudence, voire à la vigilance. Mais, comme naguère, le rêve en plein jour est en train de devenir une spécialité sénégalaise. Sans doute coincé, ayant perdu espoir, le peuple sénégalais peut être excusé de certains de ses choix, dont celui que, sans enthousiasme, il est appelé à faire dans quelques semaines.

Quant aux activistes, politiciens et acteurs de la société civile prompts à s’agglutiner autour d’un vainqueur potentiel, il y a de fortes raisons pour penser que les nouvelles amitiés, les liens de famille créés de toutes pièces et les justifications stratégiques ou politiques déclinées ça et là ne sont rien d’autre qu’une variante de la course classique pour aller à la soupe. Mais demain, il fera jour : que Dieu garde le Sénégal.




* Adama Gaye est journaliste, consultant sénégalais Chercheur invité de l’Université Stanford en Californie.

Source : http://pambazuka.org