Togo : à deux mois du premier tour de la présidentielle, un processus électoral non-démocratique au vu et au su de tous
Communiqué
30 janvier 2020 10:08 0 messages
Alors que, depuis 1993 et la fin du parti unique, les élections non-démocratiques se succèdent sans discontinuer au Togo, le premier tour d’une nouvelle élection présidentielle y est prévu le 22 février 2020. Depuis l’arrivée au pouvoir de Faure Gnassingbé en 2005 par un triple coup d’Etat militaire, constitutionnel et électoral, les militants démocrates se mobilisent pour des réformes qui permettent de faire démarrer la démocratie par une alternance électorale. Après l’Accord Politique Global (APG) de 2006, ils se sont battus, pour obtenir l’application de la limitation à deux mandats présidentiels et une élection présidentielle à deux tours. Des manifestations massives en 2017 ont obligé Faure Gnassingbé à accepter ces réformes, mais il a réussi à imposer la possibilité d’un quatrième mandat, en soumettant la lecture de la constitution à ses propres intérêts, en mettant le compteur de mandats à zéro selon une pratique admise en Afrique presque uniquement dans les dictatures francophones.
Dans un pays où les premières fraudes électorales remontent à 1951, le pouvoir est particulièrement expérimenté et créatif dans la pratique des crimes électoraux. Les détournements de processus électoraux sont le plus fréquemment réalisés en imposant une Commission électorale nationale indépendante (Céni) soumise au gouvernement, un fichier électoral corrompu, des fraudes et achats de conscience massifs le jour du vote dans des régions supposées plus favorables au pouvoir et une compilation des résultats frauduleuse et invérifiable en l’absence de publication complète des résultats bureau de vote par bureau de vote. Les Missions d’observations européennes, affaiblies par la proximité du belge Louis Michel avec le régime depuis 2004, ont, après 2010, tiré un trait sur ce pays, où elles semblent dans l’impossibilité de faire quelque chose d’utile.
Le processus électoral de la présidentielle de 2020 est déterminé par les décisions qui ont été prises durant le processus électoral des législatives boycottées du 20 décembre 2018. La possibilité du quatrième mandat a été imposée par la réforme de la constitution votée par le parlement issu de ce scrutin. Le fichier électoral est issu du fichier des législatives qui a été fabriqué lors du recensement électoral boycotté par l’opposition. Il lui manque encore une partie des électeurs malgré la mise à jour très incomplète des municipales du 30 juin 2019 et quatre jours de recensement très insuffisants entre le 30 novembre et le 3 décembre 2019. Le fichier est selon l’opposition « gonflé dans les zones que le parti au pouvoir considère comme ses fiefs, et réduit dans les zones qu’il estime hostiles ». La Céni, composée à partir du résultat des législatives, est sous le contrôle du ministre de l’administration territoriale de la décentralisation et des collectivités locales. En outre, depuis les législatives, il n’existe plus de coalition unique de l’opposition, ce qui était le cas avant avec la coalition C14.
La communauté internationale et africaine s’appuie sur la Cédéao pour intervenir au Togo. En août 2017, des manifestations ont éclaté dans tout le pays pour réclamer la limitation du nombre de mandat présidentiel et le départ du chef de l’Etat. La répression a fait plusieurs morts et les manifestations ont été interdites. En octobre 2017, Alpha Condé, alors président de l’Union africaine et de plus en plus proche de plusieurs dictateurs africains, s’est imposé comme un des deux médiateurs de la Cédéao, avec le président ghanéen Nana Akufo-Addo. Leur médiation a aidé le régime à se maintenir et Alpha Condé est le principal responsable du discrédit de la Cédéao qui en découle.
Alpha Condé a géré la crise en 3 phases, d’octobre 2017 à juillet 2018, de manière assez neutre, d’août 2018 à novembre 2018, d’une manière orientée en faveur du pouvoir togolais, et, en décembre 2018, de manière à faire complètement dérailler le processus, alors que l’option du boycott était engagée. A un moment crucial, le président guinéen, a laissé l’opposition croire qu’elle pouvait continuer sur ses revendications et sur une stratégie de boycott en cas de non-respect des revendications, parce que la Cédéao ne laisserait pas le chef de l’Etat l’emporter si facilement. Avec l’aide du groupe Bolloré, il s’est aussi chargé de calmer le leader du Parti National Panafricain (PNP), Tikpi Atchadam, en exil à Conakry. L’opposition a demandé à la population de boycotter l’enrôlement électoral et a elle-même boycotté la formation de la Ceni. Puis, au final, Alpha Condé a lâché la pression sur Faure Gnassingbé. Dans toutes les hypothèses, il apparaît qu’Alpha Condé a géré cette crise en fonction de ses propres intérêts, qui se sont avéré ultérieurement en phase avec ceux de Faure Gnassingbé. En effet, quelques mois plus tard, le président guinéen s’est lui-même engagé sur la voie du troisième mandat qui serait adopté par un vote du parlement, avec remise à zéro du compteur de mandat à la manière des dictateurs africains francophones, selon la même méthode qu’au Togo.
Le chef de l’Etat togolais a placé son ministre des affaires étrangères, Robert Dussey, comme négociateur en chef pour le groupe des pays ACP dans le cadre de la négociation du nouvel accord ACP-UE post-Cotonou. Assuré de ses principaux appuis à la Cédéao et à l’Onu, l’Ue totalement neutralisée, s’appuyant sur les services chèrement payés de Tony Blair sur le Plan National de Développement, Faure Gnassingbé tente aussi de perpétuer les pratiques les plus obsolètes de la Françafrique. Après le passage de Manuel Valls pendant la primaire socialiste de la présidentielle française, il a obtenu les services de Ségolène Royal, de passage à Lomé vers le 26 juin 2018 puis entre le 22 et le 26 novembre 2019, qui tente de lui assurer tant bien que mal un plaidoyer jusqu’à l’Elysée. Il a également réussi à se faire apprécier du député républicain Jean-Claude Bouchet, qui, lors de sa visite le 22 novembre 2019, a salué « l’évolution du Togo sur le plan démocratique avec les dernières élections législatives et municipales » et a transmis un message sur le Sahel à Paris.
A ce stade du processus électoral, l’opposition démocratique et la société civile exigent la reprise du processus électoral sur de nouvelles bases, à savoir : le retour à la liberté de manifester, la recomposition de la Céni et de la Cour constitutionnelle, la reprise du recensement électoral de manière sérieuse, l’authentification des bulletins de vote pour empêcher les bourrages d’urnes, l’affichage et la proclamation des résultats bureau de vote par bureau de vote et l’ouverture totale du vote des togolais de l’étranger.
Dans les conditions actuelles, le seul acquis démocratique pour ce processus électoral est le second tour. Comme l’ont montré les présidentielles au Congo Brazaville, au Tchad et à Djibouti en 2016, la possibilité de second tour n’empêche pas une inversion des résultat si le processus électoral n’est pas démocratique. L’électorat de Faure Gnassingbé est depuis longtemps minoritaire, et, il l’est encore plus depuis la création du PNP, mais le scénario le plus probable est celui de la mise en œuvre d’une série de procédés, l’empêchement de voter dans les zones favorables à l’opposition, des bourrages d’urnes, une falsification massive de procès-verbaux en sortie des bureaux de vote, une validation de ces procès-verbaux par la Céni, suite de manipulations qui aboutirait à un score au premier tour de plus de 50% pour Faure Gnassingbé.
Depuis 1990, et encore plus depuis 2005, le cycle ‘élection non démocratique – contestation – répression’ se perpétue. Si rien n’est fait pour reprendre le processus électoral de manière démocratique, le pays entrera dans une nouvelle période d’instabilité ou s’enfoncera dans le statu quo sous répression militaire. Le Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politiques en Afrique invite la communauté internationale et africaine à ne pas abandonner le Togo et à se montrer ferme dans l’exigence de conditions démocratiques.
Après la présidentielle en Algérie le 12 décembre, le début de l’année 2020 en Afrique, sera particulièrement marqué par des élections en régimes non-démocratiques. Des législatives sont prévues aux Comores le 19 janvier, au Cameroun le 9 février et en Guinée le 16 février, en attendant dans les semaines ou mois suivants les législatives au Tchad. Cette série d’élections non-démocratiques va se dérouler dans les anciennes colonies françaises et sera sans doute une nouvelle fois l’occasion de constater la continuité de la politique française dans l’indifférence aux luttes démocratiques en Afrique.
Le Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politiques en Afrique demande au gouvernement français de défendre l’instauration d’une démocratie véritable dans ces pays et de mettre fin aux ambiguïtés diplomatiques lors des processus électoraux non-démocratiques, qui favorisent un rejet de plus en plus fort de la politique française en Afrique francophone. Début 2020, le parlement européen et la commission européenne seront en début de mandat. Le Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politiques en Afrique invite le parlement européen et l’Union européenne à s’engager de nouveau pour la démocratie et à montrer qu’il et elle ne cèdent pas de terrain face aux dictateurs africains pendant les négociations sur le futur accord ACP-UE.
Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politiques en Afrique,
Paris, 16 décembre 2019
7 signataires : Alliance Nationale pour le Changement Ile-de-France (ANC-IDF, Togo), Union nationale pour le développement et le renouveau (UNDR, Tchad), Alliance Républicaine pour le Développement (ARD, Djibouti), Coalition d’Opposition pour la Restauration d’un Etat Démocratique (CORED, Guinée Equatoriale), Amicale Panafricaine, Parti de gauche, Europe Ecologie les Verts (EELV).
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Voir en ligne : Collectif pour les luttes sociales et politiques en Afrique
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