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Algérienne, en lutte contre le pouvoir et pour les droits des femmes

D 8 mars 2019     H 05:26     A Sam Wahch, Titi     C 0 messages


Titi, étudiante en master de français à la Faculté Aboudaou à Bejaïa, militante au PST depuis 2015 et membre de l’association « Savoir + » depuis 2014, association culturelle et scientifique de l’université. Elle nous donne son avis après la marche du 1er mars à Bejaïa et sur les deux marches des femmes qui auront lieu le 8 et le 9 mars.

Quelle a été l’ampleur de la marche du 1ermars et quel était l’état d’esprit ?

Je pense que la marche du 1er mars était plus massive que celles du 22 et du 26 février. On peut presque dire que ce n’était pas une marche. On a occupé les rues tellement on était nombreux. Elle était vraiment grandiose.

Les mots d’ordre étaient pour une assemblée constituante représentative des intérêts démocratiques et sociaux de la majorité du peuple. Pour la grève générale pour renverser le système. Non au pouvoir des oligarques, oui au pouvoir au peuple. Pour les libertés démocratiques et la justice sociale.

Qu’est-ce que le pouvoir va pouvoir faire face à cette mobilisation ?

C’est un point d’interrogation. Au début on est sorti contre le 5ème mandat, même si dès la deuxième marche, on a entendu « système dégage », donc maintenant c’est tout autour du système en place et du clan du président, on redoute que ça s’éteigne.

Dans les prochains jours, on a la marche des femmes, appelée par le Collectif femmes de Bejaïa, pour le 8 mars, une marche des étudiants mardi 5 mars et une marche des femmes syndicalistes affiliées au CNAPESTE1 le 9 mars.

Les mots d’ordres principaux des appels pour les deux marches des femmes sont « l’abrogation du Code de la famille » et « l’égalité homme femme ». Mais je pense que la marche des femmes syndicalistes porte aussi sur le 5ème mandat. L’appel pour le 8 mars par le comité femmes de Bejaïa est dirigé vers les femmes. Celui des femmes syndicalistes du 9 mars s’adresse à toute la société, elles appellent les femmes, les hommes, les familles à marcher.

Pourquoi l’abrogation du Code de la famille comme revendication ?

Le Code de la famille algérien reprend exactement ce qui est écrit dans la Charia. Il opprime doublement la femme. Elle est considérée comme mineure à vie, elle a toujours son tuteur que ce soit son père, son frère ou son mari. Elle n’a pas la liberté de s’exprimer, de sortir, elles n’ont aucune liberté réelle dans un pays non développé comme le nôtre. Donc c’est pour ça qu’elles ont centré les revendications sur l’abrogation du Code de la famille.

Il y a eu certaines avancées. Par exemple au niveau des violences faites aux femmes, dans le milieu du travail ou ailleurs, il y a eu un changement dans le Code pénal. Il y a eu une loi en 2015 qui dit qu’une femme peut déposer plainte contre son mari s’il la bat, mais il y a une clause dans cet article qui dit qu’elle peut aussi lui pardonner. Et dans notre société si une femme dépose plainte contre son mari, c’est une atteinte à la famille. Quand elle part au commissariat pour déposer sa plainte, on la dissuade, on lui demande de préserver son mariage, ses enfants, son mari. Elles retirent souvent leurs plaintes.

On espère que tout ça va évoluer, mais c’est compliqué parce que nous les femmes, on ne se réunit pas, on ne discute pas de notre condition. Parce que même s’il y a des collectifs de femmes, c’est compliqué de se réunir et il y a parfois des rivalités.

Est-ce que vous vous sentez soutenues par les hommes dans cette lutte ?

Par certains hommes oui qui nous soutiennent vraiment à fond sur ces questions. Il y en a d’autres qui sont hypocrites, ils sont féministes et nous soutiennent, mais quand ils viennent aux rassemblements contre les violences, ceux du 8 mars ou les hommages aux féministes décédées, ils viennent sans leur femme ou leur fille. Donc on se retrouve dans des rassemblements où il devrait y avoir des femmes et où il y a beaucoup plus d’hommes. Donc c’est un soutien mais c’est hypocrite de leur part. Y’a une citation qui dit « les hommes qui se disent féministes sont pour la liberté des femmes des autres ».

Les femmes s’intéressent à ces questions, mais il y a toujours cette peur de leur famille de leur mari, elles n’osent pas franchir le pas, sortir dans les rues alors elles préfèrent se taire. Et puis, elles pensent que c’est leur sort, qu’elles sont là pour préserver leur foyer, leurs enfants et c’est tout.

Tu penses que les mobilisations autour des élections vont pouvoir faire bouger les choses pour les femmes ?

On espère, mais je ne sais pas. Le vendredi 8 mars le jour de la marche des femmes, il y a également un appel anonyme sur Facebook pour une marche appelée « Système dégage », le même jour à la même heure et avec le même itinéraire. On va voir ce que ce qui va se passer.

Pourquoi y a-t-il un appel pour le 9 mars ?

Les femmes syndicalistes n’ont pas voulu sortir le 8 mars parce que c’est un vendredi et il y avait des gens qui disaient que les islamistes étaient derrière, c’était pour éviter ça.

La question s’est posée aussi pour la mobilisation contre le 5ème mandat, parce qu’en plus c’est juste après la prière. Il y a eu des appels à la vigilance sur Facebook qui disent « attention ce sont des provocations, les islamistes sont derrière », c’est peut-être pour semer la peur dans le cœur des manifestants.

Quel peut être votre impact à vous, le PST dans ce mouvement ?

Nous on essaye d’intégrer le mouvement et d’être souple. Porter leurs revendications des manifestants, du peuple et petit à petit leur propose nos mots d’ordres à nous. Par exemple si on était venu à la marche avec nos banderoles PST on se serait retrouvé à l’écart, la société et le mouvement nous auraient rejeté, alors on préfère y aller doucement.

Vous vous sentez rejetés par le mouvement ?

Non, au contraire ! Surtout par rapport au PT, le parti des travailleurs. Le 1er mars à Alger quand Louisa Hanoun a marché, les gens lui on dit « dégage ». Elle se dit révolutionnaire mais c’est faux. Dans ses déclarations elle soutient Bouteflika et le peuple le sait.

Nous les gens marchaient à côté de nous. Mais on a manqué d’organisation pour préparer nos slogans.

La marche des étudiants a été encore plus anarchique. Au début il y avait deux marches appelées avec deux itinéraires différents. Ce n’est que la veille de la marche qu’on a réussi à s’organiser. On a été pris de vitesse par la mobilisation de la Fac, on n’a pas pu se réunir quotidiennement pour préparer le mouvement. Mais on est dedans quand même. Ça va vite avec les réseaux sociaux.

Que penses-tu de l’absence de policiers à la marche du 1ermars à Bejaïa ?

Depuis la marche du 22 février à Bejaïa, il n’y a aucun policier. Ça nous a étonné, parce que d’habitude ils sont là pour assurer le pacifisme de la marche. Peut-être que c’est un jeu du pouvoir. Ça ne dégénère pas pour le moment, parce que selon ce qui va se passer pour les candidatures ça peut dégénérer.

Les autres partis se positionnent comment face aux élections ?

Le peuple rejette complètement les partis politiques parce qu’ils font de la récupération et le peuple en est complètement conscient.

Comment c’est d’être militante politique en Algérie ?

Moi je suis militante d’un parti mais je dois surveiller ce que je fais à l’extérieur, parce que les gens savent que je suis au PST donc je dois surveiller mon comportement pour ne pas salir l’image du parti ou ma propre image. Que les hommes boivent et fument est vu comme quelque chose de normal dans notre société, les femmes ne peuvent pas faire ça en public, parce que les gens vont s’abattre sur nous. Pour ma famille au début ce n’était pas simple d’accepter. Mais en 2017 mon père est tombé malade et ce sont les camarades du parti qui l’ont aidé. Il sait que ceux sont des gens responsables et il a confiance en eux donc quand je vais en réunion ou au camp, mes parents n’ont pas peur.

Dans les Facs, il y a des filles qui viennent dans les associations, elles s’y sentent libres mais pas en dehors du bureau. Par exemple, on a fait une grève cette année et elle n’a pas rencontré l’adhésion des filles. Il y en avait quelques-unes dans les réunions mais elles n’ont pas pris la parole.

Les marches le vendredi c’est aussi compliqué pour les femmes, parce que pour celles qui travaillent c’est le jour où elles s’occupent de leur maison et pour celles qui ont des enfants, c’est le jour où elles sont avec eux.

Bejaïa, samedi 2 mars 2019, propos recueillis par Sam Wahch.