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Répression en Sierra leone

D 24 mars 2023     H 06:00     A Amnesty International     C 0 messages


Sierra Leone. Sept mois après les manifestations d’août 2022 qui ont pris un tour violent à certains endroits, les personnes blessées et les proches des personnes tuées attendent toujours que justice soit rendue

Amnesty International a recueilli des témoignages faisant état d’un recours excessif à la force par les forces de sécurité pendant et après les manifestations
Les familles de 27 personnes tuées n’ont pas été autorisées à enterrer leurs proches
Certaines des personnes arrêtées pendant les événements n’ont pas vu d’avocat·e avant leur procès

Amnesty International appelle de nouveau les autorités à veiller à ce que des enquêtes impartiales et transparentes soient menées sur ce qui est arrivé à toutes les victimes

Amnesty International a recueilli des témoignages faisant état d’un recours excessif à la force par les forces de sécurité de Sierra Leone dans le cadre de la répression des manifestations qui ont pris un tour violent à Freetown, Makeni et Kamakwie en août 2022, lors desquelles six policiers et plus de 20 manifestant·e·s et passant·e·s, dont au moins deux femmes, ont été tués. Pourtant, il a fallu plus de deux mois à l’État pour restituer les corps des civil·e·s pour qu’ils puissent être enterrés, a déclaré Amnesty International le 20 mars 2023, après avoir enquêté sur les événements.

Des représentant·e·s d’Amnesty International se sont entretenus avec des témoins, des proches de victimes, des représentants du gouvernement, des membres de la police et des organisations de la société civile à Freetown et Makeni en décembre 2022.

« Même s’ils sont confrontés à des manifestant·e·s violents, les responsables de l’application des lois ne doivent recourir à la force que lorsqu’ils ont épuisé tous les autres moyens pacifiques d’atteindre leurs objectifs. Tout usage de la force doit en outre être proportionnel à la situation à laquelle ils sont confrontés. Amnesty International appelle par ailleurs le Comité spécial mis en place pour enquêter sur les événements à mener ces enquêtes rapidement et de manière impartiale », a déclaré Samira Daoud, directrice régionale pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale à Amnesty International.

Allégations de recours excessif à la force à Freetown et Makeni

Le 10 août 2022 et les jours suivants, les forces de sécurité auraient tué et blessé des manifestant·e·s et des passant·e·s lors des manifestations à Freetown, Makeni et Kamakwie. Un homme qui a été témoin des événements à Freetown a expliqué à Amnesty International comment il a découvert le corps de sa sœur : « La police a commencé à crier de manière aléatoire dans la foule. J’étais à proximité et je suis rentré en courant chez moi […] Vers 10 heures, ma plus jeune sœur, qui vivait avec mon autre sœur qui est morte, est arrivée en courant et m’a dit que notre sœur avait été tuée […] Elle avait une première blessure par balle au bras gauche. La deuxième était proche de sa clavicule […] Elle saignait beaucoup au niveau du cou. Il y avait du sang partout. » Il a expliqué que sa sœur ne participait pas à la manifestation et se trouvait chez elle lorsqu’elle a été abattue.

Amnesty International a également recueilli le témoignage du père d’une femme de 22 ans qui ne participait pas à la manifestation et qui aurait pourtant été abattue par les forces de sécurité. Il a déclaré : « Ma fille ne participait pas à la manifestation. Elle était allée vendre des légumes. »

Une personne travaillant à l’hôpital de Makeni a vu arriver au total 11 personnes gravement blessées les 10 et 11 août 2022, dont deux hommes ayant reçu des balles dans le dos, une jeune fille de 16 ans qui présentait une blessure par balle dans la zone pelvienne et un homme blessé par balle près de l’œil gauche.

Un manifestant de Makeni a décrit à Amnesty International les violences dont il a été victime et témoin le jour des manifestations. « J’ai été arrêté par [l’armée] et remis aux mains de la police. Ils m’ont frappé sur tout le corps avec les crosses de leurs fusils, leurs ceintures et leurs casques de protection… »

Le jour des manifestations, à partir de 15 heures, les autorités ont imposé un couvre-feu national. Un jeune homme de Makeni a déclaré à Amnesty International qu’il n’avait pas été informé du couvre-feu et que la police lui avait tiré dessus alors qu’il était avec des amis : « Nous étions simplement assis et discutions entre amis. Rapidement, une patrouille de police est arrivée… Les policiers criaient. Ils ne nous ont rien dit. Nous avons commencé à fuir, j’ai été touché par une balle au bras droit. »

Quelques jours après les manifestations, un homme a été tué à Makeni lors d’une descente des forces de sécurité visant à arrêter les personnes ayant participé aux manifestations du 10 août 2022. D’après la police, il a été tué dans un échange de tirs. Le frère de cet homme a déclaré à Amnesty International qu’il s’était rendu à l’hôpital où le corps de son frère se trouvait et avait reçu la confirmation du médecin légiste qu’il avait reçu une balle par derrière.

« J’ai demandé le rapport, mais il [le médecin légiste] a dit qu’il n’avait pas le droit de me le donner, qu’il avait été envoyé au ministère de l’Intérieur. […] S’il avait été tué dans des échanges de tirs, il aurait été touché par devant, pas par derrière. »

Des enquêtes efficaces et transparentes doivent être menées sur le recours excessif à la force et tous les homicides

Le 24 août 2022, un Comité spécial a été créé par le gouvernement pour enquêter sur les événements liés aux manifestations, mais il n’a, à ce jour, rendu publique aucune conclusion de ses enquêtes.

Parallèlement, d’après l’inspecteur général de la police, des personnes ont été arrêtées pour l’homicide d’un policier à Freetown et celui d’un autre policier à Makeni, ainsi que dans le cadre d’affaires d’incendie volontaire à Kamakwie. Cependant, aucune enquête de police n’a été ouverte sur les homicides de manifestant·e·s et de passant·e·s.

« Amnesty International appelle les autorités de Sierra Leone et le Comité spécial à mener une enquête indépendante, impartiale et exhaustive non seulement sur les homicides de policiers, mais également sur le recours à la force par la police pendant et après les manifestations, qui a causé des blessures et des morts, et à veiller à ce que les personnes responsables d’homicides illégaux, d’actes de torture et de toute autre forme de mauvais traitements soient traduites en justice. Surtout, les conclusions de l’enquête du Comité spécial doivent être rendues publiques », a déclaré Samira Daoud.

Garantir l’équité des procès

Selon l’inspecteur général de la police, 515 personnes ont été arrêtées après les manifestations du 10 août, dont environ 200 pour avoir enfreint le couvre-feu. Le nombre exact de personnes toujours détenues n’a pas été révélé.

Les personnes arrêtées ont été poursuivies en justice pour diverses infractions, notamment pour destruction volontaire de biens, incendie volontaire, défilé illégal, comportement séditieux et homicide. D’après des témoignages reçus, certaines des personnes arrêtées n’ont pas pu rencontrer leur avocat·e avant leur procès et ont été déclarées coupables exclusivement sur la base du témoignage du policier ayant procédé à leur arrestation, sans qu’aucun autre élément de preuve ne soit présenté. L’un des avocats représentant des personnes détenues a déclaré à Amnesty International : « À partir du 10 août, l’équipe a demandé à plusieurs reprises l’autorisation de leur rendre visite, en vain. Nous avons présenté des demandes de visite au siège de la Division des investigations criminelles, mais nous n’avons pas été autorisés à les voir. Nous avons présenté des demandes au centre correctionnel, mais n’avons toujours pas pu les voir. Mes supérieurs ont présenté des demandes, mais elles n’ont pas non plus été accordées. Je ne les ai vus qu’un mois plus tard, au tribunal, lors de leur inculpation. »

L’inspecteur général de la police a déclaré que les personnes arrêtées avaient pu rencontrer leurs avocats. « Les avocats souhaitaient rencontrer leurs clients seuls, mais nous leur avons indiqué que les enquêteurs devaient être présents […] Cela s’est passé avant la déposition des personnes détenues. »

« Les personnes détenues doivent pouvoir consulter un·e avocat·e dès leur placement en détention, y compris pendant leur interrogatoire. Elles doivent disposer de suffisamment de temps et des installations nécessaires pour s’entretenir avec leur avocat·e en toute confiance », a déclaré Samira Daoud.

Parmi les cas similaires recensés par Amnesty International figure celui de deux femmes qui auraient été arrêtées pendant les manifestations à Freetown alors qu’elles attendaient sur leur lieu de travail. D’après la personne chargée de leur défense, les seuls éléments de preuve contre elles étaient le témoignage du policier ayant procédé à l’arrestation et ceux de deux enquêteurs qui ne se trouvaient pas sur les lieux. Elles ont toutes deux été condamnées à une peine de 18 mois d’emprisonnement, la peine la plus lourde pouvant être prononcée pour comportement séditieux et troubles à l’ordre public. « Toutes les personnes arrêtées doivent bénéficier de procès équitables. Les droits de la défense doivent être protégés et les juges des juridictions de première instance et d’appel ne doivent pas s’appuyer uniquement sur le témoignage du policier ayant procédé à l’arrestation pour rendre leur décision », a déclaré Samira Daoud.

Les familles de victimes n’ont pas été autorisées à enterrer leurs proches

Un homme a déclaré à Amnesty International qu’il avait eu des difficultés à identifier le corps de sa sœur lorsqu’il avait pu la voir, plusieurs semaines après les événements. « Nous avons dû attendre un mois avant de pouvoir aller identifier les corps. Le ministre de l’Intérieur a publié un communiqué de presse indiquant qu’il fallait aller identifier les corps. Des membres du personnel de l’hôpital nous ont également informés. Nous sommes allés voir les corps, mais je n’ai rien vu. Le corps était décomposé. Je ne pouvais pas l’identifier […]. »

Le 17 octobre 2022, plus de deux mois après les manifestations, les corps de 27 personnes ont été enterrés à Waterloo. D’après le gouvernement, un enterrement public a été organisé pour des raisons de sécurité et les familles y avaient donné leur accord. Certains proches de victimes ont cependant déclaré ne pas avoir eu le choix et ne pas avoir eu la possibilité d’enterrer eux-mêmes leurs proches.

Un membre de la famille de l’une des victimes a déclaré à Amnesty International : « Nous avons demandé si nous pouvions emmener son corps pour lui offrir un véritable enterrement, car nous sommes musulmans. [Un médecin de l’hôpital Connaught] a dit que ce n’était pas possible sans autorisation du gouvernement. On nous a dit que les corps ne nous étaient pas restitués pour des raisons de sécurité. On ne nous a pas demandé si nous étions d’accord ou pas. »

« Les autorités doivent veiller à ce que les proches des victimes puissent accéder facilement aux lieux de sépulture de leurs proches », a déclaré Samira Daoud.

« À l’approche de l’élection présidentielle qui doit se tenir en juin, les autorités doivent protéger les droits aux libertés d’expression et de réunion pacifique et veiller à ce que le maintien de l’ordre respecte les normes internationales et nationales en matière de droits humains. La Loi de 1965 relative à l’ordre public doit être modifiée pour prévoir explicitement une exception à la condition de notification préalable pour les rassemblements spontanés. »

Complément d’information

Le 10 août 2022, des manifestations ont éclaté à Freetown et dans d’autres régions du pays dans le contexte du mécontentement croissant face à l’augmentation du coût de la vie. Certaines des personnes manifestant ont appelé à la démission du président Julius Maada Bio.