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Sénégal : situation sociale et politique

D 3 janvier 2012     H 12:47     A Moulzo     C 0 messages


2012 sera une année cruciale pour le Sénégal, pays de
quelques 14 millions d’habitants et qui, fait assez rare en
Afrique post coloniale, n’a jamais connu de coup d’Etat
militaire. En effet, les prochaines élections présidentielles,
normalement prévues en février 2012 risquent d’être très
mouvementées. D’ailleurs, les représentations diplomatiques des
pays occidentaux (notamment celles de la France et des Etats
Unis) craignent le pire. Le Président sortant M. Abdoulaye Wade,
après deux mandats (il a été élu en 2000 puis réélu en 2007),
veut se présenter de nouveau.

Les opposants au régime de M. Wade l’accusent de ne pas
respecter la constitution de 2001 qui limite le nombre de mandats
à 2 alors que M. Wade considère que son premier mandat de
2000, obtenu avant la nouvelle constitution ne fait pas partie du
décompte de mandats autorisés. Depuis plusieurs mois, un débat
de constitutionnalistes fait rage à Dakar, tandis que des avocats
français sont appelés à la rescousse par le Président Wade, qui
compte se représenter coûte que coûte aux prochaines élections
présidentielles. Il serait intéressant de savoir pourquoi cet
entêtement du Président Wade (85 ans aujourd’hui) à maintenir
cette candidature contestée qui risque d’entraîner son pays dans
le chaos politique ? Pourquoi cet homme qui a su conduire le
Sénégal à l’alternance politique en 2000 (avec le soutien de
plusieurs partis de gauche ou s’en réclamant) est devenu à son
tour un acharné du pouvoir ? Qu’est ce qui empêche M. Wade de
sortir par la grande porte de l’histoire politique du Sénégal en
confiant la responsabilité de son parti libéral à ses véritables
héritiers politiques (dont son fils d’ailleurs) et de les laisser briguer
le fauteuil présidentiel ?

La question est simplement légitime et la
réponse très simple : Wade veut certainement remporter les
élections de 2012 puis partir en laissant le pouvoir à son fils
comme l’en accusent d’ailleurs ses opposants (l’ancien parti au
pouvoir le Parti Socialiste, ses anciens alliés de 2000 et plusieurs
autres partis comme Yoonu Askan Wi[i] réunis dans la coalition
Benno Siggil Sénégal[ii]) ?

En tout cas, tous les actes posés par Wade semblent l’indiquer.
Comme sa tentative déjouée de changer la constitution (de
nouveau) en 2011 et d’imposer un couple Président-Vice Président
ainsi que le quart bloquant aux prochaines élections
présidentielles de 2012. Le mouvement M23 qui est né à la suite
des contestations du 23 juin 2011 contre ce projet inique de Wade
pourrait bien être l’épine qu’il ne pourra pas retirer de son pied.
En effet, cette coalition, qui regroupe des partis d’opposition du
pays, la société civile et des mouvements citoyens (comme le
mouvement « Y’en a marre »[iii]), pourrait faire de l’ombre à
l’opposition traditionnelle sénégalaise. En effet, six mois après sa
création, il faut bien se rendre à l’évidence ; le M23 pose un
problème réel de conscience aux Partis d’opposition réunis
autour de la coalition Bennoo Sigil Sénégal (qui n’est d’ailleurs
pas arrivée à présenter une candidature unitaire en décembre).
La nervosité que le M23 confère au Parti Démocratique
Sénégalais (PDS), le parti de Wade, est la preuve ultime du poids
de ce mouvement né des contestations sociales de juin 2011 et
qui ne compte pas hypothéquer sa dynamique.

Pendant ce temps, la situation sociale est toujours la même pour
les populations (les seules véritables victimes du régime libéral
de Wade) qui tentent de s’en sortir comme elles peuvent grâce à
la débrouillardise. La crise économique européenne fait craindre
une nouvelle dévaluation du Franc CFA[iv] (celle de 1994 a été
un véritable traumatisme) tandis que les Western Union des
migrants pour soutenir leur famille restée au pays se font de plus
en plus rares à cause de la situation économique dramatique de
l’Espagne et de l’Italie (qui regroupent une bonne partie de
l’immigration économique sénégalaise). De plus, Les délestages
d’électricité ne sont toujours pas complètement réglés malgré les
promesses de Karim Wade, nommé ministre de l’énergie en mai
2009 par son père après ses déboires aux élections municipales
et rurales de mars 2009 (il est battu dans son propre bureau de
vote à Dakar). La tentative de dévolution monarchique de M.
Wade semble donc bien réelle, elle est même dénoncée par son
ex-premier ministre Idrissa Seck, emprisonné pendant plusieurs
mois par le régime de Wade (pour détournement de fonds
publics) puis libéré, aujourd’hui candidat contre son ancien père
spirituel libéral.

En décembre 2011, il y avait déjà plus de 20 candidats déclarés
dont deux issus de Benno Siggil Sénégal (ensemble pour relever
le Sénégal), l’alternative la plus crédible à gauche pour battre le
parti au pouvoir. Mais avec deux candidats déclarés(le PS n’a pas
accepté le vote de désignation du candidat qui ne lui a pas été
favorable), l’opposition semble donner du crédit aux sénégalais
qui jugent les hommes politiques peu crédibles et sans parole.
Malheureusement, ce sont bien les héritiers de M. Wade,
notamment Idrissa Seck et Macky Sall (ses ex Premier Ministres
devenus opposants) qui vont profiter des divisions de l’opposition.
L’opposition sénégalaise de gauche, après avoir porté un libéral au
pouvoir pour faire partir le Parti Socialiste (qui est resté 40 ans au
pouvoir) va-t-elle de nouveau servir de tremplin aux héritiers
légitimes de ce régime cette fois ci pour faire partir M. Wade ?

Les partis politiques de la gauche radicale (RTA/S[v] ; Yonnu Askan
Wi[vi], UDF-Mbolo MI[vii], Ferñent / Mouvement des
Travailleurs Panafricains – Sénégal) doivent continuer à
approfondir cette troisième voie qui a été une généreuse idée
vite oubliée au nom de la sacro-sainte alliance contre M. Wade.

Moulzo

 [i] Ce parti issu de la scission d’AND-Jeff PADS (Parti Africain pour la Démocratie et le Socialisme) est un parti ami du GTA/NPA.
 [ii] « Ensemble pour relever le Sénégal ».
 [iii] Voir Afriques en lutte n°13.
 [iv] Voir article sur le Franc CFA dans ce numéro d’Afriques en lutte.
 [v] Rassemblement des Travailleurs Africains/Sénégal.
 [vi] Mouvement pour l’Autonomie Populaire.
 [vii] Union pour la Démocratie et le Fédéralisme.