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Egypte. « Lettre ouverte » au Président de la République sur l’accord imminent avec le FMI

D 2 septembre 2016     H 05:37     A     C 0 messages


Le FMI devrait accorder à l’Egypte, début septembre, un « prêt » de 12 milliards de dollars en contrepartie de la baisse des dépenses publiques, de la réduction du nombre de fonctionnaires, de la suppression progressive des subventions aux biens de consommation et d’un nouveau programme de privatisations.

Face à l’imminence de la signature de l’accord, cinq partis politiques, quatre ONG et 170 personnalités publiques ont remis le dimanche 14 août 2016 à la Présidence de la République la lettre ouverte suivante.

Message des forces nationales à Monsieur de Président de la République,

« C’est avec préoccupation que les forces nationales signataires de ce message suivent l’issue des négociations entre le pouvoir exécutif et la délégation du Fonds monétaire international (FMI) qui visite actuellement l’Egypte avec l’intention de lui accorder un prêt de 12 milliards de dollars. C’est avec inquiétude qu’ils suivent les mesures financières et économiques extrêmement sévères et sans pitié pour la majorité du peuple égyptien composée des classes pauvres et moyennes. Le pouvoir exécutif avait déjà commencé à mettre en œuvre ces mesures avant même l’annonce de ces négociations. Et cela en ignorant totalement l’ensemble du peuple, de ses syndicats, de ses fédérations et de ces forces politiques.

Le pouvoir exécutif a, en coordination avec la Banque centrale, procédé au flottement partiel de la Livre égyptienne (LE), en attendant son flottement total, conformément aux conditions du FMI. De même, il a présenté des projets de loi sur le service public et sur la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Il a planifié la vente des actifs et des propriétés du peuple égyptien, parmi lesquels des banques et des entreprises rentables, et ce, dans une situation économique malheureuse où l’endettement intérieur frise les 2500 milliards LE et l’endettement extérieur a atteint 53 milliards de dollars en mars 2016.

Si nous prenons en compte l’annonce de l’accord sur un emprunt de 25 milliards de dollars pour financer la construction de la centrale nucléaire de Dabaa, ainsi que 21 milliards de dollars auprès du FMI, de la Banque mondiale et autre institutions, l’endettement public aura atteint un niveau inédit dans l’histoire économique contemporaine de l’Egypte. Cela à un moment où une partie des investisseurs égyptiens, arabes et étrangers a cessé de drainer des capitaux en Egypte et une autre a retiré ses capitaux pour les transférer à l’étranger à un moment où la situation du tourisme s’est détériorée, les revenus du canal de Suez et du pétrole ont sensiblement baissé et les réserves égyptiennes en devises se sont réduites à près de 15,5 milliards de dollars fin juillet 2016

Les signataires de ce message estiment que le chemin que prend le pouvoir exécutif est source de ruine étant donné qu’il a été choisi à partir d’une vision étriquée des possibilités de résoudre la crise socio-économique, déconnectée de la crise politique et uniquement basée sur les recommandations du FMI. L’expérience des pays qui ont connu des conditions similaires, comme le Mexique et la Grèce ou d’autres, a démontré que ces recommandations étaient extrêmement néfastes et qu’elles risquaient d’aggraver les crises que traverse le pays. Qui se développe de plus dans une situation régionale désastreuse où les pays de la région subissent les menaces du terrorisme, de la fragmentation et des changements démographiques.

Les signataires de ce message refusent catégoriquement ce chemin qui conduit l’Egypte dans le piège de l’endettement et de la dépendance, paralyse son pouvoir de prendre des décisions politiques indépendantes et accable les générations futures d’engagements financiers insupportables, ce qui pousse l’ensemble de la société au bord d’un volcan économique et social dont l’éruption aurait des conséquences incalculables.

Les signataires de ce message invitent donc le Président de la république à :

 Suspendre immédiatement les négociations en cours avec le FMI et à ne signer aucun accord relatif à ces négociations ;
 Mettre en œuvre un programme national de sauvetage de l’économie visant à réformer les finances publiques et à remplacer le modèle économique basé sur les rentes et la consommation par un modèle basé sur la production et le développement ;
 Suspendre le programme de privatisation en cours ;
 Développer une sécurité sociale des pauvres ;
 Récupérer les richesses de l’Egypte pillées à l’intérieur et ses capitaux évadés à l’étranger ;
 Intégrer les fonds spéciaux [1] au budget de l’Etat ;
 Supprimer les subventions à l’énergie pour les entreprises fortement consommatrices qui vendent leurs produits aux prix mondiaux ;
 Supprimer les subventions à l’export et les réserves publiques ;
 Réduire les dépenses publiques non nécessaires et les salaires des Conseillers[2] ;
 Imposer un impôt sur le revenu progressif, conformément à la Constitution, un impôt sur les opérations boursières, ainsi qu’un impôt sur la fortune, redevable une seule fois ;
 Limiter les marges de bénéfice ;
 Lutter contre les monopoles et la corruption ;
 Renforcer cette lutte par toutes les mesures pouvant contribuer à l’instauration d’un climat d’ouverture politique à l’ensemble des forces de la société non impliquées dans des crimes tels que le terrorisme et l’effusion de sang, et ce, par la libération immédiate et inconditionnelle des prisonniers d’opinion et leur insertion dans la société pour profiter de leurs compétences et leur capacité productive ;
 Abroger les lois scandaleuses telles que la Loi sur le Service public [3] et la Loi limitant le recours contre les contrats frauduleux, aux parties contractantes[4]
 Modifier la loi sur les manifestations, conformément aux libertés constitutionnelles.

Les partis, les organisations, les groupements et personnalités indépendantes signataires de ce message sont conscients que l’Egypte se trouve, à l’heure actuelle, à la croisée des chemins. Sentant le danger qui la menace, ils appellent Monsieur le Président de la République à adopter leurs propositions et leurs recommandations et lui soumettent ainsi qu’à l’ensemble du peuple égyptien le recueil de la conférence Faire face aux défis économiques et sociaux, qui s’est tenue en mai 2016, rédigé par un groupe d’experts patriotes et qui présente un modèle de programme de sauvetage de l’Egypte dans de nombreux domaines, à l’écart du piège de l’endettement.

Les signataires

Premièrement, les Partis politiques :

 L’Alliance populaire socialiste
 Karama (Dignité)
 Egypte – Liberté
 Le Courant populaire
 Le Parti communiste égyptien

Deuxièmement, les organisations de la société civile :

 Le Forum national
 Le Syndicat indépendant des travailleurs précaires
 Le Groupe juridique d’aide aux droits de l’homme
 Les Egyptiens contre la discrimination religieuse

Troisièmement, les personnalités publiques :

La liste des premiers signataires comprend environ 170 noms parmi lesquels des journalistes, des syndicalistes, des chercheurs, des enseignants, des responsables associatifs, des artistes, des écrivains, des avocats, des médecins, des comptables ainsi que l’ancien candidat à la présidence de la république Hamdine Sabahi. (Texte traduit et annoté par Hany Hanna)


[1] En Egypte, tout ministère et toute administration publique ayant un contact avec les usagers les font payer des timbres fiscaux et des frais de dossiers qui ne sont pas intégrés au budget de l’Etat. Les sommes récupérées et utilisées dans la plus grande opacité sont équivalentes au double ou au triple du budget de l’Etat, selon les estimations. (Note du traducteur)

[2] Les ministères égyptiens regorgent de « conseillers », qui sont des experts sous contrat de droit privé. Leur travail consiste principalement à présenter au ministre des recommandations sur la politique à suivre. Leur rémunération mensuelle non soumise à la grille de la fonction publique dépasse souvent de très loin le plafond des salaires des fonctionnaires pour atteindre des centaines de milliers de Livres égyptiennes. (Note du traducteur)

[3] Cette loi, dont une première version a été rejetée par un parlement pourtant soumis au pouvoir exécutif, limite drastiquement les augmentations de salaire des fonctionnaires et facilite leur licenciement.(Note du traducteur)

[4 ] Cette loi a été adoptée suite à l’annulation par la justice de plusieurs privatisations d’entreprises publiques, jugées frauduleuses par le tribunal. Les recours contre ces privatisations avaient été déposés par des représentants de la société civile. La nouvelle loi rend aujourd’hui impossible de tels recours, qui ne peuvent désormais être déposés que par l’Etat ou l’entreprise. (Note du traducteur)

Source : http://alencontre.org