Le pouvoir algérien réprime le Hirak sans états d’âme
2 juin 2021 02:48 0 messages
Depuis la nomination de Farid Zineddine Bencheik, le 15 mars 2021, comme directeur de la police, l’options de combattre le Hirak frontalement a pris corps.
De larges prérogatives lui ont été octroyées au nouveau patron de la police au détriment même du ministère de l’intérieur. Marginalisant les renseignements généraux de son département, il préfère collaborer directement avec la DGSI dirigée par le général Abdelghani Rachedi et le ministère de la justice piloté par l’intransigeant Belkacem Zoghmati. La nouvelle coordination mise en place est présentée au Haut conseil de sécurité (HCS), du 06 Avril 2021, réunissant le président Tebboune, l’Etat Major de l’armée et l’ensemble des services de sécurité comme une structure idoine pour faire face au second avant les élections du 12 juin prochain. Depuis, elle fait office de machine répressive qui viendrait mettre fin aux contestations, selon les laudateurs du projet.
Diplômé des universités françaises en criminologies, ayant déjà travaillé au sein de ses établissements pénitenciers, Le nouveau DGSN est formaté dans le moule du modèle français du maintien de l’ordre. Il a assisté à la naissance du Hirak en tant qu’inspecteur régional de la police pour le centre du pays. Là où le Hirak a pris le plus d’ampleur. Ne voyant aucune solution politique à l’horizon, le choix de l’usage de la force devient pour lui le seul moyen pour venir à bout d’une contestation pacifique qui a mis le système dans tous ses états.
Dès sa prise du poste du DGSN, il procède, le 22 mars 2021, à des nominations au sein des structures périphériques notamment à la PAF, à la communication, et à la coopération internationale. Il revoit les plans de carrières des cadres en réévaluant les promotions des cadres les plus zélés au sein des troupes opérationnelles. Il réclame plus de liberté d’agir au haut commandement militaire qui s’accorde de mettre les autres corps constitués (gendarmerie et la troupe) en dehors de contact avec la population. Les changements de stratégies dans le maintien de l’ordre, avec usage des techniques de provocations violentes des manifestants, sont apparues dès le vendredi 09 Avril.
La combinaison d’énormes moyens humains et matériels pour la police, la justice et le renseignement est un choix délibéré pour une répression Hard Power. Les arrestations massives des manifestants, leurs fichages et interrogatoires suivis d’engagement signé par tout contestataire de ne plus participer au Hirak sont illégales et anti constitutionnelle. Ceux ou celles qui refusent d’obtempérer seront présentés au procureur de la république criminalisant ainsi toute expression pacifique. Les intimidations, comme les arrestations, les blocages des routes donnant accès aux grandes villes ont montré leurs limites. Les hirakistes ont su détourner même les itinéraires des manifestations perturbant tout le dispositif du maintien de l’ordre mis en place préalablement.
La communication au service de la répression :
Le pouvoir réel mène une campagne acharnée de dénigrement médiatique du second hirak en le présentant comme entité dirigée par les forces étrangères hostiles au pays sans jamais nommer aucune. En revanche, le premier hirak est désigné de « béni » par la doxa officielle dont « toutes les revendications ont été exaucées par l’amendement de la nouvelle constitution » dixit le président Tebboune. Or, celle-ci a été boycotté par une majorité écrasante des algériens dont le taux de participation n’a pas dépassé les 15%. Si le premier hirak est adoubé de soigneux qualificatifs, tel que « authentique et réel » le second est accusé, « d’étranger », « d’islamiste », « de séparatiste ».
Cette campagne a fait flop à ses débuts en dépit d’énormes moyens misent aux services des mass média publiques et privées proches des services. Les épisodes présentés par la télévision de l’Etat de « Dahdah Islamiste » et du « trafiquant d’arme Makiste » sont tournés en ridicule sur les réseaux sociaux mais aussi par des chants et slogans lors des Hirak. Le scénario d’un éventuel retour du terrorisme pédagogique des années 90 ne trouve pas preneur tant qu’il est considéré comme fiction dépassée. La menace du président Tebboune diffusée après la réunion du HCS n’est pas prise au sérieux : « Le Haut Conseil de Sécurité s’est également penché sur les actes subversifs et les graves dérapages émanant de milieux séparatistes et de mouvances illégales proches du terrorisme, qui exploitent les marches hebdomadaires« .
Des journalistes freelance, couvrant les manifestations, du mardi pour les étudiants et du vendredi pour le hirak, ont été arrêtés. Khaled Drarni correspondant de TV5, Kenza KHETTOU de Radio M, ont été arrêtés. Des photographes tel que celui de l’AFP, Ryad Kramdi interpellé à Bab El Oued puis relâché plus tard, mais aussi correspondants d’agences de presse privée ont été molestés. L’objectif de l’appareil répressif est de mettre au pas les médias alternatifs et s’assurer le contrôle total de l’information. Un message qui passe mal auprès des instances telle que RSF Afrique du nord qui a dénoncé ces dépassements par un Tweet. Le pouvoir réel s’obstine à reprendre le contrôle total des médias avant le début juin afin d’entamer les compagnes pour les législatives. Le délire des responsables politiques dépasse tout entendement, « L’Algérie, à l’instar des autres pays du monde, fait face à une guerre médiatique qui requiert d’elle de s’armer par tous les moyens pour la contrer », déclarait le président du sénat Salah Goujil.
Le 117 eme vendredi du Hirak
Ce vendredi est marqué par un grand nombre d’arrestations de militants, d’opposants politiques, des journalistes, des avocats, mais aussi des universitaires. Après avoir tenté d’empêcher la marche hebdomadaire malgré un impressionnant dispositif sécuritaire et le blocage d’accès aux grandes villes, les forces de l’ordre se sont vite retrouvées débordées par les manifestants bien organisés et refusant la confrontation.
L’usage de la violence était délibéré et sans ménagement. La machine répressive, mise en place par la DGSN, tente de maîtriser la situation en encerclant les manifestants au point de départ devant la mosquée Errahma. S’en est suivi les bousculades et les techniques de dispersements. Cette technique d’étranglement des groupes de manifestations a pour objectif de faciliter les arrestations. Tout a été préparé, les camions de police longeant le grand boulevard menant à place Audin servaient de cellules pour les contestataires arrêtés. Cette stratégie vise à dissuader les manifestants d’abandonner le hirak hebdomadaire tant qu’il ne reste que 4 semaines avant l’élection législative du 12 juin prochain. Un pari risqué qui peut se retourner contre ses initiateurs.
Le comité national pour la libération des détenus (CNLD) annonce que plus de 70 sont toujours incarcérées pour ce vendredi 117. La commission des droits de l’homme à Genève avait fait état de la dégradation des libertés individuelles et dénoncé l’usage disproportionné de la violence et des arrestations arbitraires contre le Hirak désigné pro démocratique.
Répression intensive à Oran
Les grandes villes du pays ont vu une répression adaptée au nombre des manifestants. Une exception est observée dans la capitale de l’ouest du pays. Oran est victime d’une répression inégalée depuis les trois derniers vendredis. Les manifestants violement agressés par les forces de l’ordre sans distinction, femme, enfants, vieillards étaient passés à tabac. « Depuis le début du Hirak, nous nous sommes attachés au principe pacifiste de notre contestation. Nous avons été surpris par le degré de brutalité qui n’épargne personne. Nous marchons en famille en présence de nos enfants. La sécurité civile et les associations d’assistance de secours prodiguent leur soin dans les jardins publics de la ville en ce second jour de l’Aïd » témoigne un militant hirakiste d’Oran.
Les autres villes de l’ouest, Tlemcen, Mostaghanem, Rélizane, Sidi Bellabes ont subi la répression mais avec la même intensité qu’Oran. Beaucoup se posent la question : Pourquoi ? Il existe certainement des explications à cette volonté d’étouffer le hirak dans la capitale de l’ouest. Il est tout à fait logique que le pouvoir réel voulût montrer que le Hirah est circonscrit au centre du pays, principalement dans la capitale et ses wilayas limitrophes. Certains connaisseurs tiennent compte de cette thèse mais avancent des considérations économiques et financières. La décennie rouge a déplacé le capital des grands fortunés issus du système vers l’Ouest. Le port d’Oran est de plus en plus sollicité pour s’agrandir. D’autres projets sont en arrêts par manque d’investisseurs dont le Hirak est perçu comme synonyme d’instabilité. La capitale de l’Ouest a donc vocation à jouer un rôle majeur dans le développement économique du pays.
Flagrant d’harcèlement judiciaire.
Kaddour CHOUICHA, représentant de la ligue des droits de l’homme LADDH à Oran, ainsi que sa femme Djamila LOUKIL journaliste et militante font tous les deux objet d’harcèlement judiciaire sans précédent. Kaddour fait exception dans la galaxie de l’extrême gauche trotskyste. Habituellement prompt à défendre les positions du DRS à l’image de Louisa Hannoune durant la décennie rouge, Kaddour fait exception et manifeste un projet politique inclusif impliquant les islamistes et l’ensemble des protagonistes pour un compromis historique.
Personnage charismatique, bien introduit dans le milieu universitaire, il ne s’aligne pas comme ses anciens camarades à condamner le slogan traitant la police politique de terroriste. Ses positions courageuses et intransigeantes lui ont valu plusieurs arrestations. Cela n’a pas diminué ses convictions de lutte pour un Etat civil et démocratique.
Les services de sécurité d’Oran refusent de clore des affaires judicaires depuis 2020 à travers des « juges de téléphone ». Il est le seul représentant de LADDH suivi dans plusieurs affaires dont il n’a jamais été condamné mais que les juges maintiennent le dossier ouvert. Le cas du militant Chouicha et de son épouse est édifiant. Ils ont été interpellés juste à leur sortie du tribunal d’Oran où leur procès vient d’être reporté. Leur domicile conjugal a été perquisitionné et une convocation leur a été notifiée afin de se présenter au commissariat d’Oran chaque Jeudi.
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