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Le « Hirak » trace la voie de l’Algérie nouvelle

D 23 mars 2023     H 06:00     A Nacer Aheddad     C 0 messages


Le « Hirak » a indéniablement marqué la société algérienne. Il est désormais le point de mire de toute action et réflexion politique pour l’avenir ; Un avenir qui dépend, en grande partie, de la capacité à comprendre la dynamique en cours et les prédispositions de la société à régler sa propre destinée, en partant d’une double hypothèse :
1- que dans tout processus de changement, chaque phase dans le développement est le résultat synthétique de phases précédentes, sans obéir à une quelconque linéarité ;
2- qu’à travers toute dynamique des masses émergent des élites, des leaders et des partis politiques qui constituent un élément très important du processus, avec des discours et des projets qu’il faudra comprendre et situer leurs portées et leur limites programmatiques.

Le « Hirak » est accompagné par des lectures politiques diverses, du classique discours « gauche/droite », qui porte sur les aspects économiques et sociaux avec des positionnements libéraux/antilibéraux, aux aspects politiques et idéologiques, démocrates/islamistes. Mais l’enjeu fondamental reste entre ceux et celles qui réclament une rupture politique avec le régime, et ceux/celles qui s’inscrivent dans la « réforme » du système et de dialogue avec le pouvoir en place. Le refus majoritaire des élites politiques d’une rupture radicale, sous différents prétextes, a réussi à dissuader des franges de la société en mouvement et à emmener le « Hirak » vers l’impasse actuelle.

Un bilan critique est donc nécessaire afin de tracer ou placer le mouvement dans une trajectoire à la hauteur des exigences de la société ; pour aussi actualiser nos acquis programmatiques et répondre à des questions nouvelles en fonction des rapports de force qui changent et évoluent. Ce bilan doit se faire non pas en fonction d’une « vérité » qui n’existe pas ou d’une « utopie » supra-historique, mais conformément au mouvement réel et les questions posées par ce même mouvement. Il doit se faire aussi en combinant les revendications du moment, avec les divergences et contradictions, et les réponses des élites politiques en soulignant l’écart flagrant qui a marqué ces deux dynamiques. Cet écart est à l’origine de l’impasse actuelle. C’est ce que nous allons voire en tentant de répondre aux questions suivantes :

· Fallait-il s’arrêter à la démission de Bouteflika avec comme prime l’emprisonnement du « clan bouteflikiste » qui gouvernait ?

· Fallait-il accepter, plus tard, la voie tracée par Gaid Salah et appeler à participer aux élections présidentielles du 12/12 et engager le mouvement dans une logique, ou la chimère, d’un changement de l’intérieur et graduel ?

· S’agit-il de renoncer à « yatnhaw Gaâ » (enlever tout le monde) ?

· Fallait-il rester sur le slogan « Djeich/Chaâb Khawa/khawa » (fraternité entre peuple et l’armée) et rejeter « Madania machi aâskaria » (pouvoir civile et pas militaire) ?

· Le mot d’ordre d’assemblée constituante et l’appel à la grève générale étaient-il une surenchère qui répond plus à des fins idéologiques au-delà de la portée du mouvement ?

Les réponses à ces questions passent par une lecture des différentes phases du mouvement et les composantes sociales et politiques d’un côté et les propositions politiques des élites de leur soubassement idéologique et programmatique d’un autre côté.

Questions de méthode

La dimension politique est indéniablement présente dans ce Hirak. Par la revendication fondamentale, ou le point qui est à l’origine du débordement du vase plein, à savoir le refus du 5° mandat, la question politique est restée présente tout le long du mouvement. Vouloir réduire la protestation aux revendications sociales et économiques immédiates, sous prétexte de l’immaturité politique de la situation, que « ce ne serait pas le moment », (ماشي وقتها) comme nous l’avons souvent entendu, constitue une régression et un frein à l’élan qui a poussé la société à bouger. Attitude qui a ses conséquences aujourd’hui dans le retour de manivelle répressif.

Sur le plan méthodologique, l’approche dominante à « droite » ou chez les conservateurs est souvent l’empirisme. A « gauche », on procède souvent, voire exclusivement, par déduction, c’est-à-dire en tirant des conclusions, analyses et mots d’ordre à partir d’un modèle théorique considéré comme vérité. Le « marxisme », élaboré en partant du développement du capitalisme et des révolutions qui l’ont accompagné en Europe du 19° siècle, revu et corrigé par les révolutions du 20°siècle avec ce qui est appelé « léninisme », « trotskisme » ou « maoïsme », entre autres, est la matrice de ce modèle. Le problème c’est qu’il y a autant de « marxismes » que de « léninismes » et de « trotskysmes » et autres « ismes » qui se revendiquent du même référant.

Il n’est pas question ici de remettre en cause cet acquis théorique vérifié et confirmé par deux siècles d’histoire. Il s’agit pour nous de replacer le marxisme à la place qui lui convient. Il ne représente pas une vérité qu’il faut atteindre en dehors de toute vérification. Il ne nous présente pas ce qu’on doit faire, mais ce qu’on peut faire notamment dans une situation de lutte politique intense. Le projet, ou la ligne politique, procède par petites avancées avec la constitution d’un arrière-plan théorique, mais que seules la lutte réelle et permanente peut développer.

Notre pratique mêle connaissance de l’histoire des luttes politiques et les critiques du point de vue de la lutte des classes et prise en compte du contexte et observation directe pour susciter réflexions et actions, au même temps qu’elle soulève des questions sur notre capacité aujourd’hui de transformer le monde. Questions qui, si le contexte a changé en deux siècles, n’en gardent pas moins toute leur actualité relative au capitalisme et ses limites.

Il ne s’agit ni de fuire dans l’utopie ni d’abdiquer dans l’attente du messie. Il ne s’agit ni de reproduire le modèle soviétique ni de reprendre le fil téléologique coupé par Staline. Il s’agit d’agir politiquement sur la société et dans la société en combinant les revendications immédiates (réformes) et la conquête du pouvoir politique, de la démocratie et de l’état selon la formule de Lénine. (L’état et la révolution)

Partons donc de quelques hypothèses théoriques qui sous-tendent notre réflexion et notre action militante ;

1- La société algérienne est désormais capitaliste, quelques soit les mécanismes d’appropriation « primitives », inégaux ou combinés, par expropriation ou par reproduction élargie de ce capital.

2- Ce sont les dynamiques de luttes politiques et sociales qui sont le moteur de changements continus.

3- L’orientation politique n’appartient pas exclusivement au domaine des choix intentionnels des « avant-gardes ». Elle est le fruit d’une conscience spontanée qui se combine avec la conscience critique des avant-gardes et aux résultats de l’action collective de la mobilisation de masse qui opère ses conquêtes, ses corrections, ses revirements en choisissant sélectivement dans l’expérience de tous, non le « nouveau » comme opposable à tout point au « déjà existant », une utopie, mais le « nouveau » comme degré progressif de « l’ancien », utilisant tout ce qui peut rester utile, et innovant le nécessaire.

4- Cette conscience s’appuie synchroniquement sur les mobilisations et les « hirak » en cours dans le monde, (Tunisie, Syrie, Chili, Gilets jaunes, Soudan…). Elle s’appuie aussi et surtout diachroniquement sur les « hirak » anciens qui en constituent la matrice. C’est le cas pour l’Algérie de la révolte de 2001, d’octobre 88 en remontant jusqu’a 8 mai 45, des faits et des moments qui sont d’ailleurs évoqués dans le mouvement.

Commençons par l’observation et la description des faits.

Chronologie [1]

Le soulèvement (22 février-2 avril) ; c’est le 2 février 2019 que fut annoncée la candidature de Abdelaziz Bouteflika pour briguer son cinquième mandat. Des appels à manifester, à travers les réseaux sociaux, sont lancés le jour même à Bejaia, le lendemain à Oran. Les premières protestations d’ampleur pour exprimer le rejet de cette candidature sont enregistrées les 15-17 févriers à Bordj-Bou Arreridj et à Kherrata, mais aussi de moindre ampleur à Chlef, Jijel et Ain-Beida. Le vendredi 22 février, une multitude de mobilisation se déroulent un peu partout dans le pays. Elle marque la première grande manifestation à Alger depuis l’interdiction de toutes manifestations dans la capitale après la grande marche du 14 juin 2001 et le début d’un mouvement inédit dans l’Algérie contemporaine.

Dès les premières marches, la non-violence a émergé comme posture phare à travers le slogan « Silmya », suivis par les slogans appelants à la rupture politique avec le « système Bouteflika » ; « ni Bouteflika, ni Said », « système dégage », mais aussi « djeich, chaab khawa-khawa ».

Les marches du 22 février et 1 mars impressionnent par le nombre (environ 800 000 à Alger et leurs extension territoriale). Malgré les menaces d’Ouyahia d’un « destin syrien ou d’un scénario de guerre civile », les marches se perpétuent et grandissent, accompagnées de protestations étudiantes et de grèves.

Les 11 mars, Bouteflika renonce formellement et officiellement à se présenter à la présidentielle. Il annule, en violation de sa propre légalité, le scrutin du 18 avril et proclame l’ouverture d’une transition non limitée dans le temps. Il installe un nouveau gouvernement. Il propose de convoquer, dans les plus brefs délais, une conférence nationale composée de représentants des « élites » et autres « personnalités indépendantes » de la « société civile ».

Mais les manifestant-es des vendredis ne lâchent rien. La réponse à cette proposition est venue d’un jeune qui a crié « yatnahaw gaa » « dégagez tous », slogan adopté par le « Hirak » dès le 11 mars. Le 22 mars, le pouvoir persiste dans sa volonté de mettre en œuvre le scénario avancé dans la lettre présidentielle du 11 mars. Le 26 mars ; le général Ahmed Gaid Salah, en qualité de chef d’état-major de l’armée, propose que « Bouteflika soit déclaré inapte à exercer le pouvoir en vertu de la constitution » ou qu’il démissionne, soutenant que la seule solution réside désormais dans l’application de l’article 102 de la constitution qui prévoit la démission du président de la république ou sa destitution pour état d’empêchement ou de décès.

La manifestation du 29 mars met la pression et pousse vers la démission pure est simple du président. Le chef d’état-major change de posture et se présente comme le « bras armé » du mouvement. Il chercher à récolter les fruits de la démission de Bouteflika. Le 29 mars, la présidence algérienne officialise la démission de Bouteflika. Tout le personnel du gouvernement et les principales parties de l’alliance présidentielle au pouvoir se rallient sans vergogne au mouvement. Le « Hirak » gagne la première manche.

La neutralisation du mouvement et la contre-offensive de l’armée. (2 avril-5 juillet) après la démission de Bouteflika, le pouvoir est désormais entre les mains de l’armée sous la houlette de Gaid Salah. Pour se donner une base de légitimité, la nouvelle structure du pouvoir autour de Gaid Salah donne des gages au mouvement. Elle remanie l’exécutif, reporte les élections présidentielles prévue le 18 avril et enclenche une vaste opération de purge au sein de l’exécutif en ciblant en particulier le cercle bouteflikiste. Le Hirak ne s’essouffle pas. Il continue au lendemain même de la démission de Bouteflika.

Gaid salah, le nouvel homme fort de la situation de vacance du pouvoir consolide son pouvoir et balise la voie pour l’institution militaire. Il met la main sur l’appareil répressif du pays, notamment l’appareil judiciaire jusque-là sous contrôle du clan présidentiel.

Les dissidences dans le système de pouvoir Bouteflika se multiplient au profit du nouveau pouvoir. Le FLN et le RND encaissent la défaite. Les « anciens Moudjahid » claquent la porte. Les islamistes, toutes obédiences, sont présentes certes dans le mouvement mais affaiblis et en rangs dispersés. L’épouvantail islamiste ne fait plus peur. Le pouvoir engage une stratégie de neutralisation de la contestation. Le Hirak rentre dans une phase de recherche d’alternative politique concrète et crédible.

Deuxième annulation de l’élection présidentielle. Le Hirak continue à affirmer le rejet total du « système ». Crescendo, ce rejet s’applique à l’armée qui montre des signes de substitution au pouvoir de Bouteflika. Des propositions de résolution de la crise émergent. Elles restent toutefois confuses. L’organisation d’une assemblée constituante souveraine, initialement portée par la « gauche » autour du PST s’élargit aux franges libérales démocratique sous l’appel à un « processus constituant ». D’autres parties du mouvement appelle au simple report des élections du 4 juillet. Malgré le Ramadhan, la chaleur, la fatigue et le jeune, la contestation se poursuit avec détermination et la bonne humeur.

Sous la pression de la rue, le conseil constitutionnel annule l’élection présidentielle prévue pour le 4 juillet. Deuxième victoire du Hirak. Mais l’état-major continue sa stratégie de neutralisation du mouvement. Il continue à régler ses comptes avec le clan Bouteflika. Il engage en parallèle des interpellations musclées dans les rangs du hirak avec notamment l’interdiction du drapeau amazigh pour diviser le mouvement en stigmatisant la Kabylie avec le qualificatif de « Zouave ». Cette stratégie vise à criminaliser le mouvement, à semer la peur parmi les activistes et à briser l’unité qui reste forte malgré l’absence d’une feuille de route claire et d’une direction politique assumée et représentative.

Après le 5 juillet ; radicalité et absence d’alternative crédible. Avec cette deuxième victoire, le bras de fer continue. La mobilisation massive du 5 juillet fait date. Les arrestations d’anciens dignitaires continuent. Le 3 juillet, le président de l’Assemblée nationale démissionne. La rue réclame toujours avec force le départ de ceux qui ont pris la place de Bouteflika. Des tentatives de dialogues n’ont pas abouti. Les tentatives de division et les manœuvres de l’état-major ont échoué. Mais les appels qui se multiplient pour une grève générale et la désobéissance civile n’ont pas d’écho.

Le passage en force (2 septembre-12 décembre). Le 2 septembre, Gaid Salah appelle à convoquer le corps électoral pour le 15 septembre, négligeant Bensalah qui a la prérogative légale en qualité de chef d’état par intérim. Les projets de loi sont adoptés le 13 septembre par le parlement. Le scrutin est convoqué » pour le 12 décembre. La répression des activistes du mouvement continue. (Karim Tabou, Samir Belarbi…). Le 18 septembre, Gaid Salah appelle à bloquer les entrées de la capitale aux manifestants-es venus-es des Wilayas limitrophes. Les manifestants continuent à déferler dans les rues chaque vendredi sous de nouveaux slogans « mankanch intakhabat » (pas d’élection). Gaid Salah est désormais ciblé par les slogans. En ajoutant le slogan « civil, pas militaire ».

Le 21 septembre, Said Bouteflika, Athman Tartag, Toufik Medien et Louisa Hanoun sont condamnés à quinze ans de prison.

Le rassemblement commémorant les événements du 5 octobre 1988 est empêché par la police. Le 8 octobre, pour la première fois depuis le début du mouvement, la police empêche la tenue d’une manifestation étudiante et procède à des arrestations. Le 11 octobre, les manifestants dénoncent le projet de loi de finance et celle sur les hydrocarbures, de même que le chef de l’état-major. Une marche opposée au projet de loi sur les hydrocarbures a lieu le 13 octobre.

Le 24 octobre, des centaines d’avocats marchent à Alger. Le 27 octobre, les magistrats, qui entendent protester contre le mouvement de mutations, font grève.

Le 6 décembre, dernier vendredi de manifestation avant la présidentielle, une foule immense sort dans les rues. Un appel à la grève générale est lancé sur les réseaux sociaux pour la période du 8 au 1er décembre. Il ne trouve aucun écho en dehors des wilayas de Bejaia, Tizi Ouzou, Bouira et Boumerdes.

Le 1er décembre au soir, Abdelmadjid Tebboune est déclaré vainqueur de l’élection présidentielle au premier tour avec un taux de participation annoncé de 39,83%. Le 19 décembre, à l’issue de sa prestation de serment, le nouveau président célèbre le hirak. C’est la première défaite du Hirak. Le pouvoir tient sa victoire. Il engage le reniement de ce même Hirak avec tous les moyens répressifs.

La mort de Gaid Salah, renaissance du pouvoir. Le 23 décembre, à 79 ans Gaid Salah meurt d’une crise cardiaque. Il est remplacé par Said Chengriha, à 74 ans, commandant des forces terrestres. Le 8 janvier, le nouveau président met en place une commission d’experts de 17 membres chargés d’émettre des propositions pour une nouvelle constitution réduisant à 2 les mandats du président.

Le 25 janvier, 400 personnes se réunissent à Alger sous l’égide du PAD. Les coordonnateurs s’engagent à organiser une « conférence nationale indépendante du système » dont le but et de relancer l’idée du « processus constituant souverain », pour une « légitimité des institutions ».

Le 7 février, au 51° vendredi du Hirak les algériens scandent encore « un état civil et non militaire », comme slogan politique de la non reconnaissance de la légitimité du nouveau président. Mais les dés semblent jetés. La victoire du 12/12 semble sonner la fin du Hirak. Des fractures et des décantations, qui ont déjà émergé dans le hirak, s’accentuent entre ceux et celles qui continuent à se réclamer du hirak et ceux et celle qui joignent leur voix à celles du nouveau président pour déclarer la fin du Hirak.

Avec l’arrivée du Coronna, ces voix se gonflent et marquent la fin du Hirak dans sa version « 22 février » ;

Réforme ou révolution, débat biaisé

Devant le caractère inédit de cette mobilisation populaire, son étendu territorial, son endurance et sa durée, la première question posée est celle de sa nature « révolutionnaire » ou « réformiste ». Question classique qui ouvre cependant sur un faux débat. Car aucun soulèvement à caractère spontanée ne se défini à priori comme révolutionnaire ou réformiste. Le caractère révolutionnaire est dans le programme des élites et des avant-gardes qui émergent pour diriger la révolte.

Quand les russes se sont soulevés en 1917, ils ne savaient pas qu’ils allaient accomplir une révolution et encore moins une révolution prolétarienne. Ils ont abouti au résultat que l’on connait grâce à l’action consciente et critique des avant-gardes politiques du parti bolchévique, notamment Lénine et Trotski. C’est une action sur une « conscience possible » selon la formule de Lucien Goldmann. « La grande majorité des paysans russes en janvier 1917 », souligne-il, « étaient fidèles au Tzar et n’envisageaient même pas la possibilité d’un renversement de la monarchie en Russie, alors qu’à la fin de l’année, cette conscience réelle des paysans avait, sur ce point radicalement changé ». (La création culturelle dans la société moderne- P. 10).

De même pour la révolution iranienne de 1979. La population qui s’est soulevée ne savait pas qu’elle allait accomplir une « révolution islamique ». C’est aussi par l’action de ses dirigeants politiques, avec le poids des mollahs et de Khomeini, combiné à la dynamique et contradictions de la société en pleine mouvement, que le soulèvement populaire a pris le cours d’une révolution islamique.

La question n’est donc pas de savoir ce qu’un groupe social en mouvement pense, ce qu’est sa nature, mais quels sont les changements susceptibles de se produire dans sa conscience.

La révolution n’est pas une tache inscrite dans le registre de l‘histoire de chaque peuple qui attend le grand soir où se réuniraient toutes les conditions pour sa réalisation. Elle est une nécessite portée par la conscience critique d’une avant-garde. « Elle n’est pas l’aboutissement de lois historiques parvenues à maturité. Marx n’exhorte pas à attendre les conditions favorables, mais à les produire ». (D. Bensaid, la discordance des temps, p. 209)

Il s’agit donc de produire cette révolution ; du moins donner l’orientation vers une rupture politique qui pourrait ouvrir une voie révolutionnaire.

L’assemblée constituante à la hauteur de l’enjeu politique du moment
Dans le cas du « hirak », le caractère massif du soulèvement populaire ouvre une brèche, objectivement, vers un changement radical du système. L’appel pour l’organisation d’une assemblée constituante souveraine était une réponse à une question simple que tout le monde comprend : Si Bouteflika part, par quoi le remplacer ?

Il y a eu trois types de réponses à cette question : la première, qu’on peut qualifier de « réformisme de droite », consistait à refuser catégoriquement la tenue d’une assemblée constituante, considérée comme « criminelle », car elle ouvrirait « la voie vers l’incertitude ». La deuxième réponse est celle qu’on peut qualifier de « réformisme de gauche » consistait à dire que « face à un pouvoir de fait, on se met sur le terrain revendicatif » ; Autrement-dit, éviter de poser la question du pouvoir politique. Les arguments de ces deux postures étaient pratiquement les mêmes : l’assemblée constituante ouvrirait la voie aux islamistes, aux libéraux, aux conservateurs ou au complot impérialiste. Même une fraction « berbériste » réclamait de rester sur la constitution de Bouteflika de peur d’un retour en arrière à l’endroit de Tamazight. Autant « garder les acquis » dira-t-on ! La troisième réponse, car réaliste et concrète, est inéluctablement celle d’appeler à la tenue d’une assemblée constituante qui ouvre la voie vers une possible révolution dans la situation du hirak à ses débuts.

Le refus d’une voie révolutionnaire chez les élites politiques dans leur majorité a créé de l’hésitation dans le Hirak, malgré le maintien du mot d’ordre « yatnahaw gaa » (enlever tout le Monde). Or, un changement révolutionnaire est possible dès le moment où il y a mobilisation de masse. Cette possibilité commence par la conquête du pouvoir politique et de la démocratie. Le refus de s’attaquer au pouvoir politique, dans un moment où « yetnhaw gaâ » est devenu le slogan phare, est à l’origine de l’impasse et du désarroi du Hirak. L’absence d’organisation est aussi la conséquence de cette impasse.

De la conquête du pouvoir, de l’état et de la démocratie

Après le départ de Bouteflika, la question « par quoi le remplacer » se pose d’une manière concrète et pratique. De la réponse à cette question dépend l’avenir immédiat du pays. C’est ici où le hirak prend une dimension plus politique où commencent les décantations dans la société. Entre l’attitude qui revendique le passage par le choix du peuple mobilisé, à travers l’organisation d’une assemblée constituante souveraine, et l’attitude qui demande une « transition » négociée qui se limite à l’élection d’un nouveau président consensuel, se contentant de la démission de Bouteflika, se dessine les deux voix antagonistes : celle qui préconise une réforme du régime politique et celle qui prône un changement radical et fondamental du régime et de l’état algérien.

L’enjeu fondamental est donc la conquête du pouvoir politique par la population qui s’est insurgée. Or, le changement de régime entraine forcement la conquête de l’état. La différence est de l’ordre programmatique entre les acteurs politiques engagés dans le mouvement et leur capacité de faire. Elle est surtout liée à la dynamique de la revendication qui se radicalise et à la participation adéquate des différentes franges de la population en lutte pour le choix final.

L’erreur stratégique et historique de la « gauche » algérienne est qu’elle a toujours sous-estimé et a évité de poser la question du pouvoir politique. Il y a d’un côté la posture qui cherche la position tactique la plus adéquate de soutien à tel ou tel camp, devant ce qui est considérée comme « contradiction principale » du moment. Il y a d’un autre coté celle qui se contente d’avancer une plateforme de revendication face à un « pouvoir de fait ». La question de la conquête de ce pouvoir est systématiquement renvoyée aux calendes grecques. La « gauche » algérienne n’a jamais été candidate au pouvoir [2].

En optant pour une assemblée constituante souveraine, l’objectif est d’orienter le mouvement vers la voie d’un combat politique entre programmes et orientations. L’aboutissement final, vers une réforme du régime ou une réorganisation de l’état, sera le résultat de cette lutte politique. Il est bien sûr incertain. Dans cette confrontation, la différence entre « régime » et « état » disparait. Dès qu’il y a lutte politique concrète, la voie s’ouvre et l’action peut passer d’un changement de régime vers la conquête de l’état. La pensée qui isole à priori ces deux entités relève de la logique formelle. La dialectique du mouvement ne perd pas de vue qu’elles vivent ensemble, que c’est leur étroit concours, non leur juxtaposition, qui fait le pouvoir politique.

L’engagement sur la voie d’une rupture politique et de la conquête du pouvoir ne relève pas d’un aventurisme aveugle. Il part d’une lecture de la réalité du mouvement vers une « conscience possible ». De ce point de vue, les dangers d’une « régression islamiste » ou d’un « complot impérialiste printanier » [3] sont exclus pour toute observation critique et lucide. La présence en force de l’idéologie néolibérale dans le mouvement est toutefois réelle. Mais elle est dépassable par la lutte politique concrète. Le refus de la « gauche » à se saisir de l’étendard du combat politique pour le pouvoir a laissé aujourd’hui une fraction des néolibéraux incarner seule cette alternative [4].

Evidemment, se pose la question de « qui fait quoi ? ». Cela dépend des forces organisées sur le terrain. Comme les êtres humains font leur propre histoire dans des conditions qui ne sont pas souvent de leurs choix, l’absence d’une force politique représentative de l’insurrection n’exclue pas la possibilité, en théorie, de s’appuyer sur la seule force organisée, à savoir l’institution militaire, pour engager ce processus constituant. Rien n’est gagné d’avance bien sûr. Mais aucun dépassement n’est impossible. Dans une situation de « pouvoir de fait », une institution militaire au centre d’un processus constituant ouvert et démocratique, sous la pression d’une population mobilisée est plus légitime qu’un état-major qui sème la division pour préparer sa dictature. A ce moment-là, le slogan « Djeich-Chaab Khawa-Khawa » (fraternité entre l’armée et le peuple) aurait pu être maintenu.

Réforme ou révolution, changement de régime ou conquête de l’état dépend en dernière analyse du rapport de force sur le terrain de la lutte politique. Voilà le sens du mot d’ordre de l’assemblée constituante souveraine et de l’appel à la grève générale. Les faiblesses et les hésitations des principales forces et expressions politiques qui ont émergé du mouvement sur cette trajectoire constituante a facilité un passage en force de la seule force organisée, l’état-major de l’armée, pour reprendre et garder le pouvoir dans une légalité formelle par l’élection présidentielle du 12 /12.

Se pose alors la question du rapport avec cette institution militaire ; Fallait-il rester sur le slogan Djeich/Chaâb Khawa/khawa et rejeter « Madania machi aâskaria ?

Ce changement de cap est apparu après le départ de Bouteflika et l’émergence de Gaid Salah comme patron des opérations et sa gestion punitive du Hirak.

L’enjeu de l’institution militaire
Après la démission de Bouteflika, le pouvoir est désormais entre les mains de l’armée sous la houlette de Gaid Salah. Du haut de son état-major, celui-ci semble avoir une main mise sur son institution. Aucune voix discordante ne semble émaner de l’intérieur de cette armée populaire.

L’armée algérienne (APN) est assez forte militairement, avec une certaine popularité et légitimité acquises depuis l’ALN, depuis son combat pour l’indépendance du pays puis de sa guerre contre le terrorisme islamiste des années 90. Mais cette popularité est-elle encore d’actualité ?

Au début du « hirak », le slogan « djeich-chaab/Khawa-Khawa » a été brandi par les manifestants-es. Face aux intimidations de l’ex-premier ministre Ouyahia qui agitait l’épouvantail de la Syrie et de la Lybie, avec en arrière-plan la guerre civile et le terrorisme des années 1990, la population réagit en réclamant la non-violence notamment à l’endroit de la seule force armée du pays. Le changement de cap est apparu après la démission de Bouteflika, en réaction à la montée de Gaid Salah et sa prise de pouvoir effective et son discours violent et inquiétant quant à ses intentions.

Le slogan « madania machi askaria » (pouvoir civil et non militaire) ne rompt pas avec la non-violence qui a accompagné le « hirak » tout le long de la mobilisation. Il s’adresse à l’état-major qui affiche sans vergogne ses velléités de pouvoir. Velléité qui se confirme aujourd’hui. Cette inquiétude est d’autant plus justifiée quand on connait l’histoire et le poids de l’armée dans l’exercice du pouvoir politique du pays depuis son indépendance.

Toutefois, ce slogan n’a pas la même signification pour tout le monde. Dans le milieu islamiste, avatar du « FIS dissous », le slogan est brandi dans le sens d’incriminer l’armée dans la « coup d’état » de 91 et la guerre civile des années 90. Dans le milieu « kabyle », fortement mobilisé, le slogan est brandi comme étendard d’autodéfense face aux stigmatisations dont la région est victime.

Avec Gaid Salah, le drapeau Amazigh, jusque-là brandi partout, est interdit dans les manifestations. La population kabyle est traitée de « Zouave » par une partie des manifestants hostiles au « hirak » et soutenant les démarches de l’état-major. Les zouaves sont des unités françaises d’infanterie légère. Elles sont inspirées de mercenaires algériens recrutés parmi la confédération des « Zouaouas », populations kabyles du Djurdjura, au temps de la régence Ottomane. Le terme « Zouave » est associé au « Zouaouas ». Face à ces attaques, la Kabylie réagit en rappelant le 1er congrès du FLN, « congrès de la Soummam » organisé « chez eux », avec comme thèse principale « la prééminence du politique sur le militaire ». Ces thèses sont considérées par l’historiographie dominante, à tort ou à raison, comme matrice politique du FLN défendues, par l’un des architectes principaux de ce congrès, le « Kabyle » Abane Ramdane, tué par ses paires les colonels.

C’est donc un slogan qui a une double fonction. Les islamistes tentent à travers ce slogan de se refaire une virginité politique démocratique. La Kabylie le brandi pour rappeler son poids dans le mouvement pour la libération du pays, sa centralité territoriale mais aussi politique face aux stigmatisations dont elle fait l’objet.

Mais tactiquement, et face à la montée de Gaid Salah, fallait-il garder l’appel à la fraternité avec les militaires, ciblant la fraction de l’ANP « issue du peuple » ? fallait-il opposer les troupes aux officiers ? que reste-il de cette distinction classique et de la dimension populaire de cette armée ? En réalité, l’évolution de cette armée et son poids dans l’échiquier politique algérien, son embourgeoisement, sa professionnalisation et l’absence de toute dissension en son sein, légitime le rappel du slogan du congrès de la Soummam même exagéré.

Les fronts d’actions

La question d’une rupture en passant par un processus constituant, quel que soit sa forme, n’a pas abouti. Après une première phase d’euphorie et de « sourire », est venue le temps de réflexion pour des actions concrètes et le début des décantations.

Au lendemain de la démission de Bouteflika, la montée graduelle de l’état-major, une partie du « hirak » se joint aux thèses de Gaid Salah. Elle préconise, sous différents arguments, de souscrire à sa feuille de route et de « continuer le combat à partir des institutions ». Constatant les limites du « hirak », pourquoi pas ? mais est-ce réaliste ? l’enjeu c’est la continuité de l’occupation de la rue librement. Opposer le « hirak » à la démarche institutionnelle, c’est revenir à la case départ, c’est-à-dire évacuer la rue et empêcher toute expression démocratique. Car le « hirak » c’est d’abord le rétablissement du droit fondamental de manifester. S’engager dans une bataille électorale comme démarche politique n’est pas à exclure, dans certaines conditions. Or, en appelant à l’arrêt du « hirak » à la veille des élections du 12/12, c’est construire le lit sur lequel surf aujourd’hui le pouvoir.

En parallèle, des tentatives d’agir collectivement dans des fronts d’action se sont construites. Elles se sont réduites au PAD comme seul front d’opposition tentant de donner un débouché politique au « hirak ». Devant l’absence de forces syndicales et du monde des travailleurs, ce front s’est construit essentiellement sur la défense des libertés démocratiques en défendant la nécessité d’un processus constituant comme seule solution démocratique. La question sociale et économique peine à s’exprimer. Les appels à une grèves générales n’ont pas abouti.

La question des fronts n’est pas un exercice théorique qui se déduit de modèles en dehors du temps et de l’espace de l’action. Des alliances d’action se tissent en fonction des forces en présence sur le terrain et des objectifs précis. Le PAD a émergé pour la défense du « hirak » et des libertés démocratiques. Il a évolué pour atteindre la revendication ponctuelle d’un processus constituant comme point de départ à une solution politique démocratique et pacifique. Aucune discussion programmatique ou idéologique n’était à l’ordre du jour.

De ce point de vue, associer les forces politiques ne s’inscrivant pas dans cet impératif est exclu. C’est le cas des islamistes, toute obédiences, qui ne se sont jamais inscrit dans une solution démocratique. Il ne s’agit pas de leur interdire l’espace ouvert par le « hirak ». Il ne s’agit pas non plus de les considérer comme incontournables à toute solution. La bataille politique se mène verticalement à l’endroit du pouvoir. Elle se mène aussi horizontalement contre des adversaires au sein du hirak. Les islamistes, affaiblit et amoindri, n’ont montré aucune volonté de trouver une solution politique au mouvement. Ils sont restés dans le règlement de compte avec le seul souci de se réhabiliter et de se donner une nouvelle virginité. Pourquoi alors les réhabiliter ?

L’enjeu économique

La dernière dimension, pour comprendre la situation du Hirak dans cette « Algérie nouvelle », est l’enjeu économique et social. Celui-ci est lié à la dynamique du développement comme seule réalité appréhendable. Aujourd’hui elle n’est perçue par l’opinion dominante que sous le prisme du capitalisme régnant sur la planète. Car, en dernière instance, les limites de ce soulèvement sont dans les hésitations à s’émanciper de ce modèle de développement engagé par l’Algérie, notamment depuis Bouteflika. Toutes les critiques et les protestations tentent d’éviter cette question.

Que l’en soit en Algérie, en Chine, au Brésil ou en Ukraine, le capitalisme règne plus que jamais. Est-il le fruit d’étapes historiques ; est-il appelé à disparaitre et à s’anéantir par ses propres contradictions pour laisser la place à l’ultime étape historique qu’est le socialisme ; Par quelle voie ? a-t-il encore un avenir ? de quelle révolution s’agit-il ? questions qui relèvent de la scolastique stérile. Aucune voie n’est définie à priori. L’histoire est ouverte et notre voie sera tracée par notre critique et l’action des masses.

Marx représente un outil d’analyse incontournable pour comprendre notre société, la modernité dans laquelle nous sommes désormais engagé, et cette modernité s’appelle le capitalisme. C’est notre rapport critique envers le capitalisme qui légitime notre référence au marxisme. Car seule la critique élaborée par Marx reste, jusqu’à nouvel ordre, capable d’éclaircir les contradictions et les limites historique du capitalisme.

Le capitalisme algérien reste sous développé et dépendant. Il est le résultat d’une histoire avec ces spécificités. Si pendant la durée de la colonisation, des territoires entiers et une grande partie de la production économique et culturelle sont restés en dehors de la sphère du marché, où on peut parler d’un développement inégal qui combine l’ancien et le nouveau, l’organique et la « rationalité » du marché, l’artisanat et l’industrie, aujourd’hui et depuis l’indépendance, tout est désormais régulé par les lois du marché capitaliste. Même les quelques ilots de production qui tentent de rester à un stade artisanal et patrimonial comme les exemples de l’huile d’olive de montagne ou de la datte du sud, le « système Bouteflika » a accéléré le processus de leur intégration au marché libéral tant sur le plan de l’organisation de la production que sur le plan des montages financiers ou celui de la main d’œuvre et de la gestion du travail.

Mais cette organisation a son prix et ses conséquences. Il y a certes une amélioration tangible des conditions de vie d’une population qui est passée de 10 millions au lendemain de l’indépendance à 45 millions aujourd’hui, mais au pris d’un système structurellement rentier et spéculatif ; Un système qui a enfanté en un temps record des fortunes colossales qui naissent au lendemain des déchargements de bateaux, où derrière chaque secteur d’importation, se dessine l’ombre d’un général [5].

Bouteflika a eu comme fonction de mettre fin à la tourmente terroriste et islamistes des année 90. Les capitaux qui s’accumulent ont besoin de paix et d’investissements et d’une rapide intégration dans le marché mondial. Aidé par la manne financière et énergétique, il a rempli sa fonction avec son lot de contradictions inéluctables. Mais pour durer, le système a besoin de se renouveler ou de se recycler, même sous forme d’une alternance bureaucratique et autoritaire.

Aux yeux de la composante du pouvoir et une partie de la population encore sous le choc de la guerre civile et du terrorisme islamiste, le système incarné par Bouteflika a juste besoin d’une mise à jour. S’il n’avait pas débordé la date limite du 4° mandat, le Hirak, dans la forme qu’on lui a connue, n’aurait peut-être jamais eu lieu.

Mais la brèche est maintenant ouverte. Le « hirak » est désormais présent. La question sur le devenir de l’Algérie reste posée. Mais la question doit être posée, dans le court terme, selon l’impératif du développement social, économique et culturel démocratique et anticapitaliste. Ce n’est pas parce que le capitalisme ne pourrait plus se développer dans d’autres territoires que l’Europe, l’Amérique du nord ou le sud-est asiatique. L’émergence de nouveaux pôles de développement capitaliste est possible, du moins elle est une hypothèse théorique aussi légitime que son opposée ; Mais parce que cette possibilité se fera au prix d’un retour vers l’esclavage du 19° siècles, d’un retour vers des formes de domination colonialiste et une destruction massive de l’environnement voire de la planète.

Voilà ce qui justifie notre programme anticapitaliste, sachant cependant qu’il ne peut y avoir de développement en dehors du capitalisme dans un seul pays. Contradiction qui est de l’ordre programmatique qui ne peut être résolue que par un combat politique pour la conquête du pouvoir, de l’état et de la démocratie par les travailleurs.

Dans ce cadre et conjoncturellement, la guerre en Ukraine et la position géostratégique de l’Algérie, notamment autour de la question énergétique, replace le capitalisme algérien dans une position favorable avec en point de mire un développement possible, voire assuré pour certains, au sein des « BRIC ». Un mirage que nourrissent les anti-hirakistes dans un nouveau « soutien critique » aux nouveaux tenants du pouvoir. C’est ici où réside la force du pouvoir et les limites du Hirak.

Ce sont là les nouveaux enjeux post-hirak ou du prolongement du Hirak.

Conclusion

Il y a désormais un avant et après- Hirak dans la conscience des algérien-ennes, même si aujourd’hui, avec le renforcement des institutions du pouvoir sous l’autorité de l’armée et la répression, l’ambiance politique est au nihilisme avec un discours qui a tendance à réduire l’importance du Hirak voire à l’effacer comme un fait politique majeur.

Les effets de ce mouvement sur la conscience des algérien-es sont d’une vitale importance. On peut sans hésitation les considérer de même ordre que les grandes protestations qui ont marqué les sociétés le long du 20°sècle : 1905 en Russie, Juin 36 et mai 68 en France ou les récents mouvements de révoltes qui ont traversé le monde arabe. Placé dans l’histoire de l’Algérie contemporaine, ce grand mouvement est le prolongement du « 8 mais 45 », de « décembre 60 », « avril 80 », « octobre 88 », « Printemps 2001 » …Si ces mouvements n’ont pas engendré de rupture totale ou révolutionnaire avec l’ordre politique des différentes époques, ils ont constitué des moments historiques qui ont engagé les sociétés qui les ont vécus sur des cycles politiques importants et qui ont façonnés leur devenir. Tout est pensé et structuré en fonction de ces évènements.

Les victoires politiques, quel que soit leurs limites sont toujours des ouvertures vers d’autres batailles d’un autre niveau. La première bataille gagnée par la révolution tunisienne, par exemple, à travers l’assemblée constituante où se sont équilibré les forces politique en présence n’as pas certes instauré la victoire finale de la démocratie, mais elle a ouvert sur une crise qui a poussé le faible capitalisme tunisien à recourir au coup d’état bonapartiste. Ce qui maintient le processus révolutionnaire en suspens et ouvert, à l’image des récentes élections législatives qui n’ont pas légitimé le nouveau Bonaparte. C’est le contraire des cas égyptien et algérien. Le simple changement électoral égyptien autour des « frères musulmans » sans véritable rupture politique avec le système dictatorial a facilité le retour du bâton régressif de la dictature policière. De même pour l’Algérie. L’absence d’une rupture, même limité à une assemblée constituante, a vite rétablit l’ancien ordre dans des conditions encore plus répressives.

Il est clair qu’il n’existe pas de victoire politique ou sociale totale et définitive. Cela nécessite des transformations profondes, qui ne peuvent être réalisées que par une mobilisation populaire. S’il y a une chose que montre l’histoire récente, c’est que sans une force populaire bénéficiant d’un soutien massif dans les rues, aucun changement politique conséquent et aucun changement social progressif ne peut être soutenu dans le temps. Il faudra plus d’audace et d’organisation mais pas moins de confrontation.

Pour cela le Hirak reste une leçon à méditer.

Nacer Aheddad le 23-02-23

Notes :

[1] Voire pour plus de détails sur cette chronologie l’ouvrage de Sanhadja AKROUF et Patrick FARBIAZ, Algérie, la seconde révolution, édit. Koukou, 2021, P.P. 235-257.

[2] Après la mort du président Boumediene et la vacance du pouvoir, La gauche relativement importante autour de ce que fut le PAGS a préféré, devant ce qu’elle considérait être « la contradiction principale » du moment, soutenir la « gauche » du FLN incarnée par Yahiaoui face à la « droite » incarnée par Bouteflika. Plus tard, après avril80, c’est l’aile « droitière » du MCB autour du personnage Said Said-futur RCD, qui va incarner l’alternative politique devant la « gauche » pourtant assez importante dans le mouvement d’avril 80. En Octobre 88, cette même gauche devant la « contradiction principale » qui est vue cette fois-ci dans le combat anti-islamiste a laissé celui-ci seul pour incarner l’alternative au pouvoir politique de Chadli. L’extrême gauche faible mais présente dans les luttes s’est mise sur le terrain de la « revendication devant ce pouvoir de fait ». En 2001, lors de la révolte Kabyle, la gauche toutes obédiences confondues est restée dans la défense de « la plateforme de revendication d’Elkseur » jugée à « gauche » de « la plateforme de revendication de L.N. Iraten » incarnée par la coalition de droite appelée « Aârouch ». La gauche regroupée dans les « comités populaires » composée essentiellement de militants d’extrême gauche n’a pas jugé nécessaire de passer de la « revendication à un pouvoir de fait » à la remise en cause de ce même pouvoir dans un moment où le mouvement a instauré une dualité de pouvoir pendant au moins trois mois. A chaque fois, la gauche laisse les travailleurs qu’elle est sensée incarné, orphelins devant la question du pouvoir politique. Ce qui ne fut pas la démarche du FIS en Octobre 88. Celui-ci, dès son émergence sur la scène publique, s’est mis à la conquête du pouvoir et de l’état. Ce qu’il a failli réaliser en Janvier 92.

[3] La campagne sur le complot impérialiste est menée par le pouvoir et ses acolytes autour du livre de Bensaada, « les autoproclamés du hirak ».

[4] La suspension du PST relève de cette volonté de couper toute voix réclamant une rupture politique. L’absence de la gauche sur le terrain politique a laissé la place à la fraction néolibérale démocratique autour du journal « Maghreb émergent » et de son patron Elkadi ihsan, actuellement en prison, pour incarner l’alternative politique, sociologiquement représentative des couches moyennes libérales qu’on peut qualifier de « petits-bourgeois ». Toute proportions gardées, il est intéressant de rappeler le rôle de ces catégories sociales petites bourgeoises dans la direction du combat pour l’indépendance en 54

[5] Voire sur cette idée le post du journaliste Zoheir Aberkane sur sa page FB.