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EGYPTE : Les islamistes font le forcing constitutionnel !

D 7 janvier 2013     H 05:31     A Bertold de Ryon     C 0 messages


Le nouveau pouvoir égyptien, conduit par le président
Mohammed Morsi – élu à la mi-juin 2012 et issu des Frères
musulmans – a-t-il atteint ses objectifs ? Provisoirement, on
peut répondre par l’affirmative à cette question, suite à l’adoption
de la nouvelle constitution présentée par la mouvance actuellement
au gouvernement. Néanmoins, l’exécutif ferait bien de se garder de
tout triomphalisme.

Le 22 novembre 2012, le président Morsi avait rendu public un
décret, élargissant ses pouvoirs et mettant ses décisions à l’abri des
recours en justice. De la sorte, le président avait tenté de casser le
risque de blocage persistant, résultant de certaines décisions prises
par des juges parfois proches du pouvoir antérieur. Ainsi la Justice
avait-elle dissout, en juin 2012, le parlement qui avait été
régulièrement élu fin 2011 (et dominé par les islamistes), au
moment même où se préparait le second tour de l’élection
présidentielle.

Le fait, pour Mohammed Morsi, de concentrer entre ses mains les
pouvoirs exécutif, législatif et maintenant judiciaire apparaissait
comme une lourde menace aux yeux de beaucoup d’Égyptien-ne-s.
Au moment où les protestations montaient, le pouvoir issu des
Frères musulmans mit une deuxième décision sur la table. « A la
va-vite » et en l’absence de députés libéraux, coptes et de gauche
(ayant décidé de boycotter les séances), la majorité islamiste vota
le texte d’une nouvelle constitution. Son adoption, qui devait
intervenir de façon extrêmement rapide – alors que le texte final
sortit le 30 novembre 2012, un référendum devait être organisé dès
le 15 décembre, ne laissant pas le temps pour un débat approfondi
devait alors clore la période des « pouvoirs spéciaux » du président.
Ainsi plaçait-il les opposants face à un dilemme : ils devaient soit
accepter l’approbation très rapide de la nouvelle constitution, ou
alors admettre le maintien des pouvoirs spéciaux. Néanmoins, les
critiques sur le texte constitutionnel continuaient. Celui-ci donne
surtout des satisfactions symboliques aux islamistes, notamment
par des références à la Charia ( mais ces dispositions réitèrent pour
l’essentiel celles qui se trouvaient déjà dans la constitution
antérieure de 1971 en y ajoutant toutefois des compétences
d’interprétation données à des « experts » non élus ). Le texte
maintient, par ailleurs – en tant que gage à l’armée – le secret
conservé jusqu’alors sur le budget de la défense. Et il rend toujours
possible le jugement de civils devant des tribunaux militaires.
Cependant, parmi les légères avancées positives, on trouve une
limitation des mandats présidentiels mais cela reste à voir en
pratique . En même temps, des passages de la constitution
antérieure ont disparu qui consacraient, p.ex., l’égalité femmeshommes
ou la lutte contre la traite d’êtres humains (article que
certains islamistes considéraient comme un obstacle au mariage
précoce de leurs filles par les familles).

A partir du 05 décembre 2012, des affrontements eurent lieu
autour des bâtiments de la présidence égyptienne, entre
adversaires et partisans du pouvoir et firent neuf morts (dont un
militant pro-Frères). Des témoignages font état de tortures
exercées sur leurs adversaires par des militants des Frères
musulmans. La Garde présidentielle, qui est sous le contrôle de
l’armée, avait auparavant laissé des manifestants accéder aux
alentours de la présidence. Dimanche 09 décembre, l’armée se fit
enfin entendre : elle demanda aux deux parties en présence « de
dialoguer », tout en maintenant l’ordre public. Le même jour, cinq
avions de chasse survolèrent le centre du Caire à basse
altitude.

En réaction à la pression grandissante, le président Morsi recula
partiellement. Ainsi abandonna t-il de lui-même, le samedi soir
(08 décembre), ses nouveaux pouvoirs élargis… mais tout en
maintenant le référendum du 15 décembre. Ce dernier fut
finalement organisé sur deux jours, les 15 et 22 décembre. En
parallèle, il annonça la suspension de plusieurs nouvelles taxes,
pesant sur des produits de première nécessité, afin de tenter
de restaurer une popularité entamée. Cette annonce était
accompagnée de celle de l’augmentation d’une autre taxe, celle
sur la bière, qui se trouve triplée d’un coup. Cela constitue un
geste symbolique d’ordre idéologique pour les islamistes.
De toute façon, le pouvoir « frériste » devra composer avec
l’armée. Celle-ci peut cohabiter avec un exécutif islamiste mais
veillera bien à ce que certaines lignes jaunes ne sont pas
franchies… et notamment à ce qu’on ne touche pas à son
pouvoir économique. Selon les sources, les militaires contrôlent
entre 25 % et 40 % de l’économie du pays.

L’ Égypte vient de traverser une période de tension intense, qui
s’est provisoirement clos par les résultats du référendum. Lors
du vote du 15 décembre, dans les grandes villes, 56 % des
électeurs auraient approuvé le nouveau texte constitutionnel ;
le 22 décembre, lors du vote dans les campagnes, 71 % des
électeurs ruraux auraient fait de même. Le taux global
d’approbation serait ainsi de 63,8 %. Ces résultats, surtout
ceux des villes, ont fait l’objet de nombreuses contestations.
Surtout, le taux global de participation au vote ne dépassant
pas un tiers des électeurs-électrices inscritEs, le pouvoir aurait
tort de crier au triomphe. Lors des affrontements dans les jours
précédant le référendum, il a vu une coalition d’adversaires
(libéraux bourgeois, socialistes, femmes, coptes...) se liguer
contre lui.

Les islamistes, qui restent une force ancrée dans la société,
n’ont certainement pas dit leur dernier mot. Les opposants, les
démocrates, les progressistes et les syndicalistes non plus ! Le
FMI, à son tour, a pressé – ces derniers temps - le pouvoir
exécutif à boucler rapidement la constitution, pour organiser
des élections législatives dans la foulée. Ces élections auront
lieu, elles sont maintenant prévues pour la fin février 2013.
L’intérêt du FMI derrière cette demande consistait, surtout, à
voir les autorités égyptiennes « légitimées » pour adopter
rapidement des « mesures impopulaires, mais économiques
nécessaires ». Ce qui ne promet point des lendemains qui
chantent mais certainement de futures luttes sociales.

Bertold Du Ryon